3 octobre 2013

REVUE : Revue Défense Nationale (octobre 2013, n°763)

David ROY

Nous vivons décidément des temps nouveaux où les fragiles régulateurs de la guerre froide se déplacent vers des points d'équilibre précaires, bien en peine de produire les effets de stabilité et de sécurité qu'attendent des opinions publiques avides de prospérité et inquiètes des tensions et incertitudes produites par une dérégulation socio-économique générale. L'été, chargé de convulsions tragiques, notamment en Égypte et en Syrie, l'a rappelé à tous. En France et en Afrique, plusieurs dilemmes structurels le soulignent.

Entre défense et sécurité, le curseur reste indécis et la Gendarmerie nationale, l'un des maillons forts de la résilience du pays, doit garantir le lien permanent entre protection, sécurité et justice. Peut-elle suffire à la nécessaire empreinte militaire sur le territoire national pour rassurer la population française? Une cartographie de la sécurité du territoire prenant bien en compte les bases de défense y pourvoirait sans doute mieux. Entre contrôle politique et direction stratégique de la « mission Défense» de l'État, les fonctions du Parlement et de l'exécutif - du Premier ministre au ministre de la Défense - s'insèrent dans la pratique de la Ve République qui liait naguère les responsabilités du chef d'État, chef des armées, et celles du chef d'état-major des armées pour le commandement opérationnel des forces. Les réformes en cours pourraient se prolonger vers un vrai Conseil de sécurité, à l'expertise pérenne, chargé de réguler la posture de défense et de sécurité du pays. Entre effort pour doter la nécessaire capacité opérationnelle de réaction aux crises et entretien résolu des outils de souveraineté scientifique et industrielle, le budget de la défense et la loi de programmation hésitent avec des marges de manœuvre réduites par la crise financière et l'impératif européen. La dialectique LBDSN-LPM reste-elle pertinente? Une autre donne pourrait exonérer la «mission Défense» des tâches de compétitivité industrielle, d'exportation d'armement et d'aménagement du territoire. Entre Alliance atlantique et Union européenne, nos contrats stratégiques peinent à s'imbriquer et, alors que le moment afghan s'estompe, l'Europe de la défense piétine. Ne faudrait-il pas mieux valider la solution intérimaire d'une Europe militaire minimale, plus territoriale qu'expéditionnaire, plus géopolitique que fonctionnelle ? Entre multilatéralisme efficace orchestré dans le cadre parfois désuet mais irremplaçable de l'ONU et actions directes de coalitions d'intérêts et d'émotions, le monde a semblé hésiter sur la réponse à donner à d'inacceptables massacres terroristes chimiques perpétrés en Syrie. La manœuvre générale qui en résulte a bouleversé l'échiquier stratégique mondial et restauré un dialogue russo-américain central. Faut-il s'en féliciter? Entre le temps d’Harmattan ou Serval, interventions extérieures d'urgence, et la prise en charge de la sécurité de l'Afrique par les Africains, n'y a-t-il pas celui de la consolidation des États, de la montée en puissance des sous-régions et de la validation d'une architecture viable de paix et de sécurité pour l'Union africaine?

La recomposition générale d'un secteur de défense hérité de la guerre froide se poursuit. Elle durera encore longtemps en France, en Europe, en Afrique et dans le monde.


Éditorial - Jean Dufourcq

TABLE DES MATIERES

Éditorial - Jean Dufourcq

Préambule - Une approche globale pour stabiliser le Sahel - Jean-Pierre Chevènement, Gérard Larcher
C'est sur la base des travaux conduits par le Sénat sur le Sahel que les auteurs présentent un bilan de l'action de contre-terrorisme conduite au Mali. Ils dressent la perspective de ce qui doit être maintenant poursuivi en Libye puis établi au niveau de la sous-région. C'est là qu'il faut transférer, avec l'aide internationale, la charge de la sécurité et du développement de l'Afrique de l'Ouest.
Avant-propos - Les opérations françaises récentes en Afrique : enseignements et perspectives - Édouard Guillaud
La prise en charge de la sécurité de l'Afrique par les Africains passe par un accompagnement général des Européens. Les armées françaises jouent, de l'Atlantique sahélien à la Corne de l'Afrique, un rôle structurant auquel elles se sont préparées et auquel elles s'adaptent en permanence tant au plan stratégique qu'au plan opérationnel comme l'a montré la succession d'interventions récentes.
Leçons africaines

