Du 19 au 30 juin, le Conseil des droits de l’homme a tenu sa première session très attendue depuis sa création il y a quelques mois, suite à un vote de l’Assemblée générale. L’idée fondamentale qui a mené un changement organique reposait sur une volonté de rendre efficace une Commission des droits de l’homme qui, faut le rappeler, était devenue de plus en plus politisée.
La politisation de cet organe est une vieille question, puisqu’il vivait déjà dans un clivage Est/Ouest, s’équilibrant de temps à autre grâce aux pays non-alignés. Cette politisation s’est ressentie sur l’activité normative et de contrôle, transformant ses mécanismes de plaintes ou spéciaux en mécanismes inquisitoires. Ce qui a eu pour effet de bloquer tout dialogue et d’amener certains Etats à militer pour la suppression de certaines procédures spéciales. Le nouvel organe a donc pour vocation de rapprocher les Etats et de construire une culture des droits de l’homme, de sortir des vieilles logiques de confrontation, par le dialogue et la coopération, afin que les Etats s’aident les uns les autres, dans le plus grand bénéfice des droits de l’homme et de la dignité humaine. Il s’agit de passer à une culture de résultats, à l’aune desquels le Conseil sera jugé. C’est ce qui ressort des allocutions prononcées par les dignitaires lors de cette première session du Conseil. Les réflexions que nous développons ici tentent de répondre à une question fondamentale : quelles leçons tirer de cette première session pour l’avenir? Pour cela, voyons quel est le bilan de cette session et quelles perspectives se profilent à l’horizon.
I. Quel bilan ?
L’objectif de cette première session du Conseil était d’en faire un succès afin de marquer un nouveau départ dans la lutte pour les droits de l’homme. Aussi, fallait-il éviter les divisions d’antan et montrer un esprit de coopération et de dialogue. Le Conseil a travaillé dans cet esprit, même si des divergences sont apparues sur certains sujets. Engagement des Etats On peut relever positivement que les dignitaires ont exprimé l’engagement de leurs pays à donner une impulsion nouvelle au problème des droits de l’homme. Plusieurs allocutions sont allées dans ce sens et on a pu noter une réelle volonté de changer de culture. Un accent a été mis sur le dialogue, la coopération, une égale considération pour les droits économiques, sociaux et culturels, le droit au développement, la lutte contre la pauvreté et la solidarité internationale. Ces points avaient d’ailleurs constitué la revendication suprême des pays en voie de développement dès le début des négociations d’avril 2006. Ils constituaient la balance avec l’exigence d’un nouveau mécanisme de contrôle, posée par les pays occidentaux en général. La bataille sur le point d’équilibre s’est jouée sur la taille du nouveau Conseil entre la tendance minimaliste et la tendance maximaliste. Le contenu de ces discours révèle de manière générale une volonté de changement dans le modus operandi et le ralliement de tous à un seul objectif : la réalisation effective des droits de l’homme.
Réforme des procédures spéciales et autres mécanismes
D’une manière générale, la volonté de dialogue s’est traduite lorsqu’on a abordé la question des réformes à opérer. Ces réformes, voulues et nécessaires, marqueraient sans doute une étape supplémentaire dans la mode opératoire. Ainsi, presque tous les Etats ont pu convenir de la nécessité de rationaliser et d’harmoniser les procédures de plaintes, les procédures spéciales et la Sous-Commission. Ce legs positif de l’ancienne commission est conservé mais devrait, pour la plupart des Etats, subir un toilettage susceptible de le rendre plus efficace. Cette « nouvelle entente » a eu comme résultat l’adoption sans vote des textes y référant. Dans ce sens, la proposition de réforme des mécanismes de traités n’emporte ni l’enthousiasme des Etats, ni celui des experts. Il est peu probable que cette initiative aille plus loin pour l’instant. Raisons : spécificité de chaque traité, difficile harmonisation de la jurisprudence…
Adoption des textes
L’exigence posée était d’adopter les textes sans recours au vote. Le résultat peut être apprécié comme suit. La plupart des textes thématiques ont été adoptés sans mise aux voix, alors que les textes « géographiques » et les textes politiquement sensibles ont fait l’objet d’oppositions. Quelques explications s’imposent. Le texte sur les disparitions forcées a rallié le consensus et faisait depuis longtemps l’objet de négociations par la France. Celle-ci a pu rallier à sa cause tant les pays de l’Union européenne et affiliés, que les pays de l’Amérique centrale, qui ont souffert historiquement de ce fléau. Ce fléau, historiquement sud-américain, avait été à l’origine d’une des premières procédures spéciales. Il s’est répandu depuis lors. Le ralliement à ce consensus s’explique aussi par le fait qu’il est difficile, par conscience politique, de s’opposer à un texte d’une telle portée morale qui vise à lutter contre une telle barbarie. Il en a été ainsi d’autres textes dans l’histoire des Nations Unies. Nous pensons à la torture ou à l’apartheid. De même, le texte sur le droit au développement a une tradition d’adoption sans vote, il eût été difficile de le mettre aux voix. Le même argument peut être valable sur le texte concernant les droits économiques, sociaux et culturels, puisque tous les Etats reconnaissent la nécessité de les mettre au premier plan, même si des divergences apparaissent sur les méthodes à adopter et sur la nature de ces droits. Certains Etats ayant expliqué leur ralliement au consensus, bien que divergeant sur certains points, sont restés ouverts à une poursuite du dialogue.
