Catherine MAIA
Les habitants des Malouines ont voté le 11 mars
à une écrasante majorité de 98,8% en faveur du maintien dans le giron
britannique, à l'issue d'un référendum destiné à envoyer un message fort à l'Argentine. Avec un taux de participation de 92%, les 1 672 électeurs de cet archipel disputé de l'Atlantique ont dit "oui" au maintien du statut de territoire d'outre-mer du Royaume-Uni pour les Malouines. Seuls trois votes se sont exprimés contre le maintien des îles au sein du Royaume-Uni.
Le Premier ministre britannique, David Cameron, a appelé l'Argentine à "respecter" le résultat du référendum organisé dans l'archipel disputé des Malouines. "Les habitants des Falklands [appellation britannique des Malouines] n'auraient pas pu envoyer de message plus clair. Ils veulent rester britanniques et ce vœu doit être respecté par tout le monde, notamment l'Argentine", a-t-il déclaré.
Le retentissant résultat du "oui" n'a fait l'objet d'aucune contestation. Si ce scrutin se déroule avec la bénédiction du Gouvernement britannique qui contrôle l'archipel depuis 1833, l'Argentine l'a d'emblée disqualifié comme une "tentative britannique de manipulation" et prévenu qu'il "ne mettra pas un terme au différend sur la souveraineté". Pour Buenos Aires, les "Islanders" constituent une "population implantée" par les Britanniques et ne peuvent revendiquer le droit à l'autodétermination. "Ce n'est pas un peuple colonisé mais un territoire colonisé", a déclaré l'ambassadrice d'Argentine à Londres, Alicia Castro, à la radio argentine FM Milenium :"Les habitants ne font pas partie du conflit sur la souveraineté ; [la dispute] porte sur la souveraineté du territoire". De même, pour la Présidente argentine, Cristina Kirchner, le référendum organisé n'est qu'une "parodie".
Alors que le Comité spécial de l'ONU sur la décolonisation demande l'ouverture de négociations britannico-argentines pour régler ce contentieux, les "Islanders" espèrent que ce référendum, bien que non décidé par l'ONU, fera avancer leur cause.
En 2012, le 30e anniversaire de la guerre qui a opposé le Royaume-Uni et l'Argentine à propos de ces îles, faisant plus de 900 morts, a suscité un regain de tensions entre les deux pays, tandis que la découverte de pétrole en 1998 dans l'archipel, qui vit pour l'heure essentiellement de la pêche, a contribué à envenimer la querelle malgré une exploitation encore hypothétique.
Source : Le Monde
A LIRE :
- Paulo A. Paranagua, « Les Malouines n’ont jamais été argentines », Le Monde, 11 mars 2013
- Marcelo Gustavo Kohen, « Les Malouines : un référendum qui ne changera rien », Le Temps, 12 mars 2013
Paulo A. Paranagua, « Les Malouines n’ont jamais été argentines », Le
Monde, 11 mars 2013
Le référendum organisé aux îles
Malouines (Falkland Islands), les dimanche 10 et lundi 11 mars 2013, vise
à mettre au centre de la dispute entre l’Argentine et la Grande-Bretagne la
population locale de l’archipel. Le résultat ne fait guère de doute, les
« Kelpers » (dénomination populaire des habitants des îles), veulent
rester des sujets de Sa Majesté, surtout depuis la guerre déclenchée en 1982
par la dictature militaire argentine.
« Les Malouines sont argentines »,
apprend-on aux petits écoliers d’Argentine. Sur la carte, les îles figurent au
même titre qu’une portion de l’Antarctique.
La revendication de la souveraineté
argentine s’appuie sur des arguments géographiques et historiques, dont
l’inconvénient est de faire l’impasse sur l’opinion des 3 000
habitants de l'archipel.
