1 avril 2020

NOTE : Demain, une politique de sécurité humaine ?

Jean-Marie COLLIN

La crise sanitaire du coronavirus va-t-elle enfin créer cette révolution des consciences et « nous conduire à habiter autrement le monde » ? Toutes les politiques publiques ne devraient-elles pas être modifiées ? Car le « jour d’après » « ne sera pas un retour aux jours d’avant. (…) Nous aurons appris » (Emmanuel Macron, 16 mars 2020). Le domaine de la politique de défense ne devra ainsi pas faire exception.

Au contraire, il sera temps, aux niveaux français et européen, de lancer une véritable stratégie de « sécurité humaine » et, ainsi, de renoncer à cette volonté (française) de propager une culture nucléaire.

La sécurité humaine est un concept ancien. Il fut principalement porté par l’administration canadienne au milieu des années 1990 (Lloyd Axworthy, ministre des Affaires étrangères). Nous pouvons retenir comme définition celle du professeur Jean-François Rioux selon laquelle ce concept « ne parle pas uniquement de sécurité nationale ou étatique. [Il découle] plutôt d’une définition de l’insécurité comme [étant] l’ensemble des menaces politiques, économiques, sociales, environnementales et culturelles qui confrontent les individus dans leur vie quotidienne. La sécurité humaine vise avant tout la satisfaction des besoins primaires de sécurité des individus ». Autrement dit, l’État est mis « de côté » au profit de l’Homme.

Selon la Résolution A/RES/66/290 adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies le 10 septembre 2012, la sécurité humaine a pour objet d’aider les États membres à cerner les problèmes communs et généralisés qui compromettent la survie, les moyens de subsistance et la dignité de leurs populations et à y remédier.

Après la pandémie de la grippe espagnole de 1917, et celles plus proches plus proches d’Ébola en 2014 et du SRAS en 2003, cette crise du coronavirus confirme que la santé est un problème de sécurité planétaire. D’ailleurs, c’est bien à ce titre que des opérations de coopération massive entre États (France / UE vers la Chine en début 2019 et désormais dans le sens inverse) ont été réalisées pour protéger leur population respective d’une menace « non militaire ».

Le Traité sur l’interdiction des armes nucléaires (TIAN), adopté le 7 juillet 2017, a une approche précisément basée sur cette notion de la sécurité humaine. En effet, le TIAN place au centre de ses préoccupations non pas l’État mais les populations civiles, dans l’objectif de les protéger des conséquences de l’emploi des armes nucléaires ainsi que de leur porter assistance si elles ont été victimes de ces armes (telles les Hibakushas, victimes des essais nucléaires au Japon en 1945). Les gouvernants qui ont adopté cet instrument ont compris que l’approche sécuritaire uniquement étatique était une menace à la sécurité de l’humanité.

À ce jour, le TIAN a obtenu 81 signatures et 36 ratifications. Il entrera en vigueur une fois la cinquantième ratification déposée, probablement au cours de cette année 2020.

Il n’est plus à démontrer à quel point une politique de défense, basée sur la dissuasion nucléaire, est devenue obsolète, dangereuse et financièrement insoutenable. Depuis 2003, près de 100 milliards d’euros ont ainsi été dépensés dans cet armement. Durant ces deux dernières années c'est un minimum de 9,15 milliards d'euros qui a été attribué à cette politique (4,45 Mds € en 2019 et 4,7 Mds € 2020).

Engager une nouvelle réflexion sur les véritables besoins sécuritaires de l'être humain, sur les problématiques mondiales à affronter (réchauffement climatique, futures pandémies...) doit devenir une obligation de bon sens. Cette situation d’urgence que nous vivons montre bien à quel point notre sécurité est indivisible : « Ou bien la même sécurité existe pour tous, ou bien elle n’existe pour personne. La seule base solide pour la sécurité est la reconnaissance des intérêts de tous les peuples et de toutes les nations, et de leur égalité dans les affaires internationales » (Mikhaïl Gorbatchev, Perestroïka : vues neuves sur notre pays et le monde, 1987).

La transition vers un monde sans armes nucléaires sera certainement longue, semée d’embûches et d’incertitudes, mais l’Homme, une fois sorti de cette parenthèse nucléaire, aura totalement changé son regard sur lui-même et sa sécurité.

La Campagne internationale pour abolir les armes nucléaires (ICAN) et sa branche française ICAN France travaillent résolument pour cette politique de sécurité humaine.

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