Dans un décret publié dans la nuit du 19 au 20 mars 2021, le président turc, Recep Tayyip Erdoğan, a annoncé que son pays cessait d’être partie à la Convention sur la prévention et la lutte contre la violence à l'égard des femmes et la violence domestique, dite Convention d’Istanbul. Adoptée sous l’égide du Conseil de l’Europe le 11 mai 2011 et entrée en vigueur le 1er août 2014, la Turquie était devenue le premier pays à la ratifier en 2012. Elle est désormais le premier pays à s’en retirer, faisant pour la première fois le choix de se délier d’un instrument international de protection des droits humains.
Dans le prolongement de la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies en 1979, la Convention d’Istanbul est le premier traité traitant spécifiquement des questions de violences tant physiques que psychologiques à l’encontre des femmes, telles que le viol conjugal, les violences domestiques, le harcèlement, les mutilations génitale féminines ou les mariages forcés. La Convention d’Istanbul repose sur quatre piliers formant les « 4 P » : la prévention des violences à l’encontre des femmes, la protection des victimes, la poursuite des auteurs de violences, ainsi que la mise en place de politiques intégrées associant institutions publiques et société civile. En tant que premier instrument en Europe à établir des normes contraignantes combinant les dimensions de prévention, de protection, de sanction et de fourniture de services adaptés pour répondre aux besoins des victimes, cette convention représente une avancée essentielle, bien que seuls 33 des 47 États membres du Conseil de l’Europe l'aient ratifié à ce jour.
Pour garantir une mise en œuvre efficace, la Convention d’Istanbul prévoit un mécanisme de suivi composé de deux organes : d’une part, un groupe de 10 experts indépendants reconnus pour leur expertise dans le domaine des droits humains, le GREVIO, chargé d’établir des rapports sur des thématiques relatives à la convention, d’autre part, un comité des parties, chargé de donner suite aux rapports et conclusions du GREVIO et d’adopter des recommandations à l’égard des parties concernées. Par ailleurs, la Convention d’Istanbul prévoit deux types de procédures de suivi dans le cadre du GREVIO : à la procédure d’évaluation pays par pays, comportant des rapports et des conclusions, s’ajoute une procédure spéciale d’enquête d’urgence pouvant être déclenchée dans le cas où des informations fiables indiqueraient que des mesures sont nécessaires pour prévenir des violations graves, répandues ou récurrentes.
Le rapport publié par le GREVIO en 2018, au terme de la première procédure d’évaluation du niveau de conformité de la législation et de la pratique turques dans les domaines couverts par la Convention d'Istanbul, a notamment mis en exergue plusieurs obstacles aux efforts des autorités publiques dans leurs actions de prévention et de combat des violences à l’égard des femmes. L'un de ces obstacles est « l’absence d’évaluation systématique et approfondie des politiques publiques du point de vue de leur impact potentiel sur l’égalité entre les femmes et les hommes et la violence à l’égard des femmes ». Un autre obstacle tient à « la tendance à mettre en avant les rôles traditionnels des femmes en tant que mères et aidantes, ce qui ne contribue guère à remettre en cause les stéréotypes discriminatoires sur les rôles et les responsabilités des femmes et des hommes dans la famille et dans la société » (p. 7). Un autre obstacle encore est lié au manque de données et de preuves « attestant que les actes de violence font l’objet d’enquêtes, de poursuites et de sanctions effectives », générant un climat d'impunité (p. 28), qui transparait dans divers arrêts de la Cour européenne des droits de l'homme condamnant la Turquie pour non-respect de son devoir de diligence dans des cas de violence domestique (p. 21). Aussi, le GREVIO a-t-il demandé au gouvernement turc de « promouvoir les programmes et activités en faveur de l’autonomisation des femmes et des filles en mettant fin aux stéréotypes discriminatoires, afin de faire respecter leur droit à une vie exempte de violence » (p. 126). Le rapport n'observe toutefois pas une hostilité généralisée du gouvernement turc envers la Convention d’Istanbul, raison pour laquelle sa dénonciation a paru si brutale.
