19 mai 2013

ACTU : L’opposition syrienne devrait préserver les éléments de preuve potentiels sur l'existence de salles de torture selon HRW

David ROY

Les services de sécurité gouvernementaux de Raqa détiennent des documents et de possibles preuves matérielles indiquant que des détenus y ont été arbitrairement incarcérés et torturés lorsque la ville était contrôlée par le gouvernement, a déclaré Human Rights Watch le 17 mai 2013 à l’issue d’une visite effectuée sur les lieux. En effet, les chercheurs de Human Rights Watch ont visité, fin avril 2013, des installations de la Sûreté d’État et du Renseignement militaire à Raqa, une ville actuellement contrôlée de facto par des groupes locaux d’opposants armés.

Les dirigeants locaux de l’opposition, soutenus par la Coalition nationale des forces révolutionnaires et de l’opposition syriennes et par des experts internationaux neutres, devraient mettre en sécurité les preuves potentielles de torture et de détention arbitraire contenues dans les centres des forces de sécurité des zones contrôlées par l’opposition, a déclaré Human Rights Watch.

« Les documents, les cellules de prison, les salles d’interrogatoire et les instruments de torture que nous avons vus dans les bâtiments sécuritaires gouvernementaux forment une image qui concorde avec les tortures que nous avaient décrites d’anciens détenus depuis le début du soulèvement en Syrie », a déclaré Nadim Houry, directeur adjoint de la division Moyen-Orient à Human Rights Watch. « Ceux qui contrôlent Raqa doivent sécuriser les éléments matériels présents dans ces installations afin que la vérité puisse être révélée et que les responsables soient tenus de rendre des comptes. »

Dans le bâtiment de la Sûreté d’État, les chercheurs de Human Rights Watch ont observé, au rez-de-chaussée et au sous-sol, des pièces semblant servir de cellules de détention. Parmi les dossiers, ils ont trouvé des documents qui semblent être des listes de membres des forces de sécurité ayant travaillé dans ces locaux. Les chercheurs de Human Rights Watch ont également retrouvé un instrument de torture appelé bsat al rih (« tapis volant »), utilisé, d’après les témoignages d’anciens détenus, pour immobiliser les membres, les étirer ou les tordre à l’extrême.

Plusieurs personnes qui étaient détenues dans d’autres installations des services de renseignement en Syrie ont décrit à Human Rights Watch comment les gardiens de ces services utilisaient les instruments de torture ditsbsat al rih dans des lieux de détention de tout le pays. Ils attachent un détenu sur une planche, parfois en forme de croix, de manière à ce qu’il ne puisse pas se défendre. Dans certains cas, ont rapporté d’anciens détenus, les gardiens tendaient ou tiraient les membres ou encore pliaient la planche en deux jusqu’à ce que le visage touche les jambes, ce qui était très douloureux et les immobilisait encore plus.

Parmi les divers documents et dossiers retrouvés par les chercheurs de Human Rights Watch dans le bâtiment du Renseignement militaire de Raqa, certains apparaissent comme des listes de tous les diplômés d’université de cette ville, suggérant que les services de sécurité s’intéressaient à eux en raison de leur formation universitaire. Les chercheurs ont également observé trois cellules d’isolement et une cellule de détention collective dans la partie droite du premier étage du bâtiment.

Les chercheurs de Human Rights Watch se sont entretenus avec cinq personnes détenues par les services du Renseignement militaire à Raqa, qui ont déclaré que les forces de sécurité les avaient détenues et interrogées à cet endroit. Elles ont déclaré que les services de sécurité les avaient questionnés sur des activités tout à fait légales, comme le fait de participer à des manifestations pacifiques, de porter secours à des familles déplacées, de défendre des détenus ou encore de prodiguer des soins d’urgence à des manifestants blessés. Elles sont convaincues qu’elles étaient détenues en raison de ces activités légales, ce qui fait que leur détention était arbitraire.

Quatre de ces détenus ont déclaré que les agents et les gardiens du bâtiment les avaient torturés. Ils ont identifié Mohammed Al Ahmed, alias Abou Jassem, comme la personne responsable de ces interrogatoires et des abus commis dans certains cas. Des habitants de Raqa interviewés par Human Rights Watch ont déclaré que les forces d’opposition avaient tué Abou Jassem pendant les combats pour le contrôle de la ville, tombée sous le contrôle de l’opposition pendant la première semaine de mars.

Outre les locaux de la Sûreté d’État et du Renseignement militaire, trois autres installations de la ville de Raqa – autrefois occupées par la Sûreté criminelle, la Sûreté politique et le Renseignement de l’Armée de l’air – sont à présent contrôlées par des groupes armés d’opposition.

