18 décembre 2020

ACTU : Selon la CIJ, l’immeuble de la Guinée équatoriale situé avenue Foch, à Paris, n’a jamais acquis le statut de mission diplomatique

Catherine MAIA

Dans son arrêt du 11 décembre 2020, rendu dans le cadre de l’affaire dite des « biens mal acquis » opposant la Guinée équatoriale à la France relative aux immunités et procédures pénales, la Cour internationale de Justice (CIJ) a rejeté la requête des autorités équato-guinéennes. Elle a déclaré que l’hôtel particulier situé au 42 avenue Foch, à Paris, n’a jamais acquis le statut de « locaux de la mission » de la Guinée équatoriale sur le territoire français, au sens de la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques (CVRD) de 1961 et, par conséquent, que la France n’a pas manqué aux obligations lui incombant au titre de ladite convention.

Cet arrêt, sur le fond, fait suite à la requête introduite par la Guinée équatoriale devant la CIJ en 2016 pour faire reconnaitre l’immunité de juridiction pénale de M. Teodoro Nguema Obiang Mangue, alors second vice-président équato-guinéen chargé de la Défense et de la Sécurité, ainsi que le statut juridique de l’immeuble abritant l’ambassade équato-guinéenne en France. 

Dans sa requête introductive d'instance, la Guinée équatoriale avait indiqué que l’affaire tirait son origine de procédures pénales engagées contre M. Teodoro Nguema Obiang Mangue devant la justice française à partir de 2007, à la suite de plusieurs plaintes déposées par des associations et par des personnes privées contre certains chefs d’Etat africains et des membres de leurs familles, pour des faits de « détournements de fonds publics dans leur pays d’origine, dont les produits auraient été investis en France ». 

En 2018, dans son arrêt sur les exceptions préliminaires, la CIJ avait admis qu’elle n’avait pas compétence sur la base de l’article 35 de la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée. En revanche, elle avait compétence, sur la base du protocole de signature facultative à la CVRD concernant le règlement obligatoire des différends, pour se prononcer sur la requête déposée par la Guinée équatoriale, en ce qu’elle avait trait au statut de l’immeuble sis au 42 avenue Foch à Paris en tant que locaux de la mission, et que ce volet de la requête était recevable.

Dans cette affaire, les deux parties s’opposaient, d’une part, quant au statut véritable de l’immeuble du 42 avenue Foch à Paris, la Guinée équatoriale défendant, contrairement à la position des autorités françaises, qu’il s’agissait de locaux de la mission diplomatique équato-guinéenne en France, conformément à la définition de l’alinéa i) de l’article 1er de la CVRD. Selon cette disposition : « L’expression ‘locaux de la mission’ s’entend des bâtiments ou des parties de bâtiments et du terrain attenant qui, quel qu’en soit le propriétaire, sont utilisés aux fins de la mission, y compris la résidence du chef de la mission ».

Les deux parties s’opposaient, d’autre part, quant à la légalité des mesures prises par les autorités françaises à l’égard de cet immeuble à l’aune des obligations de la France en vertu de l’article 22 de la CVRD reconnaissant l’inviolabilité des locaux des missions diplomatiques et l’immunité de ces dernières en matière de perquisition et de saisie. Selon cet article : « 1. Les locaux de la mission sont inviolables. Il n’est pas permis aux agents de l’État accréditaire d’y pénétrer, sauf avec le consentement du chef de la mission. 2. L’État accréditaire a l’obligation spéciale de prendre toutes mesures appropriées afin d’empêcher que les locaux de la mission ne soient envahis ou endommagés, la paix de la mission troublée ou sa dignité amoindrie. 3. Les locaux de la mission, leur ameublement et les autres objets qui s’y trouvent, ainsi que les moyens de transport de la mission, ne peuvent faire l’objet d’aucune perquisition, réquisition, saisie ou mesure d’exécution ».

Sur ce point, Malabo reprochait notamment à la justice française d’avoir procédé, le 14 février 2012, à une perquisition de l’immeuble du 42 avenue Foch, qui avait été vendu par M. Teodoro Nguema Obiang Mangue, à la Guinée Equatoriale en 2011 et affecté, depuis lors, à la mission diplomatique équato-guinéenne. Cette perquisition s’était déroulée dans le cadre d’une enquête visant Teodorin Obiang, le fils du président Teodoro Obiang Nguema (chef d’État détenant le record de longévité au pouvoir en Afrique depuis sa prise de fonction en 1979), qui avait acquis depuis 2016 la qualité de vice-président chargé notamment de la Défense et de la Sécurité de son pays. Malabo reprochait également la saisie pénale immobilière de l’hôtel particulier de l'avenue Foch, le 19 juillet 2012, saisie décidée en tant que mesure conservatoire en vue de préserver l’efficacité d’une éventuelle confiscation de l’immeuble prononcée ultérieurement à titre de peine.