Le retour du « gendarme de l'Afrique » ? Politique du « yo-yo » en Côte d'Ivoire - Richard Banégas
Avec cette analyse lucide et sans concessions, on explore les racines de la militarisation latente des rapports qu'entretient la France avec l'Afrique par-delà les différentes législatures qui s'y engagent. L’exemple ivoirien montre les aléas d'une action militaire qui suit les fluctuations d'une approche politique. Partant de ces réalités, l'auteur suggère de changer le point d'équilibre de la posture africaine de la France.
Interventions militaires françaises : Mali, Côte d'Ivoire, Libye - Philippe Hugon
L’auteur procède à une analyse comparée des trois interventions françaises dans les conflits interafricains de Côte d'Ivoire, de Libye et du Mali et évalue leurs conséquences sur la stabilité régionale.
Premières leçons opératives de l'opération Serval - Grégoire de Saint Quentin
Le commandant de la force Serval tire à son niveau opératif les premiers enseignements de la campagne conduite dans le Nord Mali début 2013. Il identifie trois principaux facteurs de succès, la surprise stratégique, la souplesse d'une coalition militaire informelle et la cohérence d'une maîtrise permanente de la force.
Forces armées d'Afrique de l'Ouest et engagements opérationnels - Dominique Trinquand
Les forces armées des pays de l'Afrique de l'Ouest portent la marque de leurs origines qui les confinaient dans des tâches de sécurité intérieure. Leur capacité d'engagement collectif a été limitée par les réalités d'une sous-région hétérogène. Pour leur permettre d'intervenir efficacement et de façon autonome dans le maintien de la paix régionale, il leur faut acquérir maintenant des capacités de réactivité et de projection.
Saluons l'intervention militaire de la Cédéao au Mali - Marc Conruyt
Malgré les imperfections de son organisation et la disponibilité inégale de ses moyens, la Cédéao a déployé des forces qui auront joué un rôle important dans le succès tactique de l'opération Serval. Il reste à combler les lacunes observées, à adapter les concepts et à renforcer la réactivité du dispositif collectif de renforcement des capacités militaires africaines.
Les menaces dans la bande sahélo-saharienne : la crise malienne - Aimé Barthélemy Simporé
La crise malienne a révélé le nouveau contexte sécuritaire de l'Afrique de l'Ouest. Elle a partiellement invalidé le concept même de la force en attente de la Cédéao et exigé une autre forme de réponse que celle prévue. Elle montre que faire face à une forme de menace hybride exige un autre type de réactivité militaire collective.
Quelle sécurité régionale pour le Sahel ? - Xavier Collignon
Zone charnière entre l'Afrique du Nord et l'Afrique de l'Ouest, le Sahel souffre d'un manque de structures d'analyse et de gestion de l'insécurité qui y règne. Les pesanteurs de ces deux espaces contigus retardent la mise en place de solutions globales dont l'auteur fait un inventaire soigné et prospectif.
Comment rendre l'Architecture de paix et de sécurité en Afrique plus efficace ? - Romain Esmenjaud
Outil et non finalité, l'Architecture de paix et de sécurité en Afrique doit, pour consolider sa pertinence et renforcer son efficacité, tout à la fois conforter les États pivots sur lesquels elle s'articule, réévaluer sa doctrine et normaliser son fonctionnement. La France quant à elle doit favoriser une meilleure compréhension de sa posture et contribuer à l'élaboration d'une vision africaine commune des menaces et des solutions à leur opposer.
La Caric : une réponse aux défis politiques et opérationnels africains ? - Amandine Gnanguênon
La difficulté rencontrée pour rendre opérationnelle l'Architecture africaine de paix et de sécurité dont le principe a été décidé en 2002 a suscité des mesures pour faire face à l'urgence sécuritaire. La Caric en est une qui répond de façon pragmatique aux nécessités et réarticule les niveaux régional et continental. Le contexte et l'inventaire en sont exposés ici.
Interventions militaires françaises et dynamiques africaines de paix et de sécurité - Germain-Hervé Mbia Yebega
Après avoir noté combien l'action militaire française en Afrique s'inscrivait dans un champ historique dense, après avoir distingué les trois récentes interventions, l'auteur analyse les limites actuelles des mécanismes africains de paix et de sécurité et émet des recommandations pour les renforcer, en priorité au plan sous-régional.
Contrepoint

