4 septembre 2014

ACTU : La Procureure de la CPI, Fatou Bensouda, dément les accusations selon lesquelles la Cour éviterait l’ouverture d’une enquête sur les crimes de guerre présumés dans la bande de Gaza

Catherine MAIA

Le 29 août, la Procureure de la CPI, Fatou Bensouda, a écrit une tribune dans le journal britannique The Guardian – reprise ensuite sur le site de la Cour – visant à répondre aux accusations selon lesquelles la CPI éviterait l’ouverture d’une enquête sur les crimes de guerre présumés dans la bande de Gaza en raison de pressions politiques.


L'Autorité palestinienne avait demandé à se joindre à la CPI en mai 2009. Après trois années de recherche et d'analyse, le Bureau du Procureur de la CPI avait déterminé, en avril 2012, que la Palestine était une «entité observatrice et ne pouvait pas signer le Statut de Rome».

Plusieurs mois plus tard, en novembre 2012, la Palestine a été admise à l’ONU en qualité d’«État observateur non-membre», ce qui lui donne une légitimité à rejoindre le Statut de Rome, a déclaré Fatou Bensouda au Guardian. L’adhésion à la CPI accorderait à la Palestine le droit de déposer un dossier de «crimes de guerre» contre des responsables israéliens.


Déclaration du Procureur de la Cour pénale internationale, Fatou BENSOUDA : « Tout le monde est en droit de connaître la vérité sur la compétence de la CPI concernant la Palestine » (CPI, communiqué de presse du 2 septembre 2014)

Des informations et des commentaires inexacts qui ont récemment circulé dans les médias ont donné à penser à tort que la Cour pénale internationale (CPI) avait systématiquement évité d'ouvrir une enquête sur les crimes de guerre présumés commis à Gaza en raison de pressions politiques. En tant que Procureur de la CPI, je rejette catégoriquement cette allégation dénuée de tout fondement.

Si on fait abstraction de l'agitation qui entoure ce sujet et qui fait perdre de vue toute objectivité, on comprend aisément que le Bureau du Procureur de la CPI n'a jamais été en mesure d'ouvrir une telle enquête car la Cour n'était pas compétente. Nous avons maintes fois expliqué publiquement les motifs de cette situation avec la plus grande clarté.

Les États sont libres d'adhérer au Statut de Rome, le traité fondateur de la CPI. En tant que Procureur, je peux enquêter et engager des poursuites uniquement sur des crimes commis sur le territoire ou par des ressortissants d'États parties au Statut de la CPI ou ayant accepté expressément la compétence de la Cour par voie de déclaration à cet effet en application de l'article 12‑3 du Statut.

Cela signifie que, à ce jour, la CPI ne peut connaître des crimes présumés commis en Palestine, en dépit des arguments de certains juristes qui prétendent que des règles fondamentales de compétence peuvent faire l'objet d'une interprétation libérale et sélective du Statut de Rome. Ils semblent ainsi affirmer que, l'objet et la finalité de la CPI étant de mettre un terme à l'impunité pour les crimes de masse, la Cour devrait intervenir, même lorsque des paramètres clairs relatifs à sa compétence ne sont pas satisfaits. Cette position n'est pas respectueuse des principes du droit et ne permet pas de jeter les bases d'une action judiciaire responsable.

L'Autorité palestinienne a fait part de son intention de reconnaître la compétence de la CPI en 2009. Le Bureau du Procureur a soigneusement examiné tous les arguments juridiques présentés et a conclu en avril 2012, au terme de trois années d'analyse approfondie et de consultations publiques, que le statut de la Palestine à l'Organisation des Nations Unies (ONU) en tant qu'« entité observatrice » était déterminant – puisque l'adhésion au Statut de Rome se fait par l'intermédiaire du Secrétaire général de l'ONU, qui agit en tant que dépositaire des traités. Le statut de l'Autorité palestinienne en tant qu'« entité observatrice » à l'ONU à ce moment-là l'empêchait de ratifier le Statut de Rome. Étant donné que la Palestine ne pouvait pas devenir partie au Statut de Rome, l'ancien Procureur avait conclu qu'elle ne pouvait pas non plus déposer de déclaration en vertu de l'article 12‑3 qui lui aurait permis d'accepter la compétence de la Cour, comme elle avait tenté de le faire.

Le 29 novembre 2012, l'Assemblée générale de l'ONU a accordé le statut « d'État non membre observateur » à la Palestine en adoptant la Résolution 67/19. Le Bureau a examiné les retombées juridiques de ce changement de statut et a estimé que bien que ce changement ne puisse valider rétroactivement la déclaration déposée en 2009 qui ne remplissait pas les conditions de recevabilité requises, la Palestine pouvait désormais rejoindre le système établi par le Statut de Rome.

