5 novembre 2006

NOTE : L’appel de M. Pascal Lamy en faveur d’un nouveau « consensus de Genève »

Anne-Emmanuelle FEUTRIE 

Le 30 octobre 2006, à l’occasion de la Conférence Emile Noël à la Faculté de droit de l’Université de New York, Pascal Lamy, le Directeur général de l’Organisation mondiale du Commerce (OMC) a appelé à l’émergence d’un « consensus de Genève » afin de « mettre le commerce au service du développement ». Tandis que le « consensus de Washington » prescrit 10 recommandations d’inspiration libérale aux économies en difficulté, le « consensus de Genève » évoqué par M. Lamy se caractériserait en revanche par la part d’intervention non négligeable laissée aux Gouvernements nationaux et aux Institutions internationales, dont l’OMC. La « main invisible » serait en quelque sorte guidée par ces derniers. Ainsi, il reviendrait aux Gouvernements de diffuser un peu plus largement les bénéfices issus de la libéralisation du commerce, aux Organisations internationales en général d’achever la « décolonisation économique » et à l’OMC de corriger les déséquilibres persistant au sein des règles commerciales.

Dans son allocution, M. Lamy reprend à son compte la constatation des économistes selon laquelle « les gains issus du commerce ne sont distribués de façon égale ni entre les nations, ni au sein même de celles-ci ». Selon le Directeur général, c’est aux décideurs politiques nationaux qu’appartient la tâche de diffuser le plus largement possible les bénéfices provenant de la libéralisation commerciale. En effet, dans le cas où cette diffusion ne se ferait pas, l’histoire tendrait à prouver qu’une « résistance sociale » se forme par réaction aux réformes commerciales, notamment contre la libéralisation du système commercial. Le vœu de M. Lamy de voir les Gouvernements nationaux intervenir dans la distribution des profits issus du commerce afin que ceux-ci profitent à un plus grand nombre fait appel à la notion d’ « espace politique » (« policy space »). Ce concept a été reconnu lors de la onzième Session de la Conférence des Nations-Unies pour le commerce et le développement (CNUCED XI), en 1994, à São Paulo. Cet « espace politique » a été défini lors de la CNUCED XI comme « la marge d’action dont les pays jouissent en matière de politique économique intérieure, en particulier dans les domaines du commerce, de l’investissement et du développement industriel ». Or, la marge d’action des pays se trouve aujourd’hui assez réduite du fait des engagements multilatéraux, particulièrement s’agissant des systèmes de réglementation des relations économiques et du commerce. Le principe de droit international « pacta sunt servanda » vient limiter l’exercice d’une marge de manœuvre par les Gouvernements. D’ailleurs, le Texte issu de la CNUCED XI prévoit à cet effet au paragraphe 8 qu’il est nécessaire de « concilier au mieux marge d’action nationale et disciplines et engagements multilatéraux ». Le souhait de M. Lamy, pour ce point, apparaît donc comme un véritable défi. C’est d’ailleurs sûrement pour cela qu’il en appelle à l’ « insistance » et à la « créativité » des décideurs politiques pour y faire face.

Dans un deuxième temps, le Directeur général de l’OMC évoque une « décolonisation économique » qui, contrairement à la décolonisation politique intervenue il y a cinquante ans, n’a pas encore fait son chemin. Il illustre, entre autres, son propos par le niveau des droits de douane peu élevés pour les matières premières arrivant sur les marchés des pays riches par opposition aux tarifs appliqués pour les produits finis ou semi-finis. Ainsi, les matières premières utilisées pour la confection des textiles rentrent sur le marché de l’Union européenne à un tarif inférieur à trois pour cent, alors qu’un tarif de dix pour cent est imputé aux produits textiles transformés. De la même façon, et toujours dans cette perspective de « décolonisation économique », M. Pascal Lamy plaide pour une « réponse internationale effective » dans le but de compléter les efforts des pays les moins avancés qui ouvrent leurs marchés. La simple ouverture des marchés ne suffit pas à déclencher un cercle vertueux pour ces pays. Ces pays souffrent en général de trois handicaps majeurs : les « coûts de transaction » (coûts liés à la communication, aux transports domestique et internationaux, aux procédures frontalières et à la certification), les faibles capacités pour se tenir informés des moindres changements des marchés et des politiques commerciales et, enfin, les « coûts d’ajustement » (coûts plus importants dans les pays en développement car leurs productions et exportations sont souvent basés sur quelques secteurs, ce qui rend leur économie plus fragile). Sur cette problématique de « décolonisation », une forte volonté politique doit se faire sentir, à tous les niveaux. Cependant, un compromis sur ce point paraît difficile sur ce point puisqu’il tend à remettre en cause un système qui prend parfois appui sur ces déséquilibres.

