12 mars 2013

ACTU : Uhuru Kenyatta, nouveau Président du Kenya, malgré une inculpation de la CPI pour crimes contre l’humanité

Catherine MAIA 

Héritier d'une des familles les plus puissantes du Kenya, Uhuru Kenyatta a réussi, le 9 mars, son pari de devenir Président, près de 50 ans après son père, cela, en dépit d’une inculpation de la CPI pour crimes contre l’humanité.

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Le fils du "père de l'indépendance" du Kenya, poursuivi pour crimes contre l'humanité par la CPI après les violences post-électorales de 2007, a obtenu selon ces chiffres 6 173 433 voix sur un total de 12 338 667 suffrages exprimés. Il dépasse la barre des 50 % pour 4 100 voix, ce qui lui assure une victoire dès le premier tour face à son principal rival, le Premier ministre sortant Raila Odinga, qui a recueilli de son côté 43,28 % des voix. Ce dernier a annoncé le 10 mars ne "pas reconnaître" sa défaite et a dénoncé un scrutin "faussé".

Le 7 mars, le colistier de M. Odinga, Kalonzo Musyoka, avait affirmé avoir des preuves que des résultats avaient "été trafiqués" et appelé à stopper le processus de dépouillement manquant d'"intégrité". Les observateurs internationaux ont eux salué un vote et un dépouillement transparents.

La Commission électorale indépendante (IEBC) est au centre de toutes les critiques en raison de la lenteur alléguée et de cafouillages dans la transmission des résultats, dans un pays encore traumatisé par les terribles violences sur lesquelles avait débouché l'annonce des résultats de la précédente présidentielle fin 2007, sur fond de soupçons de manipulation par la commission électorale de l'époque. M. Hassan a écarté toute interruption du décompte, assurant qu'il "n'y avait pas moyen de trafiquer les résultats". 

Le nouveau Président du Kenya : portrait 

Premier inculpé de la CPI à accéder au poste de Chef d'Etat, Uhuru Kenyatta est mis en cause pour son rôle présumé dans les violences post-électorales de fin 2007.

Uhuru ("liberté" en swahili) est le deuxième enfant et le premier fils du couple formé par Jomo Kenyatta, premier président du pays entre 1964 et 1978, et sa quatrième épouse Ngina, future première Première Dame.

Né le 26 octobre 1961, quelques mois après la libération de son père emprisonné pendant près de dix ans par le pouvoir colonial britannique, il est l'un des principaux chefs de file de la communauté kikuyu, la plus nombreuse et la plus influente économiquement.

La famille Kenyatta, l'une des plus riches d'Afrique, est à la tête d'un empire financier comprenant notamment l'entreprise laitière Brooksides, la banque CBA (Commercial Bank of Africa), le groupe de média Mediamax et un groupe hôtelier.

Elle est surtout le principal propriétaire terrien individuel du Kenya, à la tête de plus de 200.000 hectares de terres achetées par Jomo Kenyatta au gouvernement britannique au moment de l'indépendance, via un programme public de transfert foncier à bas prix qui, selon ses détracteurs, a surtout profité à quelques privilégiés de la classe dirigeante kényane.

Uhuru Kenyatta remporte sa première victoire électorale en 2002, cinq ans après avoir échoué à conquérir le siège de député dans l'ancienne circonscription de son père.

Entretemps, l'autocrate Daniel arap Moi (1978-2002), successeur de Kenyatta père à la tête de l'Etat, a favorisé son ascension politique en le nommant en 1999 à la tête du Conseil du tourisme kényan, puis en octobre 2001 au Parlement et au Gouvernement en tant que ministre des Communautés locales.

Daniel arap Moi en fait officiellement son dauphin comme candidat de la Kanu (ex-parti unique) à la présidentielle de 2002, suscitant un fort mécontentement au sein du parti.

Battu par Mwai Kibaki, Uhuru Kenyatta devient le chef de l'opposition parlementaire avant de soutenir la réélection de son ex-adversaire à la présidentielle du 27 décembre 2007, face à Raila Odinga. La contestation de la courte victoire annoncée de Mwai Kibaki dégénère en tueries politico-ethniques qu'il est soupçonné d'avoir alimentées.

Vice-Premier ministre et ministre des Finances dans le Gouvernement de coalition formé par Raila Odinga après l'accord de partage du pouvoir entre Mwai Kibaki et Raila Odinga, son inculpation par la CPI l'a contraint à abandonner en janvier 2012 son portefeuille des Finances. Mais il conserve alors son poste de vice-Premier ministre et ses ambitions présidentielles.

La Procureure de la CPI accuse Uhuru Kenyatta, marié et père de trois enfants, d'avoir mobilisé le gang criminel des Mungiki contre des communautés rivales de la sienne lors des violences de fin 2007-début 2008.

L'ouverture de son procès à La Haye, qui devrait durer au moins deux ans est prévue le 9 juillet à La Haye et devrait contraindre Uhuru Kenyatta à jongler entre ses obligations présidentielles et son devoir d'accusé de comparaître.

Uhuru Kenyatta jouit d'une image contrastée dans les chancelleries. "Les handicaps de Kenyatta sont au moins aussi importants que ses forces. Il boit trop et n'est pas un bourreau de travail", écrivait mi-2009 l'ambassadeur américain à Nairobi dans un télégramme publié par Wikileaks.

Mais selon un expert économique occidental à Nairobi, "Uhuru a été un bon ministre des Finances, apprécié des institutions internationales". "Il est très charismatique, il sait comment s'y prendre" avec les partenaires internationaux.

Son inculpation par la CPI a sérieusement entamé la cote de Uhuru Kenyatta auprès de nombreuses ambassades, notamment celles de pays de l'UE, dont la politique est de n'avoir que des "contacts indispensables" avec les personnalités inculpées par la CPI, mais qui vont sans doute désormais devoir s'adapter face à ce cas politiquement inédit. 

Abandon des charges par la CPI contre un coaccusé d’Uhuru Kenyatta 

Le 11 mars, soit deux jours seulement après la victoire aux présidentielles de Uhuru Kenyatta, la Procureure de la CPI a annoncé l’abandon des accusations contre Francis Muthaura, ancien chef du service public, co-accusé du nouveau Président du Kenya. La Procureure Fatou Bensouda estime que les preuves sont insuffisantes pour conduire à la condamnation de Francis Muthaura. 

La raison principale : un témoin clé s’est rétracté il y a plusieurs mois, après avoir reçu des pots-de-vin, toujours selon la Procureure. Elle accuse le gouvernement kényan de n’avoir pas coopéré suffisamment.

La Procureure précise que cela ne concerne en rien le coaccusé Uhuru Kenyatta. Cependant, certains analystes s’interrogent sur la manière dont la CPI va réussir à convaincre des personnes de témoigner contre un président. D’autant que le témoin qui s’est rétracté était aussi un témoin clé dans l’affaire Kenyatta, affirmant avoir participé à plusieurs réunions en sa présence avec la secte criminelle Mungiki.

Uhuru Kenyatta, durant sa campagne, a martelé que la CPI était un complot des pays occidentaux. Cependant, la CPI n’a jamais été la seule option sur la table. Un tribunal local était censé être mis en place pour juger les responsables des violences de 2008. Mais à l’époque, Uhuru Kenyatta ainsi que William Ruto s’y étaient opposés. Leur slogan : « Don’t be vague, let’s go to The Hague » (en français, « N’hésitons plus, choisissons La Haye »). 

Sources : Le Monde/Le Nouvel Observateur/RFI

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