7 décembre 2016

ACTU : Dans l'affaire des Immunités et procédures pénales, la CIJ dit que la France doit garantir la protection des locaux présentés comme abritant la mission diplomatique de la Guinée équatoriale en France

Catherine MAIA

La Cour internationale de Justice (CIJ), organe judiciaire principal de l’Organisation des Nations Unies, a rendu le 7 décembre son ordonnance sur la demande en indication de mesures conservatoires présentée par la Guinée équatoriale en l’affaire relative aux Immunités et procédures pénales (Guinée équatoriale c. France).

La Cour commence par rappeler que, le 13 juin 2016, la Guinée équatoriale avait introduit une instance contre la France au sujet d’un différend ayant trait à l’immunité de juridiction pénale du vice-président de la République de Guinée équatoriale, M. Teodoro Nguema Obiang Mangue, ainsi qu’au statut juridique de l’immeuble qui «abrite l’ambassade de Guinée équatoriale en France», sis au 42 avenue Foch à Paris. Le 29 septembre 2016, la Guinée équatoriale a présenté une demande en indication de mesures conservatoires tendant notamment à ce que la France suspende toutes les procédures engagées contre le vice-président équato-guinéen ; qu’elle veille à ce que l’immeuble sis au 42 avenue Foch à Paris soit traité comme locaux de la mission diplomatique de la Guinée équatoriale en France et, en particulier, garantisse son inviolabilité ; et qu’elle s’abstienne de prendre toute autre mesure qui pourrait aggraver ou étendre le différend soumis à la Cour.

Dans son ordonnance,
  • La Cour indique, à l’unanimité, que la France doit, dans l’attente d’une décision finale en l’affaire, prendre toutes les mesures dont elle dispose pour que les locaux présentés comme abritant la mission diplomatique de la Guinée équatoriale au 42 avenue Foch à Paris jouissent d’un traitement équivalent à celui requis par l’article 22 de la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques, de manière à assurer leur inviolabilité.
  • La Cour rejette par ailleurs, à l’unanimité, la demande de la France tendant à ce que l’affaire soit rayée du rôle.

Raisonnement de la Cour

1. Compétence prima facie

La Cour note que la Guinée équatoriale entend fonder sa compétence, d’une part, sur la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée, pour ce qui est de sa demande relative à l’immunité de M. Teodoro Nguema Obiang Mangue, et, d’autre part, sur le protocole de signature facultative concernant le règlement obligatoire des différends relatif à la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques, pour ce qui est de sa demande relative à l’inviolabilité des locaux sis au 42 avenue Foch à Paris. Elle s’intéresse donc au point de savoir si les clauses attributives de juridiction contenues dans ces instruments lui confèrent compétence prima facie pour se prononcer sur le fond, lui permettant, si les autres conditions requises à cet effet sont remplies, d’indiquer des mesures conservatoires.

Elle relève à cet égard que, tant le paragraphe 2 de l’article 35 de la Convention contre la criminalité transnationale organisée que l’article I du Protocole de signature facultative subordonnent la compétence de la Cour à l’existence d’un différend relatif à l’interprétation ou à l’application de la Convention à laquelle ils se rapportent. Elle recherche donc si, prima facie, un tel différend existait à la date du dépôt de la requête.

1) La Convention contre la criminalité transnationale organisée

La Cour observe que la Guinée équatoriale fait valoir qu’il existe un différend entre les Parties au sujet de l’application de l’article 4 de la Convention contre la criminalité transnationale organisée, disposition dont elle fait découler l’immunité du vice-président équato-guinéen.

