23 décembre 2012

ACTU : Rwanda : 35 ans de prison contre le dernier condamné du TPIR

Catherine MAIA

Le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) chargé de juger les présumés responsables du génocide de 1994 au Rwanda a rendu le 20 décembre, dix-huit ans après sa création, son dernier jugement en première instance, condamnant à trente-cinq ans de prison un ex-ministre, Augustin Ngirabatware.

Le dernier condamné du TPIR, instauré par une résolution de l'ONU du 8 novembre 1994, était ministre du Plan dans le régime intérimaire en place pendant le génocide. Il est le gendre de Félicien Kabuga, le plus célèbre des neuf accusés du TPIR encore en fuite et présenté comme l'argentier du génocide.

Le TPIR, qui doit encore juger une quinzaine de dossiers en appel avant de fermer fin 2014, a déclaré le 20 décembre Augustin Ngirabatware "coupable de génocide, incitation directe et publique à commettre le génocide et le viol". M. Ngirabatware a été reconnu coupable d'avoir incité et aidé les miliciens de sa commune natale de Nyamyumba, dans la préfecture de Gisenyi (nord), à tuer leurs voisins tutsis en avril 1994.

Cinquante-cinq jugements en première instance

En 1994, le génocide avait été déclenché après l'assassinat du Président rwandais hutu de l'époque, Juvénal Habyarimana, dont l'avion avait été abattu au-dessus de Kigali. Selon l'ONU, d'avril à juillet, 800 000 personnes, essentiellement tutsies, avaient été tuées par des extrémistes hutus.

Installé à Arusha, dans le nord de la Tanzanie, le TPIR aura au total rendu 55 jugements en première instance, concernant 75 accusés. Dix personnes ont été acquittées. Le tribunal avait été créé pour juger les actes de génocide, crimes contre l'humanité et crimes de guerre commis sur une période plus large que le génocide lui-même – toute l'année 1994.

Le 20 décembre, le Procureur du tribunal, Hassan Bubacar Jallow, a précisé que le TPIR n'était pas compétent pour se prononcer sur l'assassinat même du Président Habyarimana, puisqu'il n'entrait "dans aucun" des crimes prévus dans les statuts.

Sources : AFP/Le Monde



  • A l’heure de l’achèvement des travaux des deux TPI créés par le Conseil de sécurité, à lire également, sur les déboires de la justice pénale internationale : Pierre HAZAN, « Les victimes serbes ignorées par la justice internationale », Le Monde, 14 décembre 2012


Pierre HAZAN, « Les victimes serbes ignorées par la justice internationale », Le Monde, 14 décembre 2012

Comment ne pas être atterré par les derniers jugements du Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie (TPIY) ? La stupéfaction le dispute à la consternation.

Au moment où le TPIY s'apprête à fermer ses portes, il met en péril sa raison d'être en projetant l'image d'une justice sélective, qui fait une croix sur les dizaines de milliers de Serbes, victimes eux aussi du nettoyage ethnique.

Les généraux croates Ante Gotovina et Mladen Markac

Le 16 novembre, la Cour d'appel du TPIY a acquitté les généraux croates Ante Gotovina et Mladen Markac de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité, alors qu'ils avaient été condamnés à vingt-quatre ans de prison en première instance.

La Cour d'appel ne nie pas que des crimes se soient produits contre des Serbes, et que jusqu'à 200 000 civils serbes aient été amenés à fuir les troupes croates en 1995.

Elle ne nie pas non plus que des civils serbes aient été victimes de crimes lors de cette offensive contre les séparatistes serbes des "Krajina" [entités serbes autoproclamées en Croatie].

La Cour d'appel se contente de casser le précédent jugement, arguant du seul fait que des bombardements éloignés de plus de 200 mètres de l'objectif militaire ne sont pas indiscriminés, donc illégaux, contrairement à ce qu'avait affirmé le premier jugement.

Personne ne conteste que ce critère des 200 mètres n'était pas le plus pertinent. Mais il n'était qu'un élément parmi d'autres dans ce premier jugement au terme de deux ans de procès.