En l'espèce, la CIJ débute son raisonnement par l’analyse des circonstances dans lesquelles un bien acquiert le statut de « locaux de la mission » au sens de l’alinéa i) de l’article 1er de la CVRD. Sur ce point, la CIJ considère que ladite convention n’autorise pas un État accréditant à imposer unilatéralement son choix de locaux de la mission à l’État accréditaire lorsque ce dernier a objecté à ce choix. Une telle objection doit être communiquée en temps voulu, ne doit pas être arbitraire, ni avoir un caractère discriminatoire. Lorsque l’ensemble de ces conditions sont remplies, ce bien n’acquiert pas le statut de « locaux de la mission » et ne bénéficie pas donc de la protection prévue à l’article 22 de la CVRD.

Concernant la question de l’objection, dans la présente espèce, la Guinée équatoriale avait, le 4 octobre 2011, informé pour la première fois la France que son immeuble du 42 avenue Foch abritait des locaux de sa mission diplomatique. Dans les jours qui ont suivi, la France avait communiqué son objection à cette désignation. Par la suite, Paris a objecté à chacune des assertions de Malabo proclamant que cet immeuble faisait office de locaux pour sa mission diplomatique, maintenant constamment son objection à une telle désignation. Pour Paris, la luxueuse propriété estimée à une valeur de 107 millions d'euros et se situant parmi les quartiers les plus aisés de la capitale française était, en réalité, la résidence de Teodorin Obiang. 

La Cour d'appel de Paris avait condamné ce dernier, le 10 février 2020, à trois ans de prison avec sursis et 30 millions d'euros d'amende, ainsi qu’à des confiscations, pour s'être bâti, grâce au pillage des fonds publics de son pays, un patrimoine considérable investi non seulement en France, mais également dans d’autres pays. La Cour d’appel confirmait ainsi la compétence de la justice française pour juger les faits reprochés en France à Teodorin Obiang, estimant qu’au moment des faits, celui-ci n’était ni chef de l’État, ni chef du gouvernement, ni ministre des Affaires étrangères, fonctions qui auraient pu le faire bénéficier de l’immunité. Si, en France, c’était la première fois qu’un haut dirigeant étranger en exercice était condamné pour des faits de blanchiment d’abus de biens sociaux et de détournement de fonds publics, Téodorin Obiang, connu pour son train de vie dispendieux, a également fait l’objet de poursuites pour les mêmes chefs d'accusations, dans d'autres pays d’Europe (Suisse, Belgique) et d’Amérique (Brésil).

Selon la France, la Guinée équatoriale a abusé de ses droits en promouvant Teodorin Obiang au poste de vice-président, afin que lui soit reconnue une immunité ratione personae, de même qu’en délocalisant son ambassade à Paris postérieurement au début de l’enquête pénale, afin que soit reconnue à l’immeuble en cause une inviolabilité le mettant à l’abri de toute saisie. La CIJ en conclut que, « dans les circonstances de la présente affaire, la France a objecté en temps voulu à la désignation, par la Guinée équatoriale, de l’immeuble comme locaux de sa mission diplomatique » (§92). 

Concernant la question de savoir si l’objection française a un caractère arbitraire ou discriminatoire, la CIJ admet l’existence de « motifs raisonnables » justifiant la décision française d’objecter à la désignation équato-guinéenne de l’immeuble comme locaux de sa mission diplomatique, lesquels étaient connus ou auraient dû être connus de la Guinée équatoriale (§110). À cet égard, la CIJ relève que l’objection de la France ne privait nullement la Guinée équatoriale de locaux diplomatiques sur le territoire français, puisqu’elle disposait déjà d’une mission diplomatique à Paris, laquelle a continué à être considérée comme telle par les autorités françaises.

La CIJ admet également que la preuve n’a pas été apportée que la France ait agi de manière discriminatoire, celle-ci ne traitant pas différemment les autres États accréditants dans la même situation. Ainsi, son objection n’avait un caractère ni arbitraire ni discriminatoire.

Pour l’ensemble de ces motifs, la CIJ conclut qu’elle ne peut faire droit aux demandes de la Guinée équatoriale la priant de déclarer que la France est tenue de réparer le préjudice causé et de reconnaître à l’immeuble en cause le statut de locaux de la mission diplomatique équato-guinéenne.

