Le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) chargé de juger les présumés responsables du génocide de 1994 au Rwanda a rendu le 20 décembre, dix-huit ans après sa création, son dernier jugement en première instance, condamnant à trente-cinq ans de prison un ex-ministre, Augustin Ngirabatware.
Le dernier condamné du TPIR, instauré par une résolution de l'ONU du 8 novembre 1994, était ministre du Plan dans le régime intérimaire en place pendant le génocide. Il est le gendre de Félicien Kabuga, le plus célèbre des neuf accusés du TPIR encore en fuite et présenté comme l'argentier du génocide.
Le TPIR, qui doit encore juger une quinzaine de dossiers en appel avant de fermer fin 2014, a déclaré le 20 décembre Augustin Ngirabatware "coupable de génocide, incitation directe et publique à commettre le génocide et le viol". M. Ngirabatware a été reconnu coupable d'avoir incité et aidé les miliciens de sa commune natale de Nyamyumba, dans la préfecture de Gisenyi (nord), à tuer leurs voisins tutsis en avril 1994.
Cinquante-cinq jugements en première instance
En 1994, le génocide avait été déclenché après l'assassinat du Président rwandais hutu de l'époque, Juvénal Habyarimana, dont l'avion avait été abattu au-dessus de Kigali. Selon l'ONU, d'avril à juillet, 800 000 personnes, essentiellement tutsies, avaient été tuées par des extrémistes hutus.
Installé à Arusha, dans le nord de la Tanzanie, le TPIR aura au total rendu 55 jugements en première instance, concernant 75 accusés. Dix personnes ont été acquittées. Le tribunal avait été créé pour juger les actes de génocide, crimes contre l'humanité et crimes de guerre commis sur une période plus large que le génocide lui-même – toute l'année 1994.
Le 20 décembre, le Procureur du tribunal, Hassan Bubacar Jallow, a précisé que le TPIR n'était pas compétent pour se prononcer sur l'assassinat même du Président Habyarimana, puisqu'il n'entrait "dans aucun" des crimes prévus dans les statuts.
Sources : AFP/Le Monde
- A l’heure de l’achèvement des travaux des deux TPI créés par le Conseil de sécurité, à lire également, sur les déboires de la justice pénale internationale : Pierre HAZAN, « Les victimes serbes ignorées par la justice internationale », Le Monde, 14 décembre 2012
Pierre
HAZAN, « Les victimes serbes ignorées par la justice internationale »,
Le
Monde, 14 décembre 2012
Comment ne pas être atterré par les derniers jugements du Tribunal pénal
international pour l'ex-Yougoslavie (TPIY) ? La stupéfaction le dispute à la
consternation.
Au moment où le TPIY s'apprête à fermer ses portes, il met en péril sa raison d'être en
projetant l'image d'une justice
sélective, qui fait une croix sur les dizaines de milliers de Serbes, victimes
eux aussi du nettoyage ethnique.
Les généraux croates Ante
Gotovina et Mladen Markac
Le 16 novembre, la Cour d'appel du
TPIY a acquitté les généraux croates Ante
Gotovina et Mladen Markac de crimes de guerre et de
crimes contre l'humanité, alors qu'ils avaient été condamnés à vingt-quatre ans
de prison en première instance.
La Cour d'appel ne nie pas que des
crimes se soient produits contre des Serbes, et que jusqu'à 200 000 civils
serbes aient été amenés à fuir les troupes croates en 1995.
Elle ne nie pas non plus que des
civils serbes aient été victimes de crimes lors de cette offensive contre les
séparatistes serbes des "Krajina" [entités serbes autoproclamées
en Croatie].
La Cour d'appel se contente de casser le précédent jugement, arguant du seul fait que des
bombardements éloignés de plus de 200 mètres de l'objectif militaire ne sont
pas indiscriminés, donc illégaux, contrairement à ce qu'avait affirmé le
premier jugement.
Personne ne conteste que ce critère
des 200 mètres n'était pas le plus pertinent. Mais il n'était qu'un élément
parmi d'autres dans ce premier jugement au terme de deux ans de procès.