Or la Cour d'appel, par trois juges contre deux, après quelques demi-journées, a fait reposer toute l'accusation sur ce seul critère des 200 mètres pour estimer que les accusés devaient être blanchis.

Choqués par le jugement de leurs trois collègues, le juge italien Fausto Pocar et le vice-président du TPIY, Carmel Agius, ont écrit des opinions dissidentes, formulant les critiques les plus cinglantes qui aient jamais été écrites dans les annales de la justice internationale.

A maintes reprises, ils dénoncent le caractère "erroné" du raisonnement de leurs collègues. Le juge Agius relève que plus de 900 obus sont tombés sur la ville de Knin [ville alors à majorité serbe, reconquise par les forces croates en août 1995] en trente-six heures alors qu'elle ne résistait plus, sans que cela suscite l'intérêt des trois autres juges de la Cour d'appel.

Ramush Haradinaj

Il en vient à constater que ceux-ci "ignorent ou ne prennent pas en considération les preuves sans donner de justification adéquate". Le juge italien conclut pour sa part que "le jugement de la Cour d'appel contredit tout sens de justice". Le procureur du TPIY lui-même, Serge Brammertz, pourtant connu pour sa retenue, dit sa "déception" dans un communiqué, affirmant sa solidarité avec les critiques formulées par les deux juges minoritaires.

Reste le fait : la justice internationale a tranché de manière irrévocable. Mais ce jugement est et restera une tache pour tous ceux qui croient à la justice internationale, et encore davantage pour les victimes.

Comme si le jugement Gotovina et Markic ne suffisait pas, voilà de surcroît que, le 29 novembre, Ramush Haradinaj, ex-premier ministre kosovar et commandant de l'Armée de libération du Kosovo, est lui aussi acquitté par la Cour d'appel du TPIY, alors qu'il était poursuivi pour crimes contre l'humanité envers des Serbes, des Kosovars et des Roms.

L'accusation s'est effritée devant le fait que les témoins faisaient défection, tant ils étaient intimidés. Parmi les deux témoins-clés du procureur, l'un s'est volatilisé, et l'autre a préféré être condamné à deux mois de prison, tant il craignait pour sa vie.

Aucun responsable kosovar ne sera inculpé par le TPIY pour le fait que des dizaines de milliers de Serbes et de Roms ont été contraints de fuir le Kosovo.

Ces jugements sont lourds de conséquences. Né en 1993 comme un alibi de la mauvaise conscience occidentale devant les images du nettoyage ethnique en Bosnie, le TPIY avait fini par s'imposer.

Les figures emblématiques des pires crimes commis sur le sol européen depuis la fin de la seconde guerre mondiale, et notamment les deux chefs bosno-serbes, Radovan Karadzic et Ratko Mladic, avaient enfin été arrêtés et sont jugés.

L'histoire sanglante des Balkans

L'Europe et les Etats-Unis avaient contribué à ce succès, en donnant des fonds à ce premier Tribunal pénal international, à la fois politique, financier (il a coûté 2 milliards de dollars en près de vingt ans), juridique et même militaire.

Et le tribunal, par ses verdicts, avait contribué à écrire une partie importante de l'histoire sanglante des Balkans dans les années 1990.

C'est cet effort sans précédent que viennent de ruiner ces deux jugements. Nul ne sera condamné par le TPIY pour le nettoyage ethnique dont furent aussi victimes des centaines de milliers de Serbes.

Ces deux jugements, ainsi que la condamnation le 12 décembre à la perpétuité du bras droit de Ratko Mladic, le général serbe bosnien Zdravko Tolimir, conforteront Croates, Serbes, Albanais et Bosniaques dans leur nationalisme exclusif, voire dans le négationnisme des crimes commis par leurs propres camps.

Et cela, alors que la raison d'être de ce Tribunal était de participer à l'écriture d'une histoire inclusive des terribles guerres de l'ex-Yougoslavie pour avancer vers un processus de réconciliation.

Pierre Hazan est maître de conférence à l'Université de Genève et auteur de Juger la guerre, juger l'histoire (PUF, 2007).



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