4 juin 2016

ACTU : Le Conseil de sécurité est appelé à déclencher une action « ferme et unifiée » contre la violence sexuelle utilisée comme tactique de guerre et de terrorisme

Catherine MAIA

Un débat ouvert sur le thème « Les violences sexuelles liées aux conflits, avec un accent particulier sur la traite des personnes » a été organisé, le 2 juin, au Conseil de sécurité par la présidence française.  Plus d’une cinquantaine d’intervenants, dont le Secrétaire général de l’ONU, préoccupés par le recours croissant à la violence sexuelle comme tactique de guerre et de terrorisme, ont proposé des solutions pour lutter contre ce phénomène.

« Partout dans le monde, nous sommes les témoins d'un nombre effroyable d'actes de violence sexuelle commis en période de conflit », a déclaré le Secrétaire général de l'ONU, Ban Ki-moon. De fait, même si l'élan politique mondial actuel a permis de réaliser certains progrès, y compris faire voler en éclat les tabous entourant cette question, nulle région n’échappe à ce fléau. 

L’expression « violences sexuelles liées aux conflits » recouvre des actes tels que le viol, l’esclavage sexuel, la prostitution, la grossesse, l’avortement, la stérilisation et le mariage forcé et toute autre forme de violence sexuelle de gravité comparable, perpétrés contre des femmes, des hommes, des filles ou des garçons, et ayant un lien direct ou indirect avec un conflit.

À ce titre, le Secrétaire général de l'ONU a mentionné les résolutions du Conseil de sécurité qualifiant la violence sexuelle de crime de guerre, crime contre l'humanité et acte constitutif de génocide, ainsi que la proclamation du 19 juin en tant que Journée internationale pour l'élimination de la violence sexuelle dans les conflits, qui sera célébrée, pour la première fois, le 19 juin prochain.  

M. Ban a noté que le déploiement sur le terrain de conseillers en matière de protection des femmes au sein des missions de la paix de l'ONU a contribué à un meilleur suivi des cas de violence sexuelle dans les conflits. Il a, par ailleurs, affirmé que les Nations Unies poursuivraient leurs efforts pour que les Casques bleus « respectent les normes d'intégrité les plus élevées envers les populations qu'ils défendent ».

Le Secrétaire général a également déclaré que le verdict rendu récemment par la Cour pénale internationale (CPI) dans l'affaire Jean-Pierre Bemba, reconnaissant ce ressortissant congolais coupable de crimes commis en République centrafricaine en 2002 et 2003, y compris des violences sexuelles à grande échelle, est le signe que « le temps de l'impunité pour la violence sexuelle employée comme arme de guerre est révolu ».

M. Ban s'est dit particulièrement préoccupé par l'utilisation de la violence sexuelle par les groupes terroristes, tels que Daech et Boko Haram, pour attirer et retenir des combattants, mais aussi pour générer des millions de dollars de revenus, sous forme de rançon.

Dans son dernier rapport sur la question, M. Ban parle d’une situation préoccupante dans 19 pays et cite les parties, en majorité des acteurs non étatiques, soupçonnées de se livrer à des exactions.  Il y fait part de ses craintes au sujet de l’utilisation de la violence sexuelle comme « tactique de guerre » par les groupes terroristes et extrémistes violents, notamment comme « punitions et récompenses » pour consolider leur pouvoir.  La violence sexuelle, s’explique-t-il, est une stratégie délibérée pour déchirer le tissu de la société, contrôler et intimider les communautés et expulser les gens de chez eux. 

« J'attends une réponse forte et unifiée de ce Conseil aux préoccupations soulevées » par ces questions, a conclu M. Ban. À cette fin, il propose 25 mesures de prévention et de répression à prendre aux niveaux national, régional et international, conscient qu’il est indispensable de promouvoir l’égalité des sexes et l’autonomisation des femmes pour traiter des causes profondes des violences sexuelles liées aux conflits, transformer les normes socioculturelles néfastes et contrer l’extrémisme violent.  

S'exprimant également devant le Conseil, la Représentante spéciale chargée de la question des violences sexuelles commises en période de conflit, Zainab Hawa Bangura, a noté que, sur les 48 acteurs pratiquant la violence sexuelle liée à des conflits à l'heure actuelle, 37 sont des groupes armés non étatiques.

