13 décembre 2013

ACTU : Dans deux affaires jointes opposant le Nicaragua et le Costa Rica, la CIJ décide que les circonstances ne sont pas de nature à exiger l’exercice de son pouvoir d’indiquer des mesures conservatoires

Catherine MAIA

La Cour internationale de Justice (CIJ), organe judiciaire principal de l’Organisation des Nations Unies, par une ordonnance en date du 13 décembre 2013, s’est prononcée sur la demande en indication de mesures conservatoires présentée le 11 octobre 2013 par le Nicaragua dans l’affaire relative à la Construction d’une route au Costa Rica le long du fleuve San Juan (Nicaragua c. Costa Rica) à laquelle a été jointe l’affaire relative à Certaines activités menées par le Nicaragua dans la région frontalière (Costa Rica c. Nicaragua). Par sa demande, le Nicaragua cherchait à protéger certains droits auxquels portent selon lui atteinte les travaux de construction d’une route réalisés par le Costa Rica à proximité de la zone frontalière entre les deux pays, le long du fleuve San Juan.

Dans l’ordonnance qu’elle a rendue le 13 décembre 2013, la Cour a dit, à l’unanimité, «que les circonstances, telles qu’elles se présentent actuellement à [elle], ne sont pas de nature à exiger l’exercice de son pouvoir d’indiquer des mesures conservatoires».


Raisonnement de la Cour

1. Compétence prima facie (par. 12-14)

La Cour rappelle que le Nicaragua entend fonder sa compétence sur l’article XXXI du Traité américain de règlement pacifique signé à Bogotá le 30 avril 1948, ainsi que sur les déclarations d’acceptation de juridiction faites par les deux Parties.

La Cour considère que ces instruments semblent, prima facie, constituer une base sur laquelle elle pourrait fonder sa compétence pour se prononcer sur le fond. Dès lors, la Cour conclut qu’elle peut connaître de la demande en indication de mesures conservatoires que le Nicaragua lui a soumise.

2. Les droits dont la protection est recherchée et les mesures demandées (par. 15-23)

La Cour rappelle que le pouvoir d’indiquer des mesures conservatoires qu’elle tient de l’article 41 de son Statut a pour objet de sauvegarder, dans l’attente de sa décision sur le fond de l’affaire, les droits revendiqués par chacune des parties. Il s’ensuit qu’elle ne peut exercer ce pouvoir que si les droits allégués par la partie qui demande l’indication de mesures conservatoires apparaissent au moins plausibles. Par ailleurs, un lien doit exister entre les droits qui font l’objet de l’instance pendante devant la Cour sur le fond de l’affaire et les mesures conservatoires sollicitées.

Le Nicaragua soutient que les droits qu’il cherche à protéger sont ses «droits … à la souveraineté et à l’intégrité territoriales», son «droit de ne subir aucun dommage transfrontière» et son «droit de recevoir du Costa Rica une évaluation de l’impact environnemental transfrontière». La Cour estime que ces droits sont plausibles.

La Cour examine ensuite la question de savoir si les mesures conservatoires sollicitées sont liées aux droits revendiqués et ne préjugent pas le fond de l’affaire.

Concernant la première mesure sollicitée par le Nicaragua, qui consiste à ordonner au Costa Rica de lui fournir une évaluation de l’impact sur l’environnement, la Cour est d’avis que l’indication d’une telle mesure reviendrait à préjuger sa décision sur le fond de l’affaire, cette demande étant exactement la même que l’une des demandes que le Nicaragua a présentées dans son mémoire sur le fond. S’agissant de la deuxième mesure conservatoire, qui consiste à ordonner au Costa Rica de prendre une série de mesures d’urgence afin de réduire ou d’éliminer les phénomènes d’érosion, de glissement de terrain et de dépôt de sédiments dans le San Juan résultant de la construction de la route, la Cour estime qu’un lien existe entre la mesure demandée et le droit revendiqué par le Nicaragua de ne subir aucun dommage transfrontière. Enfin, la Cour considère qu’un lien existe également entre la troisième mesure conservatoire sollicitée, qui consiste à ordonner au Costa Rica de ne reprendre aucune activité de construction relative à la route tant que la Cour demeurera saisie de la présente affaire, et les droits revendiqués par le Nicaragua.

3. Risque de préjudice irréparable et urgence (par. 24-35)

La Cour rappelle qu’elle tient de l’article 41 de son Statut le pouvoir d’indiquer des mesures conservatoires lorsqu’un préjudice irréparable risque d’être causé aux droits en litige dans une procédure judiciaire. Ce pouvoir ne sera exercé que s’il y a urgence, c’est-à-dire s’il existe un risque réel et imminent qu’un préjudice irréparable soit causé aux droits en litige avant que la Cour n’ait rendu sa décision définitive.

Au vu des éléments de preuve qui lui ont été présentés, la Cour considère que le Nicaragua n’a pas établi en la présente procédure que les travaux de construction en cours ont conduit à un accroissement sensible de la charge en sédiments du fleuve. De plus, à ce stade, il n’a été présenté à la Cour aucun élément de preuve attestant que l’alluvionnement du chenal du fleuve, qui serait causé par une quantité accrue de sédiments due à la construction de la route, aurait sur ce dernier un quelconque effet à long terme. Enfin, en ce qui concerne l’effet allégué sur l’écosystème, notamment sur les différentes espèces présentes dans la zone humide du fleuve, la Cour considère que le Nicaragua n’a pas expliqué en quoi ces espèces pourraient être spécifiquement menacées par les travaux de construction de la route, ni indiqué avec précision quelles étaient celles qui risquaient d’être affectées.

La Cour constate que le Nicaragua n’a, dès lors, pas établi qu’il existe un risque réel et imminent de voir un préjudice irréparable causé aux droits qu’il invoque.

4. Conclusion (par. 36)

La Cour conclut de ce qui précède qu’il ne saurait être fait droit à la demande en indication de mesures conservatoires du Nicaragua.

Composition de la Cour

La Cour était composée comme suit : M. Tomka, président ; M. Sepúlveda-Amor, vice-président ; MM. Owada, Abraham, Keith, Bennouna, Skotnikov, Cançado Trindade, Yusuf, Greenwood, Mmes Xue, Donoghue, M. Gaja, Mme Sebutinde, M. Bhandari, juges ; MM. Guillaume, Dugard, juges ad hoc ; M. Couvreur, greffier.

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Texte intégral de l’ordonnance et historique de la procédure

Le texte intégral de l’ordonnance peut être consulté sur le site internet de la Cour dans le dossier des deux affaires concernées (rubrique «Affaires contentieuses»). Il est rappelé que les instances dans l’affaire Nicaragua c. Costa Rica et dans l’affaire Costa Rica c. Nicaragua ont été jointes par la Cour le 17 avril 2013 «conformément au principe de bonne administration de la justice et aux impératifs d’économie judiciaire». L’historique de ces procédures est exposé aux paragraphes 1 à 11 de l’ordonnance du 13 décembre 2013.

Source : CIJ

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