8 décembre 2014

REVUE : La Revue des Droits de l'Homme (vol. 6, 2014)

Marie-Laure BASILIEN-GAINCHE

En 2007, le Comité Balladur pour la réforme des institutions avait brandi le futur nouvel article 11de la Constitution comme un étendard des droits fondamentaux que le peuple allait conquérir du même élan que la nouvelle voie d’accès au contrôle de constitutionnalité. Droit d’initiative populaire et recours direct au Conseil constitutionnel, les deux mamelles de la nouvelle démocratie française. Une démocratie nouvelle rééquilibrant les pouvoirs et faisant la part belle aux droits fondamentaux, bref une république moderne !

Voici pour le discours. La réalité juridique, elle, éclaire les « droits » conquis d’une autre lumière. Moins brillante. On ne reviendra pas sur la question prioritaire de constitutionnalité et les coups de rabot portés à sa traduction dans le texte constitutionnel lui-même où d’ailleurs il n’est pas question de droits fondamentaux mais de « droits et libertés que la Constitution garantit » et où en fait de recours indirect, il s’agit d’un recours filtré par les juridictions suprêmes.

Quant au référendum législatif de l’article 11, il faut chercher loin pour y voir l’expression d’un droit nouveau au bénéfice des citoyens. Ne cédons toutefois pas à la mauvaise foi en reconnaissant qu’indéniablement l’alinéa 3 de l’article 11 ouvre une nouvelle possibilité pour le peuple français de s’exprimer directement : il s’agit bien d'inaugurer un nouveau référendum. Pourtant, plusieurs indices témoignent d’une sorte de pusillanimité - pour ne pas dire plus - à octroyer effectivement ce droit d’expression politique directe.

D’abord, le délai de mise en œuvre du droit promis. Il aura fallu attendre 7 ans pour que les textes de mise en application entrent en vigueur. La loi organique et la loi du 6 décembre 2013 qui précisent l’article 11 ne le rendront effectif qu’au 1er janvier 2015.

Ensuite, l’étendue du droit espéré. Présenté dans un premier temps comme un « droit d’initiative populaire », le Comité Balladur a tout aussi rapidement conçu comme « indispensable d’[y]associer les parlementaires » (Rapport du Comité de réflexion et de proposition sur la modernisation et le rééquilibrage des institutions, Une Ve République plus démocratique, La Documentation française, 2007, p. 74). De sorte qu'on a plutôt affaire à un droit d'initiative parlementaire - une minorité d'1/5 du Parlement soit 185 parlementaires - soutenue par un nombre significatif d'électeurs - 1/10 des inscrits soit plus de 4 millions de personnes.

Enfin, la garantie du droit rêvé. Ici la modernité pourrait bien porter une atteinte irréversible au droit nouveau et à la république censée en découler. Là, le contrôle du Conseil constitutionnel pourrait enterrer définitivement ces deux biens publics. En premier lieu, les soutiens populaires seront en effet exclusivement recueillis par voie électronique (art. 5 de la loi organique) et ce uniquement à l'aide de "points d'accès à un service de communication au public en ligne" (voir pour une définition l'art. 1er II. de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique), autrement dit des bornes d'accès au vote mises à disposition "au moins dans la commune la plus peuplée de chaque canton ou au niveau d'une circonscription administrative équivalente et dans les consulats", sachant que "tout électeur peut, à sa demande, faire enregistrer électroniquement par un agent de la commune ou du consulat son soutien présenté sur papier" (art. 6 de la loi organique). Autant dire que l'expression du soutien est compliquée par une procédure largement dépendante de circonstances locales, techniques entre autres. En second lieu, on ne peut que constater la discrétion offerte au Conseil par le nouvel article 45-2 3° de l'ordonnance de 1958 portant sur le Conseil constitutionnel. Ce dernier a maintenant pour mission expresse de vérifier la compatibilité de la proposition de loi à la constitution. On espère ainsi se prémunir contre les révisions "à la De Gaulle façon 1962". Mais on donne aussi au Conseil un moyen supplémentaire de faire obstacle à l'initiative parlementaire, quoiqu'elle fût soutenue cette fois pas un nombre significatif d'électeurs. Et comme deux précautions valent mieux qu'une, on peut également voir dans l'alinéa 5 de l'article 11, le pouvoir d'un Président de reprendre le fil d'une relation exclusive avec le peuple, temporairement interceptée par le Parlement. Le Président "soumet" la proposition de loi au référendum si les parlementaires ne l'ont pas examinée à temps. L'ambiguïté de l'indicatif présent du verbe soumettre laisse penser qu'en dernière analyse, c'est bien au Chef de l'Etat que revient le pouvoir de manier l'outil référendaire dont on sait que, sous la Ve République, il n'appartient qu'à lui.