La Cour indique que l’article 4 de la Convention a pour objet de garantir que les Etats parties à cette Convention exécuteront leurs obligations dans le respect des principes de l’égalité souveraine, de l’intégrité territoriale des Etats, et de la non-intervention dans les affaires intérieures d’autres Etats. Selon elle, cette disposition n’apparaît pas créer de nouvelles règles concernant les immunités des personnes de rang élevé dans l’Etat ou d’incorporer des règles de droit international coutumier concernant de telles immunités. Tout différend qui pourrait surgir au sujet de «l’interprétation ou [de] l’application» de l’article 4 de la Convention ne pourrait porter que sur la manière dont les Etats parties exécutent leurs obligations au titre de la Convention. Or, il appert à la Cour que le différend allégué n’a pas trait à la manière dont la France a exécuté ses obligations au titre des articles de la Convention invoqués par la Guinée équatoriale ; il semble en réalité porter sur une question distincte, celle savoir si le vice-président équato-guinéen bénéficie en droit international coutumier d’une immunité ratione personae et, le cas échéant, si la France y a porté atteinte en engageant des poursuites à son encontre. En conséquence, la Cour estime qu’il n’existe pas, prima facie, de différend entre les Parties susceptible d’entrer dans les prévisions de la Convention contre la criminalité transnationale organisée, et donc de concerner l’interprétation ou l’application de l’article 4 de celle-ci. Dès lors, elle n’a pas compétence prima facie en vertu du paragraphe 2 de l’article 35 de cet instrument pour connaître de la demande de la Guinée équatoriale relative à l’immunité de M. Teodoro Nguema Obiang Mangue.

2) Le Protocole de signature facultative à la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques

La Cour rappelle que la Guinée équatoriale avance qu’il existe un différend entre les Parties au sujet de l’application de l’article 22 de la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques, qui garantit l’inviolabilité des locaux diplomatiques. Elle rappelle, en outre, que l’article I du Protocole de signature facultative lui confère compétence pour connaître des différends relatifs à l’interprétation ou à l’application de cette Convention. Elle recherche en conséquence si, à la date du dépôt de la requête, un tel différend paraissait exister entre les Parties quant au statut juridique de l’immeuble sis au 42 avenue Foch à Paris. Alors que la Guinée équatoriale a soutenu en diverses occasions que celui-ci abritait les locaux de sa mission diplomatique et devait, en conséquence, jouir des immunités reconnues par l’article 22 de la Convention de Vienne, la France a toujours refusé de reconnaître que tel était le cas, et soutient que le bien n’a jamais acquis en droit la qualité de «locaux de la mission». De l’avis de la Cour, tout porte donc à croire qu’un différend existait entre les Parties à la date du dépôt de la requête.

Toutefois, la Cour doit encore rechercher si pareil différend est de ceux dont elle pourrait connaître ratione materiae sur le fondement de l’article I du Protocole de signature facultative. A cet égard, elle relève que les droits apparemment en litige sont susceptibles de relever de l’article 22 de la Convention de Vienne, qui garantit l’inviolabilité des locaux diplomatiques, et que les actes allégués par la demanderesse s’agissant du bâtiment de l’avenue Foch (perquisitions, saisie pénale immobilière, etc.) paraissent pouvoir porter atteinte à de tels droits. Elle estime dès lors qu’il existe, prima facie, un différend entre les Parties susceptible d’entrer dans les prévisions de la Convention de Vienne et de concerner l’interprétation ou l’application de son article 22.

En conséquence, la Cour considère qu’elle a, prima facie, compétence en vertu de l’article I du Protocole de signature facultative à la Convention de Vienne pour connaître de ce différend. Elle considère qu’elle peut, sur cette base, examiner la demande en indication de mesures conservatoires de la Guinée équatoriale en ce qu’elle a trait à l’inviolabilité de l’immeuble sis au 42 avenue Foch à Paris. Elle ajoute que, à défaut d’incompétence manifeste, elle ne saurait accéder à la demande de la France tendant à ce que l’affaire soit rayée du rôle.

2. Les droits dont la protection est recherchée et les mesures demandées

S’étant déclarée incompétente, prima facie, pour connaître des violations alléguées de la Convention contre la criminalité transnationale organisée, la Cour ne s’intéresse qu’au droit prétendu de la Guinée équatoriale à «l’inviolabilité des locaux de sa mission diplomatique», au titre duquel est invoqué l’article 22 de la Convention de Vienne.