Or la Cour d'appel, par trois juges
contre deux, après quelques demi-journées, a fait reposer toute l'accusation sur ce seul critère des 200
mètres pour estimer que les accusés devaient être blanchis.
Choqués par le jugement de leurs trois
collègues, le juge italien Fausto
Pocar et le vice-président du TPIY, Carmel
Agius, ont écrit des opinions dissidentes, formulant les critiques les plus
cinglantes qui aient jamais été écrites dans les annales de la justice
internationale.
A maintes reprises, ils dénoncent le
caractère "erroné" du raisonnement de leurs collègues. Le
juge Agius relève que plus de 900 obus sont tombés sur la ville de Knin [ville
alors à majorité serbe, reconquise par les forces croates en août 1995] en
trente-six heures alors qu'elle ne résistait plus, sans que cela suscite
l'intérêt des trois autres juges de la Cour d'appel.
Ramush Haradinaj
Il en vient à constater que ceux-ci "ignorent ou ne
prennent pas en considération les preuves sans donner de justification adéquate". Le juge
italien conclut pour sa part que "le jugement de la Cour d'appel
contredit tout sens de justice". Le procureur du TPIY lui-même, Serge
Brammertz, pourtant connu pour sa retenue, dit sa "déception"
dans un communiqué, affirmant sa solidarité avec les critiques formulées
par les deux juges minoritaires.
Reste le fait : la justice
internationale a tranché de manière irrévocable. Mais ce jugement est et
restera une tache pour tous ceux qui croient à la justice internationale, et
encore davantage pour les victimes.
Comme si le jugement Gotovina et Markic
ne suffisait pas, voilà de surcroît que, le 29 novembre, Ramush
Haradinaj, ex-premier ministre kosovar et commandant de l'Armée de libération du Kosovo, est lui
aussi acquitté par la Cour d'appel du TPIY, alors qu'il était poursuivi pour
crimes contre l'humanité envers des Serbes, des Kosovars et des Roms.
L'accusation s'est effritée devant le
fait que les témoins faisaient défection, tant ils étaient intimidés. Parmi les
deux témoins-clés du procureur, l'un s'est volatilisé, et l'autre a préféré
être condamné à deux mois de prison, tant il craignait pour sa vie.
Aucun responsable kosovar ne sera
inculpé par le TPIY pour le fait que des dizaines de milliers de Serbes et de
Roms ont été contraints de fuir le Kosovo.
Ces jugements sont lourds de
conséquences. Né en 1993 comme un alibi de la mauvaise conscience occidentale
devant les images du nettoyage ethnique en Bosnie, le TPIY avait fini par s'imposer.
Les figures emblématiques des pires
crimes commis sur le sol européen depuis la fin de la seconde guerre mondiale,
et notamment les deux chefs bosno-serbes, Radovan
Karadzic et Ratko Mladic, avaient enfin été arrêtés et sont jugés.
L'histoire sanglante
des Balkans
L'Europe et les Etats-Unis avaient
contribué à ce succès, en donnant des fonds à ce premier Tribunal pénal
international, à la fois politique,
financier (il a coûté 2 milliards de dollars en près de vingt ans), juridique
et même militaire.
Et le tribunal, par ses verdicts,
avait contribué à écrire une partie importante de l'histoire sanglante des
Balkans dans les années 1990.
C'est cet effort sans précédent que
viennent de ruiner ces deux jugements. Nul ne sera condamné par le TPIY
pour le nettoyage ethnique dont furent aussi victimes des centaines de milliers
de Serbes.
Ces deux jugements, ainsi que la
condamnation le 12 décembre à la perpétuité du bras droit de Ratko Mladic, le
général serbe bosnien Zdravko
Tolimir, conforteront Croates, Serbes, Albanais et Bosniaques dans leur
nationalisme exclusif, voire dans le négationnisme des crimes commis par leurs
propres camps.
Et cela, alors que la raison d'être de
ce Tribunal était de participer à l'écriture d'une histoire inclusive des
terribles guerres de l'ex-Yougoslavie pour avancer vers un processus de réconciliation.
Pierre Hazan est maître de conférence à l'Université de Genève et auteur de Juger
la guerre, juger l'histoire (PUF, 2007).
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