On voit donc comment par une révision vibrant de bonnes intentions à l'égard du peuple et de ses représentants, on perpétue une longue tradition exécutive toujours méfiante à l'égard de ceux-là même qu'elle est censée servir et protéger.
Charlotte GIRARD,
« Le nouvel article 11 de la Constitution, quand dire ce n'est pas faire »
(Edito)

Edito
Le nouvel article 11 de la Constitution, quand dire ce n'est pas faire, Charlotte Girard
Entretien
Entretien avec Mme Christine Lazerges, Présidente de la Commission Nationale Consultative des droits de l’homme (CNCDH) et M. Hervé Henrion-Stoffel, magistrat, conseiller juridique à la CNCDH. A propos de l’Avis de la CNCDH sur le projet de loi renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme (Assemblée plénière, 25 septembre 2014), Jacqueline Domenach
Dossier thématique : Révolutions et droits de l’Homme (II). Aspects politiques : le cas des révolutions arabes et moyen-orientales
Présentation, Véronique Champeil-Desplats et Malik Boumediene
I. Approches thématiques et transversales
Révolutions arabes et renouveau constitutionnel : une démocratisation inachevée, Malik Boumediene
Pouvoir politique, droits fondamentaux et droit à la révolte : la doctrine religieuse face aux processus révolutionnaires dans le monde arabe, Fouad Nohra
Droits des femmes et révolutions arabes, Juliette Gaté
« Jus post-révolution » : quelle place pour les droits de l’homme ?, Mamadou Meité
II. Monographie et comparaisons 
Les droits de l’homme dans la Constitution marocaine de 2011: débats autour de certains droits et libertés, Omar Bendourou
La gouvernance des droits de l’homme en Tunisie post-révolutionnaire : état des lieux, difficultés et opportunités, Souheil Kaddour
De l’opposition constituante à l’opposition constitutionnelle : réflexion sur la constitutionnalisation de l’opposition parlementaire à partir des cas tunisien et marocain, Antonin Gelblat
La Constitution égyptienne de 2014 est-elle révolutionnaire ?, Nathalie Bernard-Maugiron
Quelques observations sur la place des droits fondamentaux dans les nouvelles Constitutions tunisienne et égyptienne, Rahim Kherad
La protection ambivalente de l’égalité formelle dans la Constitution iranienne : après la Révolution de 1979, Hiva Khedri
Analyses et libres propos
Le système interaméricain de protection des droits de l’homme: particularités, percées et défis, Éric Tardif
Des idéaux à la réalité. Réflexions comparées sur les processus de sélection et de nomination des membres des Cours européenne et interaméricaine des droits de l’homme, Laurence Burgorgue-Larsen
La première décision au fond de la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples (Arrêt du 14 juin 2013 sur les affaires jointes Tangayika Law Society & The Legal and Human Rights Centre c. Tanzanie et Révérend Christopher R. Mtikila c. Tanzanie), Alain Didier Olinga 
Contribution à la clarification du régime juridique de la responsabilité de l’Etat résultant d’un placement en cellule de dégrisement, Thierry Edouard
Les fichiers d’empreintes génétiques : les systèmes français et espagnol à l’égard de la Convention Européenne des Droits de l’Homme, Francisco Ramírez Peinado
Appréhender la cyberguerre en droit international. Quelques réflexions et mises au point, Clémentines Bories
Los refugiados, umbral ético de un nuevo derecho y una nueva política, Castor M.M. Bartolomé Ruiz
Les réfugiés, seuil éthique d’un nouveau droit et d’une nouvelle politique (version française), Castor M.M. Bartolomé Ruiz
Mémoires
L’impact sur le procès pénal de l’absence des accusés dotés d’une qualité officielle. Les nouvelles règles 134 bis, ter et quater du RPP de la CPI et les « personnes en charge de fonctions publiques extraordinaires »,  Rebecca Mignot-Mahdavi 
Les lanceurs d’alerte : étude comparée France-Etats-Unis, Jean-Philippe Foegle
Conférence
Le droit au patrimoine culturel face aux révolutions,  Zeynep Turhalli

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