Que la Palestine ait signé plusieurs autres traités internationaux depuis qu'elle a obtenu le statut d'« État observateur » confirme le bien-fondé de cette position. Néanmoins, à ce jour, le Statut de Rome ne compte pas parmi les traités auxquels la Palestine a décidé de devenir partie. La Palestine n'a pas non plus déposé de nouvelle déclaration suite à la Résolution adoptée en novembre 2012 par l'Assemblée générale de l'ONU. Il est de notoriété publique que les dirigeants palestiniens ont entamé un processus de consultation interne sur la question de savoir s'ils doivent déposer une telle déclaration ; la décision leur appartient entièrement et le Procureur de la CPI ne saurait la prendre à leur place.

Étant donnée la nature du mandat confié à la Cour, chaque situation dans laquelle je suis amenée à intervenir en qualité de Procureur de la CPI comportera des difficultés d'ordre politique. Mon mandat en qualité de Procureur est néanmoins très clair : enquêter sur les crimes en se fondant sur les faits et en poursuivre les auteurs en appliquant la loi au sens strict, en toute impartialité et en toute indépendance.

Que les États ou le Conseil de sécurité de l'ONU donnent ou non compétence à la CPI est une décision qui n'est pas du ressort de la Cour. Cependant, une fois cette décision prise, les règles de droit sont claires et complètement apolitiques, quelles que soient les circonstances ou la situation. J'ai clairement indiqué sans aucune ambiguïté, tant par mes actes que par mes paroles, que le Bureau du Procureur de la CPI exécuterait son mandat sans crainte ni favoritisme chaque fois que la compétence de la Cour serait établie, et poursuivrait sans relâche les auteurs de crimes à grande échelle qui heurtent profondément la conscience humaine, et ce, quel que soit leur statut ou leur affiliation. Mon Bureau suivra la même approche en Palestine si la Cour devait être reconnue compétente dans le cadre de cette situation.

Je crois fermement que le recours à la justice ne devrait jamais être compromis par des intérêts politiques. Le non-respect de cette exigence absolue entraverait non seulement le cours de la justice mais réduirait la confiance que le public a placée en elle et ne ferait qu'aggraver les grandes souffrances endurées par les victimes d'atrocités commises à grande échelle. Cela, nous ne le permettrons jamais.





Le 8 juillet, Israël lançait l'opération "Bordure protectrice", qui visait à détruire tous les passages souterrains du Hamas reliant les territoires palestinien et israélien. Au terme de pratiquement un mois de frappes intensives menées par Israël dans la bande de Gaza, une trêve de 72h permet une fragile accalmie.

Tandis que l'armée israélienne se retire progressivement de l'enclave palestinienne, l'émotion suscitée par les tirs meurtriers de ces dernières semaines ne retombe pas. Plusieurs personnalités -dont le président américain, le président français et le Secrétaire général des Nations Unies- ont pris la parole pour dénoncer les violences ayant touché principalement des civils, notamment dans des écoles de l'ONU et dans des hôpitaux.

C'est dans ce contexte qu'a été annoncé le dépôt d'une plainte devant la Cour pénale internationale (CPI). Le 25 juillet, le ministre palestinien de la Justice et le procureur général de Gaza ont, en effet, mandaté un cabinet d'avocats français, afin de déposer une plainte devant la CPI pour les crimes de guerre récemment commis. La voie choisie est l'une de celles ouvertes par le Statut de la Cour, lequel prévoit également la saisine par le Conseil de sécurité ou par le Procureur agissant de sa propre initiative.

Sur les huit situations actuellement jugées devant la CPI, deux d'entre elles ont été déférées par la voie d'une résolution du Conseil de sécurité: la région du Darfour, au Soudan, et la Libye. Bien que ces deux États ne soient pas parties au statut de la CPI, un examen des renseignements en sa possession a conduit le procureur de l'époque à ouvrir des enquêtes concernant ces situations.

Cette voie ne semble guère praticable ici. Sur les quinze membres du Conseil, elle exigerait qu'aucun des cinq membres permanents ne fasse usage de son droit de véto. Certes, les membres du Conseil sont parvenus à adopter à l'unanimité, le 28 juillet, une déclaration présidentielle dans laquelle ils exprimaient leur vive préoccupation face à la détérioration de la situation à Gaza et appelaient à un cessez-le-feu immédiat et sans conditions. Toutefois, ils demeurent divisés dans le dossier israélo-palestinien, tandis que persiste la menace d'un usage du véto par les États-Unis, lesquels ont récemment réapprovisionné en armes leur allié israélien.