Enfin, le Directeur général aborde le rôle de l’OMC pour mettre le commerce au service du développement. L’un des aspects importants selon lui de l’actuel Cycle de négociations est la correction des disparités subsistant au sein des règles commerciales multilatérales afin de « donner aux pays en développement de réelles possibilités commerciales ». M. Lamy évoque, à cet effet, différents dossiers sur la table des négociations et qui seraient avantageux pour les pays en développement. Ainsi, sont mentionnés, successivement : - l’élimination, dans le domaine de l’agriculture, de toutes les formes de subventions à l’exportation, dont une réduction substantielle interviendrait dès 2010 ; - l’importation de coton par les pays en développement, en franchise de droit de douane et sans restriction quantitative, sur les marchés des pays développés ; - la reprise de l’Initiative « Tout sauf les armes » appliqué depuis 2001 par l’Union européenne : ainsi, les trente-deux pays les moins avancés se verraient offrir, à partir de 2008, une entrée libre (accès en franchise de droits de douane et absence de quotas) sur les marchés des pays du Nord pour 97% de leurs produits.

Or, si ces différents points apparaissent comme tout à l’avantage pour les pays en développement, ils doivent néanmoins être éclairés par certains faits. Ainsi, n’oublions pas, par exemple, que les subventions agricoles européennes s’élèvent à 2,5 milliards d’euros par an, soit 3,5% du montant total des aides à l’agriculture. Par ailleurs, s’agissant du coton, les Etats Unis étaient de toute façon tenus de revoir leur système de subventions puisque l’Organe de Règlement des différends de l’OMC, sur plainte du Brésil en 2002, avait condamné Washington en 2005 sur ce sujet (l’Organe d’appel a confirmé en mars 2005 le rapport du Groupe spécial rendu en septembre 2004). Enfin, l’accès en franchise de droits de douane et absence de quotas pour 97% des produits en provenance des PMA permettra tout de même aux pays riches de maintenir des restrictions sur quelques lignes tarifaires et non des moindres. Ainsi, les Etats-Unis pourront écarter le produit sensible qu’est pour eux le textile. Quant au Japon, il pourra exclure le riz. Ces produits sont pourtant vitaux pour certains PMA.

Au final, l’allocution de M. Pascal Lamy est courageuse parce qu’elle exhorte les Membres de l’OMC à une nouvelle philosophie dans l’approche de la problématique « commerce et développement ». Cependant, si l’on ne veut pas qu’une telle déclaration d’intention en faveur d’un nouveau « consensus de Genève » reste lettre morte, encore faut-il que les Membres rejoignent rapidement la table des négociations. Or, si l’on prend en compte le niveau d’ambition de l’actuel Cycle de négociations ainsi que le temps qui a été nécessaire pour conclure le Cycle de l’Uruguay, il est fort probable que la conclusion du Cycle de Doha n’intervienne que dans quelques années.



Mode de citation : Anne-Emmanuelle FEUTRIE, « L’appel de M. Pascal Lamy en faveur d’un nouveau consensus de Genève », MULTIPOL - Réseau d'analyse et d'information sur l'actualité internationale, 5 novembre 2006

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