Les Malouines se trouvent sur
l’Atlantique-Sud, dans le prolongement de la plate-forme continentale
sud-américaine. Avant leur peuplement, ces îles ont été ballotées entre les
couronnes d’Espagne, d’Angleterre et de France. La dénomination de
« Malouines » trouve d'ailleurs son origine dans le nom des marins
français de Saint-Malo qui s’y sont établis, les Malouins. Mais les premiers
colons définitivement implantés sont les Britanniques, à partir de 1833.
A l’époque, l’Argentine n’existait
pas. A Buenos Aires, en 1810, la révolution de Mai avait sonné le tocsin
contre les colons espagnols. L'indépendance avait été proclamée en 1816 à
Tucuman. Mais, après avoir vaincu le colonisateur, les provinces du Rio de La
Plata ont consacré leurs efforts à se battre entre elles.
Buenos Aires était un village, pas une
ville comme Mexico, La Havane, Lima ou encore Rio de Janeiro. La « Gran Aldea »
(gros village) prétendait abuser de sa position portuaire dominante pour
canaliser la production de « l’intérieur » (les provinces). La guerre
entre unitaires et fédéralistes allait les occuper pendant quarante ans.
Pendant cette période, il n’y eut pas de gouvernement national.
L’Argentine n’atteint sa configuration
définitive qu’en 1861, soit un demi-siècle après le premier cri d'indépendance.
Les guerres civiles ont retardé d'autant la délimitation du territoire
national. Ainsi, la « province orientale », à l’est du Rio de La Plata, est devenue
indépendante de Buenos Aires, sous le nom de République orientale de l’Uruguay.
La province de Tarija a rejoint la Bolivie. Quant à la frontière de l’extrême
sud, le canal du Beagle, il a fallu attendre 1985 et un arbitrage du pape Jean
Paul II.
Lorsque les Britanniques s’installent,
les Malouines ne pouvaient pas être argentines, puisque l’Argentine était
encore dans les limbes. D’ailleurs, ces îles inhospitalières étaient, alors, le
cadet des soucis des commerçants de Buenos Aires et des petits entrepreneurs
de province. Même après 1861, lorsque les Argentins cessent de se déchirer, ils
regardent ailleurs, vers la « conquête du désert », équivalente à
celle de l’Ouest pour les Etats-Unis, conduite avec la même férocité à l’égard
des peuples indigènes.
Les Malouines n'ont été mises à
l’ordre du jour que beaucoup plus tard, lors de l’essor du nationalisme
argentin des années 1930-1940. Les nationalistes décident qu’il était temps de
mettre un terme à la dépendance à l’égard de la Grande-Bretagne. Il est vrai
que l’épicentre de l’économie mondiale basculait de la Bourse de Londres à
celle de Wall Street. La nationalisation des chemins de fer
britanniques par le général Juan Domingo Peron, en 1947, reste le
principal symbole de cet affranchissement.
Les Malouines, elles, deviennent
d'abord le dada de groupuscules nationalistes qui font de la surenchère et
rêvent d’actions de commando expéditives. Le péronisme trouve là un terrain
d’entente avec le national-catholicisme des forces armées. Ce qui allait déboucher
sur l’attaque et l’occupation des Malouines par les troupes argentines en avril
1982. Conduits par des officiers lâches, incompétents et malhonnêtes, lancés à
l’aventure par un président ivrogne, le général Leopoldo Galtieri, les
Argentins subissent une défaite écrasante, sans que personne ne vienne à leur
aide.
Pendant les deux mois du conflit, en
pleine dictature, on assista en Argentine à une union nationale qui incluait
prisonniers politiques, tortionnaires et bourreaux.
C’est la défaite qui força les
militaires au retrait de la vie politique et permit aux Argentins de retrouver
la démocratie.
L’Argentine, qui juge aujourd’hui les
crimes des militaires, n’a jamais procédé à un examen de conscience sur cette
adhésion honteuse de l’opinion publique au nationalisme de la dictature, à
l'exception de quelques intellectuels.