Elle commence par s’interroger sur le point de savoir si le droit que la Guinée équatoriale revendique au fond, et dont elle sollicite la protection, est plausible. Elle est d’avis que, étant donné que l’inviolabilité des locaux diplomatiques est un droit prévu à l’article 22 de la Convention de Vienne, que la Guinée équatoriale affirme avoir utilisé le bâtiment en cause comme locaux de sa mission diplomatique en France depuis le 4 octobre 2011 et que la France reconnaît que, depuis l’été 2012, certains services de l’ambassade de Guinée équatoriale semblent avoir été transférés au 42 avenue Foch, la Guinée équatoriale a un droit plausible à ce que les locaux qu’elle dit affectés à sa mission bénéficient de la protection requise par l’article 22 de la Convention de Vienne. La Cour en vient ensuite à la question du lien entre les droits revendiqués et les mesures conservatoires demandées. A cet égard, elle considère que, par leur nature même, ces mesures visent à protéger le droit à l’inviolabilité du bâtiment que la Guinée équatoriale présente comme abritant les locaux de sa mission diplomatique en France. Elle en conclut qu’il existe un lien entre le droit invoqué par la Guinée équatoriale et les mesures conservatoires demandées.

3. Risque de préjudice irréparable et urgence

De l’avis de la Cour, il ressort du dossier de l’affaire que la France n’admet pas que l’immeuble fasse partie des locaux de la mission diplomatique équato-guinéenne en France et refuse de lui accorder l’immunité conférée à de tels lieux en vertu de la Convention de Vienne, et, partant, la protection correspondante. En conséquence, il existe un risque continu d’intrusion. Elle note que, bien que les Parties soient en désaccord sur le point de savoir si des perquisitions se sont déroulées récemment, elles reconnaissent que de tels actes ont bien eu lieu en 2011 et 2012. Or, étant donné qu’il est possible que, durant l’audience au fond, le Tribunal correctionnel, d’office ou à la demande de l’une des parties, fasse procéder à un supplément d’information ou à une expertise, il n’est pas inconcevable que l’édifice de l’avenue Foch fasse l’objet d’une nouvelle perquisition.

Si tel était le cas, et s’il était avéré que le bâtiment abrite les locaux de la mission diplomatique de la Guinée équatoriale, les activités journalières de cette mission, représentation d’un Etat souverain, courraient le risque d’être sérieusement entravées, du fait par exemple de la présence de policiers ou de la saisie de documents dont certains pourraient être hautement confidentiels.

La Cour estime qu’il découle de ce qui précède qu’il existe un risque réel de préjudice irréparable au droit à l’inviolabilité des locaux que la Guinée équatoriale présente comme étant utilisés aux fins de sa mission diplomatique en France. En effet, toute atteinte à l’inviolabilité de ces locaux risquerait de ne pas pouvoir être réparée, puisqu’il pourrait se révéler impossible de rétablir le status quo ante. Ce risque est, en outre, imminent dès lors que les actes susceptibles d’infliger un tel préjudice aux droits allégués par la Guinée équatoriale peuvent intervenir à tout moment. Il est donc également satisfait, en l’espèce, au critère de l’urgence.

La Cour conclut de ce qui précède que les conditions requises par son Statut pour qu’elle puisse indiquer des mesures conservatoires concernant l’immeuble sis au 42 avenue Foch à Paris sont remplies.


Composition de la Cour

La Cour était composée comme suit : M. Yusuf, vice-président, faisant fonction de président en l’affaire ; M. Abraham, président de la Cour ; MM. Owada, Tomka, Bennouna, Cançado Trindade, Greenwood, Mmes Xue, Donoghue, M. Gaja, Mme Sebutinde, MM. Bhandari, Robinson, Crawford, Gevorgian, juges ; M. Kateka, juge ad hoc ; M. Couvreur, greffier.

***

Mme la juge XUE joint à l’ordonnance l’exposé de son opinion individuelle ; MM. les juges GAJA et GEVORGIAN joignent des déclarations à l’ordonnance ; M. le juge ad hoc KATEKA joint à l’ordonnance l’exposé de son opinion individuelle.


Source : CIJ

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