3 avril 2020

ACTU : Ce virus qui traverse même les mers…

Cyril GARCIA

Contrairement aux propos surréalistes du gouvernement français en janvier 2020, qui rappelle l’épisode du nuage de Tchernobyl de 1986, un virus, cela passe les frontières. Même la mer. La peste noire était arrivée par le port de Marseille, le virus du pangolin par les aéroports. Question d’époque. Et les pays du Maghreb n’échappent pas à ce drame mondial. Ils font donc avec les moyens du bord, malgré un véritable exode médical. Selon l’Ordre des médecins français, près de 20 000 médecins maghrébins travaillent en France, soit un tiers des médecins étrangers : 25% sont nés en Algérie, 11% au Maroc et 7% en Tunisie.

Au royaume chérifien, on a pris les choses très au sérieux. Rapidement. Et on ne rigole pas avec les ordres du roi. Le territoire est extrêmement inégalitaire en termes de services hospitaliers, particulièrement dans les zones rurales et montagneuses, tout comme le nombre de médecins. Très peu de lits de réanimations, peu de kits pour les tests, etc. On s’en remet donc à la discipline et à la solidarité nationales.

Le confinement obligatoire est respecté. La population fait jusqu’à présent preuve de civisme. Les lieux publics sont interdits et une loi a été votée au parlement pour pénaliser ceux qui ne le respecteraient pas. Les seuls qui se firent remarquer sont des groupes d’islamistes qui ont organisé à Tanger et à Fès des rassemblements il y a quelques jours pour contester la fermeture de mosquées. Mais ils ont rapidement été mis au pas. Rabat contrôle ces groupes avec une main de fer depuis les attentats de Casablanca.

Afin d’éviter une catastrophe économique et une situation à l’iranienne ou à l’italienne, le roi a créé, le 15 mars dernier, un Fonds spécial pour la gestion de la pandémie du coronavirus. Le décret relatif à sa création a été publié au Bulletin officiel le 17 mars. Doté de 10 milliards de dirhams (934 millions d’euros), il doit servir à la « mise au niveau du système de santé, afin de contenir la pandémie, mais aussi au soutien à l’économie nationale, la sauvegarde de l’emploi et la réduction de l’impact social occasionné par cette situation ». Un grand élan de solidarité s’organise dans un pays où, au 28 mars, 345 cas ont été diagnostiqués et 25 personnes sont décédées. Les ministres et parlementaires font don d’un mois de salaire au profit du Fonds contre le coronavirus.

En outre, plusieurs milliardaires ont fait d’importants dons de leurs propres poches, comme le ministre de l’Agriculture, Aziz Akhannouch, première fortune du pays, ou le ministre de l’Industrie, le richissime Moulay Hafid Elalamy ,avec un chèque de 200 millions de dirhams. Le groupe OCP, premier groupe de phosphate du royaume, a également fait un don de 3 milliards de dirhams.

Le Maroc n’est pas le « Pérou », mais bel et bien la puissance montante dans la région et sa stabilité lui permet d’avoir pour le moment une réaction rapide au problème, tout en reposant sur une solidarité ancestrale pour pallier les problèmes structurels du pays.

En Algérie, ce n’est pas le même topo. Longtemps l’Algérie a eu une médecine performante. Les gouvernements de Ben Bella, de Boumediene et consorts, eurent à cœur de développer une médecine efficace sur l’ensemble du territoire. À partir de 1962, des coopérants français, dont certains issus des Réseaux Jeanson, des Bulgares et les éternels justiciers cubains, que l’on retrouve aujourd’hui en Italie, avaient formé des générations de médecins compétents. Les années 1980 furent un tournant. Les effectifs se sont amenuisés et nombre de médecins ont fui en France le Front Islamiste du Salut. Tout le monde se rappelle la présence de l’ancien président Bouteflika, francophobe à Alger, dont les médecins pratiquaient à Paris et Grenoble. S’ajoutent à ce déficit les problèmes politiques. Alger se montre incapable, pour le moment, d’être clair dans ces consignes. Tebboune peut cyniquement remercier le virus d’avoir évité un énième Hirak, qui conteste toujours la Constitution, comme son élection. La population est pour le moment en alerte. Seules les wilayas de Blida et d’Alger sont sous couvre-feu de 19 heures à 7 heures. Confinement partiel, puisque les métiers sensibles sont autorisés. Mais les wilayas de Batna, Tizi-Ouzou, Sétif, Tipasa, Constantine, Médéa, El Oued Boumerdès et Oran sont d’ores et déjà en voie de confinement. La nuit peut être folle à Alger, mais tout le monde s’attend à un confinement général. Seulement, personne ne sait quand. Le gouvernement a peu de marge de manœuvre. Avec des journalistes d’opposition encore en prison, la transparence n’est pas établie. Officiellement, au 28 mars, il y aurait 454 malades pour 29 morts. Officieusement, personne ne sait. Tout le monde prie dans toute l’Algérie pour que les choses n’empirent pas davantage, car les drames se sont suffisamment empilés depuis trop d’années.

La Tunisie est confinée. Comme au Maroc, un plan d’aide en urgence a été voté. Dans un pays toujours en rémission aux niveaux politique et économique, le virus tombe vraiment mal. Le 21 mars, le premier ministre Elyes Fakhfakh a fait voter une enveloppe de 800 millions d’euros afin de protéger les entreprises et les chômeurs. 500 millions de dinars (158 millions d’euros) vont être consacrés aux personnes mises au chômage technique et aux plus démunis, estimés à 285 000 familles. Mais dans un pays où 40% de l’économie est informelle, beaucoup de Tunisiens sont dans le doute : peuvent-ils bénéficier de cette aide ? Les artisans, essentiels à l’économie du pays, mais ne payant pas de charges, vont être exclus de cette aide. Pas sûr que les anciens étudiants, fer de lance du Printemps arabe et qui ont soutenu majoritairement l’actuel président, soient compris dans le lot, puisqu’ils bénéficient pour un grand nombre de contrats partiels et à mi-temps. Idem pour le secteur touristique. C’est le flou artistique à Tunis. Les mesures ont été prises très rapidement, sans contour réel et surtout aucune visibilité à moyen terme. Qui va payer l’aide ? On parle d’une demande au Fonds monétaire internationale (FMI), mais encore faut-il le pouvoir. Et les donateurs se font rares…

Quel est l’impact sur l’économie ? L’ancien ministre de l’Industrie estime qu’une fois sortie de la crise la Tunisie pourrait avoir perdu 5 points de son PIB et 1,6 au mieux mais, là encore, Tunis est dans le brouillard.

Le Maghreb s’adapte aujourd’hui à cette situation comme partout en Europe. Comme il le peut. Plus simplement parfois et c’est un comble vu les différences de développement des deux rives de la Méditerranée. Mais la situation politique et institutionnelle reflète les différences de gestion dans ces pays et on ne parle même pas de la Libye. L’Égypte prend, de son côté, progressivement des mesures drastiques.

Jusqu’où ira-t-on ? Dieu seul le sait (si tant est qu’il existe) mais une chose est sûre : les conséquences peuvent être graves, plus graves que prévues. Et certains pourraient encore en profiter.


Source : Un Uber pour Tobrouk 

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