Cette disposition d’esprit n’a pas prévalu par rapport à d’autres projets de textes : Palestine, autochtones, incitation à la haine raciale et religieuse et promotion de la tolérance. Dans le premier cas, celui de la situation des droits de l’homme en Palestine et territoires occupés, il s’agit d’une vieille question qui, bien que se justifiant, a été mal posée. En outre, elle a été posée alors que des opérations militaires se déroulaient en Palestine. Elle traduit les clivages déjà observés dans l’ex-commission entre deux blocs ainsi que la logique des équilibres politiques et régionaux. Question géographique par excellence, la Palestine reflète une des questions que le Conseil devra aborder avec parcimonie. Le texte sur les populations autochtones n’a pas obtenu le consensus pour des raisons de politique interne. Ceci était envisageable, parce que certains des Etats sont confrontés à des velléités de sécession fondées sur une interprétation trop large et erronée du concept d’autodétermination. Ils ne pouvaient ainsi voter pour un texte qui serait allé contre leur droit interne. Il y a là un argument d’une impossibilité juridique et un obstacle conceptuel. Néanmoins, beaucoup d’Etats sont restés ouverts au dialogue sur cette question : c’est la position du Canada, de l’Australie et de la Nouvelle-Zélande.
Le dernier texte sur l’incitation à la haine raciale et religieuse reflète, d’une part, un sujet d’actualité récente, d’autre part, deux visions d’appréhender un même problème. Il se heurte non pas à un conflit de civilisations, mais à une différence d’approches du phénomène religieux, tel que saisi par les différentes cultures et sociétés. Sujet d’actualité, il s’est avéré aussi politique et ne pouvait ainsi entraîner un consensus. Les Etats occidentaux s’y seraient condamnés eux-mêmes, reniant alors certains éléments fondamentaux et acquis de leurs sociétés. Ils s’y sont opposés. A la lumière de ce bref bilan, quelles perspectives pour le futur ?
II. Quelles perspectives ?
Nous présentons celles qui ont retenu notre attention.
Concernant les droits économiques, sociaux et
culturels, le Conseil est sur le point de
faire des efforts en ce qui concerne l’adoption de normes plus adéquates,
venant combler les lacunes des instruments existants. Cependant, la question
reste d’application difficile, parce qu’elle dépend du niveau économique et de
développement de chaque État. C’est un droit-programme, un droit à réalisation
progressive, qui ne dépend de la seule volonté des Etats. Cette question liera
plus les Etats occidentaux, plus riches, à la solidarité internationale envers
les pays pauvres. D’autre part, les Etats occidentaux feraient l’objet de
requêtes plus fréquentes auprès du Comité de contrôle, notamment en matière de
droit au travail, de droit à l’alimentation… Les négociations seront très
difficiles, eu égard à la position de certains Etats, qui pensent que ces
droits sont de nature et d’application différentes des droits civils et
politiques. La divergence n’apparaissant pas au niveau du principe mais de la
méthode, il pourrait être le lieu d’affrontements Nord/Sud.
Au-delà des bonnes intentions, le
droit au développement, parce qu’il crée une obligation de solidarité renforcée
de la part des pays occidentaux, sera difficile à mettre en œuvre. Les
négociations tendront alors à le vider de sa substance originelle pour en
atténuer la portée. Il pourra être l’une des pierres d’achoppement du Conseil
des droits de l’homme. Il est de même essence que les droits sociaux,
économiques et culturels. Il peut poser les mêmes problèmes de méthode et
produire le même affrontement.