L’arrêt de la CIJ met ainsi un terme à une affaire dont les prémisses ont commencé il y a 12 ans, en décembre 2008, par une plainte de Transparency International France (avec le soutien juridique de Sherpa) auprès du Procureur de la République de Paris à l’encontre de certains chefs d’État africains, et de membres de leurs familles, pour des détournements allégués de fonds publics dans leur pays d’origine, dont les produits auraient été investis en France. Cette plainte avait été déclarée recevable par la justice française, une information judiciaire ayant été ouverte en 2010 pour les chefs de « recel de détournement de fonds publics », « complicité de recel de détournement de fonds publics, complicité de détournement de fonds publics, blanchiment, complicité de blanchiment, abus de biens sociaux, complicité d’abus de biens sociaux, abus de confiance, complicité d’abus de confiance et recel de chacune de ces infractions ». 

Des enquêtes concernant le mode d’acquisition d’un important patrimoine immobilier et mobilier en France ont alors été diligentées, visant non seulement Teodoro Nguema Obiang Mangue, alors ministre de l’Agriculture et des Forêts de la Guinée équatoriale, mais également des chefs d’État et leurs proches, dont Denis Sassou Nguesso (Congo-Brazzaville), feu Omar Bongo et son clan (Gabon), ou encore Paul Biya (Cameroun). Les juges français ont achevé en 2017 l’instruction du volet gabonais de l’affaire, tandis que l’enquête concernant les patrimoines français d'autres chefs d'Etat est en cours.

Même si on peut regretter que cet arrêt consacre une « contradiction insoluble »  entre le droit (l'immeuble du 42 avenue Foch n’ayant jamais obtenu légalement le statut de « locaux de la mission ») et les faits (la mission équato-guinéenne ayant opéré en pratique depuis l'immeuble du 42 avenue Foch), il laisse ouverte la question de ses conséquences. Peut-être permettra-t-il d'envisager d'atteindre l'objectif ultime des parties civiles engagées dans cette affaire, à savoir la restitution des avoirs aux populations spoliées. Si des mesures concrètes venaient à être prises en ce sens, un message fort serait assurément envoyé à l’ensemble des kleptocrates de la planète. 



Catherine MAIA, « Selon la CIJ, l’immeuble de la Guinée équatoriale situé avenue Foch, à Paris, n’a jamais acquis le statut de mission diplomatique », Multipol, 18 décembre 2020


1 commentaire :

  1. Ce qui m’impressionne à travers cet arrêt de la Cour, chose que vous avez souligné au dernier paragraphe de votre blogue, Madame, c’est le fait pour la Cour d’avoir su établir la différence entre l’occupation de fait (la mission équato-guinéenne ayant opéré en pratique depuis l'immeuble du 42 avenue Foch) et l’occupation de droit (l'immeuble du 42 avenue Foch n’ayant jamais obtenu légalement le statut de « locaux de la mission), c’est-à-dire, la démarcation entre l’occupation de facto et l’occupation de jure, en règlement des différends territoriaux. Ceci me rappelle l’affaire de la Frontière terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigéria (Cameroun c. Nigéria; Guinée Équatoriale (intervenant)) à propos de la presqu’île de Bakassi, devant la même Cour dès le 29 mars 1994 et aux termes de laquelle, le Nigéria succomba par l’arrêt du 10 octobre 2002. La Cour avait en effet décidé de la souveraineté camerounaise sur la presqu'île de Bakassi, alors même qu’il avait une forte présence de la population nigériane sur ce territoire et qui y vivait pendant longtemps moyennant la pratique de l’agriculture, des écoles et des entreprises ou emplois qu’elle avait créés et elle occupait aussi. Sauf que cette présence de la population nigériane sur ce territoire ne reposait pas sur un titre juridique, sinon, la Cour aurait pu décider autrement. Dès lors et pour en venir à l’affaire en question (affaire dite des « biens mal acquis » opposant la Guinée équatoriale à la France relative aux immunités et procédures pénales), en décidant que l’immeuble de la Guinée équatoriale situé avenue Foch, à Paris, n’a jamais acquis le statut de mission diplomatique, doit rappeler que le fait pour la mission équato-guinéenne d’avoir opéré en ‘’pratique’’ depuis l'immeuble du 42 avenue Foch, ne saurait être confondu à ce qui aurait pu se faire de manière légale, c’est-à-dire, en vertu d’un titre juridique. Roland Melaine Toe

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