La sécurité du territoire et la Gendarmerie : une étroite symbiose - Marc Watin-Augouard
C'est sur la base de la continuité de l'action militaire et policière et en liaison étroite avec les territoires qui lui sont confiés qu'opère la Gendarmerie nationale. Sa double identité territoriale et militaire en fait l'un des instruments qui forge la résilience du pays pour faire face aux flux d'insécurité qui troublent l'ordre public.
Repères - Opinions

La Transition arabe et le jeu des nations - Ahmed Abderraouf Ounaïes
Apprécier la transition arabe, c'est inventorier les deux options en compétition, démocratique ou théocratique. Pour le monde arabe conservateur, l'avènement d'une vraie démocratie est lourd de risques; pour le monde américain, un pouvoir islamiste contenu est un compromis acceptable et pour l'Europe, un dépassement est possible. C'est l'ampleur de la transition qui déterminera sa portée.
Le renseignement sert d'abord à l'action - Jean Heinrich
La manœuvre du renseignement que conduisent aujourd'hui les forces résulte d'un long apprentissage effectué pendant une décennie dans les Balkans après que la fin de la guerre froide eût fait ressortir le besoin d'une véritable capacité de renseignement militaire pour gérer les crises multiples qui affectent la France.
La Turquie : rapprochements, mutations, équilibres géopolitiques - Fotini Katy Mirante-Psaltakis
Alors que la question syrienne pourrait rebattre les cartes stratégiques dans une région pivot et tampon entre Europe et Asie, l'auteur fait un inventaire soigné des relations qu'entretient la Turquie avec un environnement géopolitique qui porte la marque de l'espace ottoman et conserve les traces de la guerre froide.
Le Traité sur les forces armées conventionnelles en Europe : état des lieux - Guy Vinet
Avec cette chronique détaillée d'un traité non ratifié chargé d'entretenir la transparence sur le rapport des forces militaires en Europe, on mesure à la fois le chemin parcouru depuis les derniers temps de la guerre froide et l'intérêt de disposer d'un instrument d'échanges entre Européens pour promouvoir une véritable sécurité coopérative.
Apories nord-coréennes : au-delà de la guerre des mots - Marianne Péron-Doise
L’auteur délivre ici une analyse fine de la nouvelle posture nucléaire et plus généralement militaire de la Corée du Nord dont le jeune dirigeant a tenu à réaffirmer la capacité de nuisance régionale. Les défis qu'il adresse aux États-Unis, à la Corée du Sud mais aussi à la Chine, sont autant d'indications archaïques d'une politique qui vise à défendre un régime et une dynastie.
Le politique et les hommages rendus aux soldats français morts en Afghanistan - Caroline Marchal, Sébastien Jakubowski
C'est à une analyse des conditions et des ressorts des cérémonies militaires et patriotiques liées aux militaires morts sur les théâtres d'opérations extérieures que procèdent les auteurs qui montrent comment les hommages qui leur sont rendus ont évolué avec l'intervention en Afghanistan.
La constitution de la victime du terrorisme en victime de guerre - Jean-Luc Perret
L’enrôlement forcé de civils dans les actes de guerre que perpètre de plus en plus l'action terroriste a pour effet de rapprocher les victimes de ces pratiques combattantes des soldats engagés dans l'action militaire. Tel est le paradoxe analysé par l'auteur.
La puissance d'influence de la France en questions - Anne Gazeau-Secret
Pour l'auteur, la politique d'influence de la France est indigente; elle manque encore de souffle et de moyens pour mettre en œuvre un projet comparable à celui du Royaume-Uni ou de l'Allemagne, alors que l'influence est l'un des instruments de la puissance au XXIe siècle.

Octobre 2013

Aucun commentaire :

Enregistrer un commentaire