Dénier aujourd’hui aux Kelpers le
droit à l’autodétermination, comme le fait Buenos Aires, sous prétexte qu’ils
sont les descendants de colons implantés artificiellement dans l’archipel,
n’est pas un argument sérieux. Comme disait un écrivain célèbre, les Argentins,
eux, « descendent des bateaux », le peuplement du territoire s’est
fait par des vagues successives d’immigration. Les Kelpers, au moins, n’ont pas
occupé les îles au détriment d’une population originaire, au contraire des
Argentins.
Traumatisés par la guerre de 1982, les
Kelpers doivent être persuadés de leur intérêt à se rapprocher du continent,
par des avantages économiques, touristiques, culturels, par des échanges
humains. L’exploitation pétrolière ne semble pas encore rentable, mais d’autres
formes de coopération sont possibles. A une époque, l’Argentine avait dépêché
sur place des enseignantes, chargées de cours de langue et de civilisation
: c’était plus efficace que les coups de menton. Il faut établir des
liens, susciter la confiance. Rien n’est envisageable contre la volonté des
habitants.
Marcelo
Gustavo Kohen, « Les Malouines : un référendum qui ne changera rien », Le
Temps, 12 mars 2013
Le vieux
différend au sujet de la souveraineté des îles Malouines (Falkland en anglais)
est devenu d’actualité dans la presse mondiale en 2012, à l’occasion du 30e
anniversaire du conflit armé entre l’Argentine et le Royaume-Uni. Depuis, les
positions des deux parties se sont durcies, cette fois-ci à l’occasion du 180e
anniversaire de l’expulsion des Argentins des îles, mais aussi en raison des perspectives
d’exploitation du pétrole dans leur espace maritime. L’Argentine a fait des
Malouines une question centrale de sa politique étrangère. Elle compte sur le
soutien inconditionnel de toute l’Amérique latine, mais aussi des Etats
d’autres régions de la planète, comme récemment celui de l’Afrique lors du
sommet Afrique/Amérique du Sud à Malabo. Face au début de l’exploration d’hydrocarbures
et à une forte présence militaire britannique dans les îles, l’Argentine a pris
des mesures concrètes relatives, notamment, à l’entrée de navires britanniques
dans ses ports. Elle a été suivie en cela par ses voisins directs, le Brésil,
le Chili et l’Uruguay. Buenos Aires a fait savoir que toute entreprise
exploitant les ressources naturelles autour des îles sera poursuivie et
passible de sanctions. Les Nations unies, pour leur part, considèrent les îles
Malouines comme un territoire non autonome qui doit être décolonisé. Depuis
1965, année de la première résolution de l’Assemblée générale sur la question,
l’ONU a établi que la manière de mettre fin à la situation coloniale est le
règlement pacifique du différend au sujet de la souveraineté. Dans ce
règlement, les intérêts des habitants actuels des îles devront être pris en
compte, mais le principe d’autodétermination ne leur est pas applicable.
Les parties
avaient négocié entre 1966 et 1982, sans résultats concrets quant au fond.
Depuis la fin des hostilités en 1982, le Royaume-Uni refuse toute négociation
sur la question de la souveraineté. Pourtant, la guerre n’a pas mis fin au
conflit sur la souveraineté. Comme le Gouvernement britannique l’avait reconnu
au Conseil de sécurité, ce qui devait être condamné était le recours à la force
par l’Argentine comme moyen de règlement des différends, indépendamment du
bien-fondé ou non des arguments des parties relatifs aux titres de souveraineté
sur le territoire. Ainsi l’ont compris les Nations unies. L’Assemblée générale,
quelques semaines après la fin des hostilités, a demandé aux deux parties la
reprise des négociations au sujet de la souveraineté sur les Malouines.
Il y a
davantage d’Etats qui reconnaissent la souveraineté argentine que celle
invoquée par le Royaume-Uni. D’autres Etats adoptent une position de
neutralité. Aucun des autres membres permanents du Conseil de sécurité ne
considère les îles comme relevant de la souveraineté britannique. Il y a
quelques jours, dans sa première visite à Londres en tant que secrétaire
d’Etat, John Kerry a réitéré la traditionnelle position des Etats-Unis:
reconnaissance de l’administration de facto britannique, et stricte neutralité
quant à la question de souveraineté sur l’archipel. La France, premier pays a
avoir occupé les îles Malouines durant la période coloniale, les transférant
ensuite à l’Espagne, adopte aussi la même position. La Russie et la Chine
expriment une position de sympathie envers l’Argentine, et exhortent les deux
parties à régler leur différend à travers des négociations.