Une telle dénonciation était toutefois souhaitée depuis plusieurs années par les milieux religieux et conservateurs turcs pour lesquels non seulement ce traité nuirait aux valeurs familiales traditionnelles et encouragerait le divorce en prônant le principe d’égalité des sexes, mais il favoriserait également la communauté LGBTQ en prohibant la discrimination en fonction de l’orientation sexuelle. C’est en ce sens que le communiqué présidentiel du 21 mars 2021 indique que si la Convention d’Istanbul visait originellement à promouvoir les droits des femmes, cet instrument a été détourné de sa finalité initiale en vue de normaliser l’homosexualité, laquelle est incompatible avec les valeurs sociales et familiales turques. Dans un contexte marqué par une crise économique, une inflation galopante et la corruption – autant de facteurs risquant de miner le soutien électoral au parti présidentiel, l’AKP – cette référence aux valeurs sociales et familiales apparait pour certains comme un biais pour détourner l'attention d'une gestion calamiteuse de la pandémie de Covid-19, pour d'autres comme une garantie donnée à la frange la plus conservatrice de la société dans l’optique des échéances électorales législatives et présidentielles de 2023. Elle succède à la transformation du ministère des Affaires féminines en ministère de la Famille et des Politiques sociales en 2012. Elle pourrait trouver un prolongement avec d’autres retraits, les milieux religieux et conservateurs ayant aussi en ligne de mire la Convention des Nations Unies sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes de 1979 et la Convention du Conseil de l'Europe sur la protection des enfants contre l’exploitation et les abus sexuels de 2007.
Pour l'heure, la dénonciation de la Convention d'Istanbul a aussitôt provoqué des manifestations de mécontentement dans plusieurs villes du pays. Pour les associations féministes turques, la décision présidentielle – à la constitutionnalité douteuse faute d'accord parlementaire – est très inquiétante. Elle risque de conforter le climat d'impunité, le gouvernement étant accusé de pas appliquer correctement les législations pertinentes en vigueur, dont le dispositif central est aujourd'hui la loi n° 6284 de 2012 sur la protection de la famille et la prévention de la violence à l’égard des femmes.
Plusieurs pays et organismes internationaux ont exhorté la Turquie à reconsidérer son retrait de la Convention d’Istanbul. « C’est un pas en arrière extrêmement décourageant pour le mouvement international contre les violences faites aux femmes », a déploré le président américain, Joe Biden. Le ministre des Affaires étrangères français, Jean-Yves Le Drian, a également regretté « un recul des droits préoccupant ». Cela « envoie un mauvais signal à l'Europe, mais surtout aux femmes turques », a estimé, quant à lui, le ministre allemand des Affaires étrangères, Heiko Maas.
Dans un communiqué, le Conseil de l'Europe a qualifié ce retrait de la Turquie de « revers considérable » qui « compromet la protection des femmes » dans ce pays. Dans la même veine, ONU femmes a souligné que cette décision intervient à un moment où un engagement pour mettre fin à la violence à l'égard des femmes et des filles est plus primordial que jamais face à l'augmentation des cas de violence signalés à l'encontre des femmes et des filles pendant la pandémie de Covid-19. En raison des mesures de confinement et des perturbations des services de soutien vitaux, ces violences sont venues s'ajouter aux niveaux extrêmes de brutalité déjà existants dans le pays. L'association turque « Nous mettrons fin aux féminicides » en a recensé 300 pour la seule année 2020 et 77 depuis le début de l'année 2021.
Il est peu probable que président Erdoğan soit sensible à ces diverses déclarations. Conformément à l’article 80 de la Convention d’Istanbul, le retrait de la Turquie prendra effet « le premier jour du mois suivant l’expiration d’une période de trois mois après la date de réception de la notification [de la dénonciation] par le Secrétaire général » du Conseil de l'Europe, à savoir le 1er juillet 2021. Il faut espérer que d’autres pays, notamment la Pologne où cette question est aussi d'actualité, ne suivront pas le même chemin, ce qui minerait plus encore les efforts réalisés dans la lutte contre les violences faites aux femmes.
Dans un communiqué, le Conseil de l'Europe a qualifié ce retrait de la Turquie de « revers considérable » qui « compromet la protection des femmes » dans ce pays. Dans la même veine, ONU femmes a souligné que cette décision intervient à un moment où un engagement pour mettre fin à la violence à l'égard des femmes et des filles est plus primordial que jamais face à l'augmentation des cas de violence signalés à l'encontre des femmes et des filles pendant la pandémie de Covid-19. En raison des mesures de confinement et des perturbations des services de soutien vitaux, ces violences sont venues s'ajouter aux niveaux extrêmes de brutalité déjà existants dans le pays. L'association turque « Nous mettrons fin aux féminicides » en a recensé 300 pour la seule année 2020 et 77 depuis le début de l'année 2021.
Il est peu probable que président Erdoğan soit sensible à ces diverses déclarations. Conformément à l’article 80 de la Convention d’Istanbul, le retrait de la Turquie prendra effet « le premier jour du mois suivant l’expiration d’une période de trois mois après la date de réception de la notification [de la dénonciation] par le Secrétaire général » du Conseil de l'Europe, à savoir le 1er juillet 2021. Il faut espérer que d’autres pays, notamment la Pologne où cette question est aussi d'actualité, ne suivront pas le même chemin, ce qui minerait plus encore les efforts réalisés dans la lutte contre les violences faites aux femmes.
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