Une autre voie est celle d'une auto-saisine par le Procureur. Ce dernier peut décider l'ouverture d'une enquête concernant une situation s'il vient à recevoir des renseignements concernant des crimes relevant de la compétence de la Cour. Cette procédure a été suivie dans les cas du Kenya et de la Côte d'Ivoire. Elle est toutefois uniquement possible pour les États parties au statut de la CPI. Or, ni Israël ni la Palestine n'ont adhéré à ce traité.

Une troisième voie est néanmoins possible avec la saisine de la CPI à la demande d'un État: qu'il s'agisse d'un État ayant ratifié son statut, comme dans les cas de l'Ouganda, de la République Démocratique du Congo, de la République Centrafricaine et du Mali dont les situations sont actuellement jugées; ou qu'il s'agisse d'un État ayant déposé une déclaration d'acceptation de la compétence de la Cour, à l'instar de la démarche entreprise par l'Ukraine en février 2014.

Le Gouvernement palestinien a déposé une telle déclaration en janvier 2009, afin de faire aboutir une plainte après l'opération israélienne "Plomb durci", dont les faits sont assez semblables aux événements actuels. Le Conseil des droits de l'Homme de l'ONU avait alors commandité un rapport, qui avait incriminé Israël pour la disproportion entre l'avantage militaire recherché par les attaques militaires et les dommages collatéraux, sans toutefois ignorer les tirs indiscriminés du Hamas.

À l'époque, le Procureur de la CPI n'avait pas donné suite à cette déclaration, en raison de l'incertitude du statut de l'entité palestinienne. Sa reconnaissance comme État observateur non membre de l'ONU par l'Assemblée générale, en novembre 2012, a désormais clarifié la question: la Palestine est bel et bien un État. En cette qualité, elle a donc compétence pour adhérer au statut de la CPI, même s'il semblerait que la poursuite, en vain, de négociations diplomatiques entre Israël et la Palestine ait différé les démarches de cette dernière en ce sens.

Quoi qu'il soit, selon l'argumentaire de la plainte déposée, par sa déclaration qu'elle n'a pas retirée, la Palestine rendrait la Cour compétente. En dépit de la non-adhésion d'Israël au traité fondateur de la CPI, celle-ci pourra théoriquement exercer sa compétence dès lors que l'État sur le territoire duquel l'acte a été commis a accepté sa compétence.

Cependant, l'acceptation de la compétence de la CPI ne déclenche pas automatiquement une enquête. En fonction des informations à sa disposition, il appartiendra à l'actuelle Procureure de décider si elle sollicite l'autorisation des juges pour ouvrir une enquête. À cet égard, les conclusions de la Commission d'enquête internationale indépendante créée par le Conseil des droits de l'Homme le 23 juillet pourraient, parmi d'autres sources, lui fournir une base sérieuse pour déclencher une enquête.

Dans l'hypothèse de l'ouverture d'une telle enquête, ce sera encore à la Procureure de décider si elle demande aux juges de délivrer des mandats d'arrêt ou des citations à comparaître à l'encontre des personnes suspectées d'avoir commis des crimes relevant de la compétence de la CPI. La Cour, qui n'est pas compétente pour juger des États mais exclusivement les individus responsables des crimes constatés, pourrait d'ailleurs élargir les poursuites aux combattants du Hamas, notamment pour des tirs de roquettes indiscriminés contre Israël. Ce sont donc des individus des deux camps qui pourraient être jugés et, éventuellement, condamnés à des peines de prison.

Il faut reconnaître que la tenue d'un procès s'annonce difficile. Il est probable que la procédure sera longue et que les pressions politiques seront fortes, en particulier au sein du Conseil de sécurité qui a le pouvoir de suspendre une enquête ou des poursuites pour une durée de douze mois renouvelable. De plus, la CPI n'a pas compétence pour juger en l'absence des personnes inculpées. Le cas du président soudanais, Omar el-Béchir, qui est visé par deux mandats d'arrêt internationaux, est symptomatique des limites de la juridiction.

Pourtant, la CPI trouverait ici une affaire qui lui permettrait de renforcer sa crédibilité en démentant les critiques de sa focalisation exclusive sur le continent africain. Elle offrirait une occasion unique d'enclencher une pacification par la voie juridictionnelle, là où la voie diplomatique a échoué. Enfin, elle permettrait l'accès à la justice internationale des victimes de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité, commis par quelque partie que ce soit, sur le territoire palestinien ou à partir de celui-ci.

Dans ces circonstances, on ne peut que rester dubitatif devant le communiqué de la CPI du 5 août selon lequel, étrangement, la Cour n'aurait reçu de la Palestine aucun document officiel faisant état de l'acceptation de sa compétence ou lui demandant l'ouverture d'une enquête.




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