À de nombreuses reprises, Human Rights Watch a rapporté en détail les violations des droits humains commises par les forces de sécurité et les responsables du gouvernement syrien, notamment les disparitions forcées, la torture ainsi que la détention arbitraire et secrète de manifestants pacifiques, d’activistes, de travailleurs humanitaires et de médecins.

En se basant sur les informations fournies par d’anciens détenus et des transfuges, Human Rights Watch avait déjà identifié les lieux, les services responsables, les méthodes de torture et dans de nombreux cas les officiers aux commandes des 27 unités de détention gérées par les services de renseignement syriens dans tout le pays et où il avait été fait état de torture. Le caractère systématique des mauvais traitements et de la torture qui transparaît des documents collectés par Human Rights Watch indique que ces mauvais traitements et cette torture constituent une véritable politique d’État et par conséquent un crime contre l’humanité.

Dans les zones occupées par l’opposition, les autorités de facto affrontent toujours de nombreux défis et doivent résoudre des problèmes plus urgents les uns que les autres. Certaines sont toujours sous le coup d’attaques par les forces du gouvernement syrien et se battent pour assurer des services de base aux populations locales. Néanmoins, il faut préserver de toute urgence, dans toutes les installations des anciennes forces de sécurité, les preuves potentielles qui pourraient être cruciales si les responsables rendaient un jour des comptes devant la justice nationale et internationale, a déclaré Human Rights Watch. Ces éléments de preuve pourraient aussi aider à préciser le rôle des services de renseignement dans les abus commis en Syrie.

Les documents et les éléments matériels contenus dans ces bâtiments pourraient disparaître ou être détruits s’ils ne sont pas rapidement sécurisés. La destruction ou la mauvaise gestion de ces documents et de ces objets amoindrirait la possibilité de traduire en justice les responsables de ces graves crimes. De plus, leur perte pourrait entraver de futurs processus de recherche de la vérité ainsi que l’élaboration d’une documentation exhaustive sur les crimes commis par le gouvernement syrien. Les commissions de vérité peuvent être des outils précieux, complémentaires de la justice pénale, pour préserver la mémoire historique, faire la lumière sur les événements et attribuer les responsabilités politiques et institutionnelles.

Les autorités de facto à Raqa et les dirigeants locaux de l’opposition devraient coordonner la collecte et le stockage de ces preuves potentielles issues des services de sécurité qui sont maintenant sous leur contrôle, a déclaré Human Rights Watch. Elles devraient demander le soutien de la Coalition nationale des forces révolutionnaires et de l’opposition syriennes et celui d’experts internationaux neutres, en particulier spécialistes de la collecte de preuves scientifiques légales et du travail avec les cours pénales.

Les groupes d’opposition armés qui ont pris le contrôle de ces installations devraient les sécuriser tout en permettant aux leaders civils de l’opposition, avec un soutien externe, d’organiser l’enlèvement des éléments matériels et la photographie des preuves matérielles qu’on ne peut pas déplacer.

Les autorités devraient aussi créer un dépôt central, dans un endroit sûr et qui ne sera pas rendu public, pour accueillir et stocker ces preuves potentielles jusqu’à ce que des enquêtes criminelles en bonne et due forme puissent être menées. Si possible, des copies des éléments les plus pertinents devraient être faites au cas où les originaux soient détruits ou perdus.

À plusieurs reprises, Human Rights Watch a exhorté le Conseil de sécurité de l’ONU à porter la situation en Syrie devant la Cour pénale internationale (CPI). D’autres pays devraient se joindre aux voix, de plus en plus nombreuses, qui réclament que des comptes soient rendus, et soutenir la proposition de saisir la CPI, considérée comme la tribune la plus adaptée pour poursuivre effectivement les premiers responsables des abus en Syrie. Le 14 janvier, une lettre était envoyée au Conseil de sécurité, au nom de 58 pays, pour appeler à saisir la CPI. Le Conseil de sécurité n’a pris aucune mesure répondant à cette demande.

« Apprendre la vérité sur le rôle joué par les services de renseignement dans la surveillance et la terreur infligées aux Syriens permettra de les protéger de ces abus à l’avenir », a conclu Nadim Houry. « Mais pour que les Syriens connaissent la vérité une fois le conflit terminé, il est vital, même dans ces dures conditions de guerre, de préserver les possibles éléments de preuve sur le rôle des forces de sécurité. »

Source : HRW

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