23 avril 2019

ACTU : Le Conseil de sécurité adopte une résolution sur les violences sexuelles vidée de sa substance

Catherine MAIA

Le 23 avril, au terme d'un débat sur les femmes, la paix et la sécurité, le Conseil de sécurité a adopté la Résolution 2467 (2019) exigeant de toutes les parties à des conflits armés qu’elles mettent fin aux actes de violence sexuelle et prennent des engagements précis en ce sens (§ 1), mais aussi qu’elles renforcent leur législation visant à amener les auteurs de violences sexuelles à répondre de leurs actes (§ 3).

Ce débat faisait écho aux appels du Secrétaire général, M. António Guterres, ainsi que des deux lauréats du prix Nobel de la paix 2018 – le Congolais Denis Mukwege, gynécologue «réparateur des femmes», et la Yazidie Nadia Murad, ancienne esclave sexuelle de Daesh – qui ont dénoncé les violences sexuelles comme un crime visant le plus fréquemment des femmes et des filles et réclamé justice pour les victimes.

M. Denis Mukwege a salué l’initiative de l’Allemagne, présidant les travaux du Conseil de sécurité en avril, pour avoir présenté un projet de résolution qui «met une emphase particulière sur le besoin de reconnaissance du statut des enfants nés du viol, d’une approche globale centrée sur les survivantes, mais aussi sur la nécessité d’appliquer des sanctions, de rendre justice et de fournir des réparations».

Sa co-lauréate, Mme Nadia Murad, s’est livrée, pour sa part, à un réquisitoire contre l’inaction de la communauté internationale, qui devra assumer un jour sa responsabilité de ne pas avoir su protéger et secourir les femmes yézidies aux mains de Daech. L’avocate de la jeune femme, Mme Amal Clooney, a aussi fustigé l’impasse dans laquelle se trouve actuellement le Conseil de sécurité ne parvenant pas à renvoyer cette situation à la Cour pénale internationale (CPI), conformément aux vœux de nombreux survivants yézidis, et ce, en raison de l’opposition des États-Unis, pour qui « la CPI est morte », et de la Russie.

Si la Résolution 2467 (2019) a été adoptée par 13 voix pour et 2 abstentions (Russie et Chine), le texte initial – qu’on aurait pu penser consensuel au sein de l’Organisation des Nations Unies dont l’objectif central est le maintien de la paix et de la sécurité mondiales – a été amplement vidé de sa substance, de sorte que les crimes sexuels ne sont toujours pas, au XXIe siècle, reconnus à la hauteur de leur horreur.

C’est effectivement sous la pression des États-Unis que certaines dispositions ont été amputées, afin de satisfaire l’électorat conservateur du président Donald Trump, opposé à la CPI et au droit à l’avortement.

Dans le texte initial de la résolution, il était prévu la création d’un organisme international visant à faciliter la poursuite en justice des auteurs de violences sexuelles par temps de guerre et développer la protection et l’assistance des survivants, notamment les femmes violées tombant enceintes. Ce mécanisme, qui devait permettre de faire remonter rapidement des situations de viol de masse, les signaler, les dénoncer à la communauté internationale et déclencher un mécanisme de preuves immédiates, a finalement dû être abandonné face à l’opposition américaine, appuyée sur ce point par la Russie et la Chine. Ces derniers, en particulier, ont expliqué vouloir combattre les violences sexuelles dans les conflits, mais contesté la mise en place de nouvelles structures outrepassant les mandats existants.

Pourtant, lors du débat, le renforcement de la lutte contre l’impunité a été identifié comme une priorité par de très nombreux intervenants. Ainsi, la Représentante spéciale chargée de la question des violences sexuelles commises en période de conflit, Mme Pramila Patten a-t-elle déploré que : «La réalité inacceptable aujourd’hui est qu’on s’en tire à bon compte après avoir violé une femme, un enfant ou un homme en période de conflit à travers le monde» ; et exhorté à passer «d’une culture séculaire d’impunité à une culture de responsabilité».

Dans le texte initial de la résolution, il était également prévu une mention expresse à la santé sexuelle et reproductive des femmes, déjà consacrée dans de précédentes résolutions du Conseil de sécurité en 2009 et 2013 (Résolution 1889 (2009) et Résolution 2106 (2013)). Là encore, l’opposition américaine a conduit à la disparition de cette mention dans le texte finalement adopté. Bien que des références y soient faites dans la Résolution 2467 (2019), l'administration Trump s’est déjà montrée réticente par le passé à l’emploi du terme «genre» dans les documents de l’ONU, le considérant comme une promotion déguisée des droits des personnes transgenres, de même qu'à l'évocation des grossesses à la suite de viols, la considérant comme une promotion des avortements.

Alors que la Résolution 2467 (2019) réaffirme que les victimes de violences sexuelles commises «doivent bénéficier des programmes nationaux d’aide et de réparation, ainsi que de soins médicaux, d’un accompagnement psychosocial, d’un logement où elles sont en sécurité, de moyens de subsistance et d’une assistance juridique» (§ 28), qu'elle exhorte les États Membres à protéger les victimes masculines, souvent négligées, et «à donner plus d’effet aux politiques qui offrent une aide appropriée aux rescapés de sexe masculin et remettent en question les préjugés culturels d’invulnérabilité masculine face à de telles formes de violence» (§ 32), mais aussi à envisager «la création d’un fonds destiné aux rescapés» (§ 17), plusieurs délégations ont néanmoins déploré l’édulcoration du langage et le manque de consensus sur la question des services de santé sexuelle et reproductive, y compris le droit à l’avortement, ce qui marque un net pas en arrière.

En ce sens, pour le délégué de la France, M. François Delattre : «Il est inexplicable que l'accès à la santé sexuelle et reproductive ne soit pas explicitement reconnu aux victimes de violences sexuelles, elles qui sont souvent la cible d'atroces exactions et de mutilations barbares». Alors que les victimes ont de toute évidence besoin de ces soins, «cette omission est inacceptable et porte atteinte à la dignité des femmes». « De même, il est intolérable et incompréhensible que le Conseil de sécurité soit incapable de reconnaître que les femmes et les filles qui ont subi des violences sexuelles en temps de conflit et qui n'ont évidemment pas choisi d'être enceintes, ont le droit d'avoir le choix d'interrompre leur grossesse», a-t-il ajouté.

Près de 20 ans après l’adoption de la Résolution 1325 (2000) sur les femmes, la paix et la sécurité, les violences sexuelles ne reculent pas, loin s'en faut, et continuent à être utilisées de manière systématique en de nombreux lieux, comme le déplore le rapport annuel de mars 2019 du Secrétaire général de l'ONU. La «triste réalité» est donc que sa mise en œuvre est «à la traîne», a reconnu le ministre des Affaires étrangères de l’Allemagne, M. Heiko Maas, et que «le fait de ne pas traduire en justice les auteurs de violences sexuelles crée une impunité meurtrière» qui rend d'autant plus urgente l'action en cette matière.


Source : ONU

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