Dans ce
contexte, le Gouvernement de David Cameron a unilatéralement organisé un
référendum aux Malouines les 10 et 11 mars 2013. Les 1672 électeurs habilités
se sont exprimés – résultats non encore connus – sur le point de
savoir s’ils souhaitent garder le statut de «territoire britannique d’outre-mer».
Les pays de la région, à travers les institutions du Mercosur et de l’Unasur,
ont rejeté une telle procédure. Le Royaume-Uni invoque l’applicabilité du droit
des peuples à disposer d’eux-mêmes à la population des Malouines, allégation
qui n’est pas reconnue par les Nations unies.
Contrairement
à la situation d’autres territoires non-autonomes, comme le Timor oriental et
le Sahara occidental, les Nations unies sont complètement étrangères à
l’organisation de ce référendum. Elles ne l’ont pas décidé; elles ne l’ont pas
supervisé non plus. La question des Malouines est un cas particulier de
colonialisme territorial. Le Gouvernement britannique a expulsé par la force
l’Argentine des Malouines, quelques années après l’indépendance du pays sud-américain,
à une époque où les deux Etats entretenaient des relations pacifiques et
d’amitié. Depuis lors et jusqu’à l’adoption de la première résolution de
l’Assemblée générale, en 1965, le Royaume-Uni a catégoriquement refusé de régler
le différend, malgré les protestations argentines. En même temps, le Gouvernement britannique a installé sa propre population et a contrôlé la
politique migratoire du territoire. La démographie sur les îles n’est pas
naturelle. Depuis plus d’un siècle, leur population tourne autour de 2000
habitants. Il atteint 2841 habitants actuellement, dont 14% sont installés dans
la deuxième «localité» de l’archipel, la base militaire de Mount Pleasant. A
cela s’ajoutent environ 1500 membres des forces armées, ce qui donne une
proportion d’un soldat pour trois habitants, certainement le taux le plus élevé
de soldats par habitants au monde. Les habitants nés aux Malouines sont
minoritaires. 40% des habitants actuels sont arrivés il y a moins de 10 ans. Ce
chiffre se répète à chaque recensement, preuve que les Malouines sont, pour une
grande partie, un lieu de passage. Pour pouvoir être inscrit au corps électoral,
il faut être citoyen britannique et résider sur les îles depuis au moins 7 ans.
La loi non écrite empêche les Argentins d’obtenir la résidence ou d’acquérir
des biens fonciers. Pendant 17 ans, entre 1982 et 1999, les détenteurs de
passeports argentins ne pouvaient pas visiter les îles, même en qualité de
touristes. La poignée d’habitants argentins actuellement présente sur les îles
l’est en raison de mariages avec des résidents. La main-d’œuvre pour les
travaux que les Britanniques ne souhaitent pas
effectuer est assurée par la présence d’immigrés chiliens et de ceux provenant
de Sainte-Hélène, un territoire britannique de l’Atlantique.
Au lendemain
du référendum, la situation reste donc inchangée. Les Nations unies
continueront de considérer les Malouines comme un territoire non autonome qui
doit être décolonisé. L’Argentine continuera à revendiquer sa restitution. La
prétention britannique de régler unilatéralement un conflit bilatéral, qui
concerne plus de 3 millions de kilomètres carrés de territoire et d’espace
maritime (12 fois la superficie du Royaume-Uni), ne changera pas non plus
l’avis de la communauté internationale à cet égard. Il est temps que les
parties s’asseoient autour de la table des négociations, et trouvent une solution
imaginative qui prenne en compte tous les intérêts concernés.
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