Cette attaque, menée aux côtés des troupes du gouvernement intérimaire somalien par les forces éthiopiennes – dont on estime entre 10 000 et 20 000 le nombre de soldats déployés en Somalie –, vise à desserrer l'étau autour de la ville de Baidoa, siège du gouvernement intérimaire somalien dans un pays privé de pouvoir central depuis le renversement de Mohamed Siad Barre en 1991. L'emploi de l'aviation, l'une des seules opérationnelles d'Afrique, marque symboliquement une escalade dans le conflit. Addis-Abeba a déclaré avoir bombardé les pistes de Mogadiscio et de Baledogle, à l'Ouest de la capitale, pour faire cesser les «vols illégaux». Après une semaine d'intenses combats, cette intervention semble avoir porté un coup d'arrêt à l'offensive des milices islamistes qui se sont retirées de plusieurs de leurs positions sur les lignes de front.
Tout en précisant que ses troupes quitteraient la Somalie dès qu'elles auraient terminé leur mission, l'Éthiopie a affirmé qu'elle se réservait le droit d'y utiliser «tous les moyens militaires». Dans une allocution télévisée diffusée dimanche 24 décembre, le premier ministre éthiopien a déclaré qu'il ne comptait pas imposer un gouvernement en Somalie : «Les forces de défense éthiopiennes ont été contraintes d'entrer en guerre pour protéger la souveraineté de la nation et repousser les attaques répétées des terroristes des tribunaux islamiques et des éléments antiéthiopiens qui les soutiennent».
Ces éléments qualifiés d’«antiéthiopiens», fournissent à Addis-Abeba ses propres raisons d'intervenir. L'Éthiopie estime en effet que sa sécurité est en jeu en raison du soutien apporté par les islamistes somaliens à ses opposants, militants oromos ou séparatistes de l'Ogaden. Mais l'intervention d'Addis-Abeba s'inscrit également dans un cadre plus large, celui d'un endiguement de la menace islamiste mené de concert avec l'allié américain. À Washington comme à Addis-Abeba, on estime que les islamistes somaliens - qui ont pris le contrôle de Mogadiscio au mois de juin - sont liés à Al-Qaïda, le Conseil des tribunaux islamiques étant contrôlé par des individus appartenant à des cellules de ce réseau terroriste. Aujourd'hui, même si l'Éthiopie s'évertue à ne pas apparaître comme téléguidée par les États-Unis, il semble qu'elle a reçu de chaleureux encouragements à intervenir. D'autant que les autres options explorées jusque-là par Washington pour contrer les islamistes somaliens ont tourné court. Le soutien financier apporté par la CIA à des chefs de guerre somaliens anti-islamistes s'est soldé par un fiasco.
Prévisible, cette régionalisation du conflit somalien porte en elle les germes d'une nouvelle guerre entre l'Éthiopie et l'Érythrée, cette dernière étant une ancienne province éthiopienne ayant acquis son indépendance en 1993, avec à terme le risque d’un embrasement de la Corne de l'Afrique. De fait, par une étrange alliance contre nature motivée par l'opposition à Addis-Abeba, Asmara apporte son soutien aux islamistes somaliens en leur fournissant armes et conseillers militaires. Certaines sources parlent de 2 000 soldats érythréens présents en Somalie. En outre, ce nouveau conflit, réduit de manière caricaturale à une guerre entre une Éthiopie «chrétienne» et une Somalie «musulmane», risque d'offrir un nouveau front aux djihadistes internationaux, et ce, en dépit de la multiplication des appels au calme lancés par l’ONU, l’Union Africaine et la Ligue Arabe.
Le Conseil de sécurité, réuni à huis clos le 26 décembre pour examiner la situation en Somalie, n'est pas parvenu à un accord sur un texte demandant le retrait des forces étrangères, notamment éthiopiennes. Réuni d’urgence pendant plus de trois heures aussitôt après que Meles Zenawi eut affirmé que les combats entre les forces des tribunaux islamiques somaliens et celles du gouvernement de transition, appuyées par l'Éthiopie, ont fait plus de 1 000 morts et plus de 3 000 blessés depuis le 20 décembre, le Conseil de sécurité devait discuter d’un projet de déclaration non contraignante présenté par le Qatar, qui préside le Conseil en décembre, demandant à ce que «l’Éthiopie retire immédiatement ses forces et cesse ses opérations militaires en Somalie». Le texte demandait également le retrait de «toutes les forces étrangères» de Somalie, «la fin immédiate des hostilités» et la reprise «sans délai» des négociations de paix.
Malgré de nombreux amendements, il a été impossible de trouver un accord. Plusieurs délégations, dont celles des États-Unis et de la Grande-Bretagne, sont hostiles au passage demandant que «toutes les forces étrangères se retirent immédiatement des territoires de Somalie et cessent leurs opérations militaires en Somalie», faisant observer que les forces éthiopiennes sont intervenues à la demande du gouvernement de transition somalien. Pour sa part, la France se montre favorable à un retrait des forces étrangères de Somalie : «Notre position est que toutes les forces étrangères doivent se retirer. Quand je dis toutes, c'est toutes», a déclaré l'ambassadeur français Jean-Marie de La Sablière en faisant référence aux forces éthiopiennes.