Catherine MAIA
Comment une interprétation commune du passé permet de renforcer la paix et
la sécurité internationales ? Une soixantaine de délégations ont, le 29
janvier 2014, à l’aube d’une année de commémoration du déclenchement de la
Première Guerre mondiale, réfléchi autour de la table du Conseil de sécurité à
des exemples concrets de réconciliation sincère fondée sur le souvenir commun
de l’histoire, ciment d’une paix durable.
Parce que la reconstruction physique d’un pays ne suffit pas à effacer les instincts de revanche, le représentant de la Jordanie a jugé opportun que le Conseil de sécurité s’intéresse aussi aux aspects psychologiques des conflits. Il a ainsi proposé la création d’une équipe de consultants en histoire qui aiderait les autorités des pays affectés, une fois que les armes se sont tues, dans leur effort de préservation des documents nécessaires à l’établissement d’une lecture partagée du passé.
Le Secrétaire général adjoint aux affaires politiques, M. Jeffrey Feltman,
s’est félicité du fait que les Nations Unies soient de plus en plus impliquées
dans les aspects non physiques de la consolidation de la paix.
« Même si nous disposons d’outils qui ont fait leur preuve pour séparer les armées et rebâtir, nous avons moins réfléchi à notre capacité de reconstruire la confiance entre les communautés, et de réconcilier des visions contradictoires de l’histoire et de l’identité », a-t-il ajouté, cette réconciliation passant, selon lui, par la capacité des parties à assumer leurs responsabilités passées.
Tout au long de ce débat thématique, les délégations ont tenté de tirer les
leçons de l’histoire contemporaine, alors que le monde se prépare à commémorer
le centenaire de la Première Guerre mondiale, catastrophe dont sont sortis les
malheurs infinis du XXe, a souligné le représentant de la France, et
le vingtième anniversaire du génocide rwandais.
Si le délégué d’Israël a rappelé que la guerre ne commençait pas avec les
tirs d’armes à feu, mais lorsque les graines de la haine sont semées dans les
cœurs de gens ordinaires, son homologue du Rwanda a salué l’exemple que
constitue la réconciliation franco-allemande pour le reste du monde.
« L’Allemagne et la France ont réussi ce que personne n’aurait pu
espérer ni même penser en 1918 ou en 1945 », a déclaré le représentant
français, après avoir notamment relaté l’horreur de la bataille de Verdun, où,
en 1916, périrent 700 000 Français et Allemands. « Il a
fallu le génie de quelques-uns, la volonté et le courage de beaucoup, mais
aussi de l’imagination et du temps pour créer des institutions communes où
les jeunesses des deux pays ont appris à se connaître et leurs parents à
coopérer. »
« Traiter l’histoire de façon objective en reconnaissant les erreurs
du passé est le meilleur moyen de construire un avenir sûr et stable », a
dit le représentant du Royaume-Uni, dont le pays a admis sa responsabilité dans
le « Bloody Sunday » du 30 janvier 1972 en Irlande du Nord, où
14 manifestants pacifiques furent tués par l’armée britannique.
De nombreux États ont convenu que la construction européenne a constitué
l’un des meilleurs exemples de réconciliation. « Le processus de
l’intégration européenne a fait une réelle différence après des siècles de
guerres et de conflits », a estimé le délégué de l’Union européenne, en
expliquant que lorsque Robert Schuman avait annoncé la création de la
Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA) en mai 1951, il avait
prédit que cette mise en commun des ressources rendrait impensable et
impossible une guerre entre la France et l’Allemagne.
Plusieurs orateurs ont également estimé que la Cour pénale internationale
(CPI) était un symbole mondial de la justice et un garant de la paix
durable. Néanmoins, pour le délégué de la Jordanie, l’un des faits qui
démontre que le Conseil de sécurité n’a pas toujours pris en compte
l’importance de la vérité dans le processus de résolution des conflits est le
peu d’intérêt qu’il accorde à cette juridiction, alors même que, selon lui,
seule la CPI pourrait, par des témoignages qu’elle recueille, produire des
faits avérés susceptibles de servir la postérité.
S’agissant du rôle du Conseil de sécurité, les représentants de l’Iran et
de l’Inde ont jugé que son incapacité à empêcher des génocides et des massacres
justifiait la réforme de sa composition afin de le rendre plus efficace dans sa
mission à « préserver les générations futures du fléau de la
guerre ».
Illustrant les tensions possibles autour des divergences de perception de
la mémoire, les délégations de la République de Corée, de la République
populaire démocratique de Corée (RPDC) et de la Chine ont fustigé l’attitude du
Premier Ministre japonais, lequel s’est rendu, le 26 décembre 2013, au
sanctuaire Yasukuni, rendant ainsi hommage à 2,5 millions de soldats
japonais morts au combat, mais aussi à des criminels de guerre.
Si ces pays ont rappelé les exactions commises sur leur sol par l’armée
impériale, le représentant du Japon a regretté que ce débat fût utilisé pour
stigmatiser son pays qui a portant exprimé ses profonds remords à ce sujet.
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