Ces violences sexuelles sont une véritable tactique terroriste, a insisté Mme Bangura.  Sans exception, le premier signe de la violence extrémiste est toujours la restriction des droits de la femme.  
« La violence sexuelle n'est pas accessoire, mais fait partie intégrante de l'idéologie et des objectifs stratégiques [de ces groupes terroristes en général, et de Daech en particulier]. Ils utilisent la violence sexuelle pour faire avancer leurs objectifs politiques, militaires et économiques. Ils ont utilisé le viol et le mariage forcé dans le cadre de systèmes de punition et de récompense au travers desquels ils consolident leur pouvoir et construisent leur soi-disant "Etat" », a-t-elle dénoncé.

En ce moment même, des femmes sont vendues à Raqqa par Daech sur un véritable marché aux esclaves et les réseaux sociaux en ligne sont utilisés pour faciliter cette traite, a dénoncé Mme Zaunab Hawa Bangura.  D’après le document de réflexion présenté par la France en vue du débat, on estime qu’en 2014, les paiements versés à titre de rançons par la communauté yézidie iraquienne à Daech pourraient atteindre jusqu’à 45 millions de dollars.

Notant que les instruments dont dispose le système des Nations Unies pour agir sur la question sont principalement conçus pour lier les États membres, Mme Bangura a donc appelé à développer de nouvelles approches et de nouveaux outils.

S'agissant des victimes, la Représentante spéciale a, en outre, rappelé qu'après avoir subi des violences sexuelles atroces, les victimes sont souvent confrontées à l'isolement et la stigmatisation à leur retour dans leur communauté d'origine. « La violence sexuelle reste le seul crime qui stigmatise la victime plutôt que l'auteur », a-t-elle dénoncé, appelant à investir davantage dans la réintégration sociale et économique des victimes, mais aussi dans la protection de leurs enfants nés de viols. Il ne suffit donc pas de « ramener nos filles », comme on l’a dit pour les lycéennes enlevées par Boko Haram au Nigéria, il faut aussi les remettre dans un environnement qui les soutient. 

Sur la base du constat de ces différentes lacunes dans la réponse apportée à cette question, Mme Bangura a demandé au Conseil de sécurité d'envisager une nouvelle résolution qui fournisse les « outils pour une réponse globale et multidimensionnelle qui prenne en compte l'évolution rapide du contexte international en matière de paix et de sécurité », ainsi que le phénomène de la traite des êtres humains qui accompagne le trafic des travailleurs migrants vers les zones de conflit.

Les États membres devraient prendre des mesures pratiques en vue d’appuyer les nouveaux mécanismes de financement pour consolider le rôle des femmes et des filles, en tant que leaders et décideurs, et pour assurer leur accès aux soins de santé sexuelle et reproductive dans les situations de crise, a plaidé la représentante du Groupe de travail des ONG sur les femmes et la paix et la sécurité, Mme Lisa Davis.

Défendant « la possibilité d’avorter en cas de viol commis en situation de conflit, y compris dans les camps de réfugiés », comme le droit essentiel de chaque femme à disposer d’elle-même, le représentant de la France et Président du Conseil de sécurité pour le mois de juin 2016, a insisté sur l’autonomisation des femmes. « Nous avons aussi besoin de femmes en uniforme pour rétablir la confiance », a fait valoir la représentante des États-Unis. En tant que pays contributeur de troupes, son homologue de l’Uruguay a vu dans les opérations de maintien de la paix de l’ONU un instrument important pour prévenir et faire face à la violence sexuelle. 

Face aux allégations d’exploitation et d’abus sexuels commis par le personnel de l’ONU, notamment contre des mineurs en République centrafricaine et en Somalie, le représentant de l’Angola a, comme beaucoup d’intervenants, appuyé la politique de « tolérance zéro » et souhaité une présence accrue de « conseillères » sur le terrain pour faciliter le dialogue avec les parties aux conflits.  Au niveau régional, le Sénégal a estimé que la prévention de la violence sexuelle devait commencer par la mise en œuvre des instruments régionaux existants, notamment la Résolution 283 de la Commission africaine des droits de l’Homme et des peuples.

Le représentant de la Fédération de Russie, rejoint par celui de l’Égypte, a dénoncé, dans le rapport du Secrétaire général, une tendance à s’éloigner des terminologies conventionnelles et agréées par le Conseil de sécurité.

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