La réforme des mécanismes internes au Conseil – processus amorcé depuis la Conférence de Vienne de
1993 – semble ne pas poser de problèmes majeurs quant au principe. Cependant,
une analyse serrée du débat général tend à montrer que les procédures spéciales
dites « gênantes » par les Etats risquent une fusion avec d’autres,
si ce n’est une disparition. Là encore, il faut souligner que les méthodes de
travail des procédures spéciales pourraient être revues, car plusieurs Etats
réclament un code de conduite pour ces mandats. Ce qui veut dire un plus grand
contrôle des Etats. La même tendance s’observe au niveau des nominations
d’experts, dont les critères sont l’objet de contestations. L’indépendance des
titulaires des mandats pourrait être plus encadrée, comme semblent le suggérer
les positions de la Russie, de la Chine…
La procédure de plainte 1503 tend à subir un toilettage. Elle pourrait perdre son
caractère confidentiel.
Les situations géographiques sont celles où les logiques régionales, politiques,
sont les plus fortes et se poursuivraient. Cependant, ce fait pourrait être
atténué par le succès du mécanisme d’évaluation, à condition que les Etats
fautifs acceptent de s’amender d’eux-mêmes. On sait cependant, que les Etats
sont moins enclins, lorsqu’ils sont auteurs de violations massives, à ouvrir
leurs portes à des « yeux inquisiteurs » (exemple du Soudan). Il
serait alors plus bénéfique que le dialogue s’installe entre le Conseil et les
organisations régionales, de sorte que les projets de résolutions/décisions par
pays, soient présentés par les groupes régionaux dont l’État violateur est
issu. Si l’on ne peut atteindre ce résultat, il est utile que de tels projets
emportent l’opinion la plus large. La personnalité des négociateurs y sera pour
beaucoup. En l’absence d’un tel dialogue, la logique régionale prévaudra comme
ce fut le cas dans l’ancienne Commission. Nous illustrons notre propos par deux
cas en Afrique : le cas Hissène Habré et le cas Taylor. Dans le premier,
la logique régionale s’oppose à toute extradition demandée par les
occidentaux ; dans le second, après dialogue et coopération, la logique
africaine a accepté une extradition. Les groupes régionaux sont réfractaires à
des résolutions qui tendent à condamner un des leurs et à révéler leurs propres
incapacités.
Enfin, la Palestine (situation spécifique) restera un point d’achoppement pour le nouveau
Conseil. Question difficile, parce que le Conseil ne peut se saisir uniquement
des violations sans une solution politique globale. Il est alors heureux, que
la résolution 60/256 permette au Conseil des droits de l’homme de travailler
avec le Conseil de sécurité. Ce dernier peut lui servir de bras séculier. Une
collaboration entre ces organes peut apporter des solutions à des questions de
violations des droits de l’homme et du droit humanitaire dont le Conseil de
sécurité se saisit déjà depuis la fin de la guerre froide.
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Le bilan de cette première session
s’avère globalement positif malgré les réserves émises par rapport aux textes
adoptés par vote. L’élan de volonté du dialogue et de la coopération, exprimé
lors du segment de haut niveau, manifesté lors des négociations, la volonté de
rechercher un consensus et l’ouverture à des compromis, laissent augurer que le
Conseil est rentré dans une ère nouvelle. Cependant, le retour de la logique
régionale doit être utilisé de manière constructive. Il en est de même des
questions qui ont politisé l’ex-Commission, et à l’égard desquels le Conseil
devra agir avec prudence et de fermeté : tel est le cas des situations par
pays et particulièrement la Palestine et des territoires arabes occupés. Il est
enfin important que la logique de l’affrontement Nord / Sud soit amoindrie au
profit d’un dialogue plus constructif. Le Conseil devra veiller à ne pas perdre
le difficile équilibre entre souveraineté des Etats et respect des droits de
l’homme devenus de plus en plus un patrimoine juridique de la communauté
internationale.
Mode de citation : Joseph AYISSI, « Première session du Conseil des droits de l'Homme : quelques réflexions », MULTIPOL - Réseau d'analyse et d'information sur l'actualité internationale, 25 juillet 2006
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