Le massacre de près de 8000 musulmans bosniaques à Srebrenica, en juillet 1995, juste après la prise de cette enclave sous la protection des casques bleus, étaient des «actes de génocide commis par des membres de l’armée serbe bosniaque», indique l’arrêt lu ce matin par la Présidente de la CIJ, la juge britannique Rosalyn Higgings. Jusqu’à ce jour, seul le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie a défini le massacre de Srebrenica – épisode le plus sanglant qu’ait connu l’Europe depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale – comme étant un génocide.
La Bosnie s'était tournée en 1993 vers la CIJ dans l'espoir de faire cesser le «nettoyage ethnique» commis à l'encontre de croates et musulmans pendant la guerre qui a fait plus de 200 000 victimes, en accusant Belgrade de génocide. Contrairement au Tribunal pénal international, qui juge des individus ayant commis des crimes de guerre, des crimes contre l'humanité et des génocides sur des laps de temps réduits, la CIJ a examiné toute la période de la guerre de Bosnie. La première condamnation pour génocide du TPIY a été prononcée en 2001 à l'encontre de l'ancien officier bosno-serbe Radislav Krstic, pour sa participation au massacre de Srebrenica en juillet 1995. Il y a un an, en mars 2006, la mort prématurée de Slobodan Milosevic lors de son procès a interrompu le seul examen de l'implication générale de Belgrade devant le TPIY, tandis que l'ancien chef militaire bosno-serbe Ratko Mladic et son ancien patron Radovan Karadzic, également inculpés de génocide pour avoir participé aux événements de Srebrenica et au siège de Sarajevo, sont actuellement toujours en fuite.
Dans son arrêt du 26 février 2007, la CIJ juge toutefois que «la Serbie n'a pas commis de génocide (en Bosnie), par l’intermédiaire de ses organes ou de personnes dont les actes engagent sa responsabilité au regard du droit international coutumier». Tandis qu’un jugement de culpabilité de la Cour aurait pu donner lieu au versement de plusieurs milliards de dollars de réparation de la part de la Serbie, il n'est pas question ici d'indemnisations, comme l’avait réclamé Sarajevo au cours des neuf semaines d'audience en février dernier, pour le cas où la culpabilité de son voisin aurait été établie.
Mais si la Cour reconnaît que «la Serbie n’a pas participé à une entente en vue de commettre le génocide», pas davantage qu’elle ne s’est rendue «complice de génocide», s’agissant du génocide commis à Srebrenica en juillet 1995, celle-ci n'a rien fait pour l'empêcher, de sorte qu’elle «a violé l’obligation de prévenir le génocide prescrite par la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide», de même qu’elle «a violé les obligations qui lui incombent en vertu de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide en ne transférant pas Ratko Mladić, accusé de génocide et de complicité de génocide, au Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie pour y être jugé, et en ne coopérant donc pas pleinement avec ledit Tribunal». La Cour a notamment établi que la Serbie «avait mis un soutien militaire et financier considérable» à la disposition des séparatistes serbes à l'origine des massacres et qu'elle «n'a rien fait pour respecter ses obligations (en tant qu'Etat voisin) de prévenir et de punir le génocide», même si «les actions de ceux qui ont commis un génocide à Srebrenica ne peuvent (lui) être directement attribuées».
Bien que la Serbie ait contesté la compétence de la Cour et avait fait valoir qu'elle n'avait aucun contrôle sur les dirigeants séparatistes serbes accusés du massacre de Srebrenica toujours en fuite, Radovan Karadzic et Ratko Mladić, dans son dispositif, l'arrêt de la Cour internationale de justice enjoint la Serbie à prendre immédiatement des mesures effectives pour coopérer pleinement avec le TPIY et pour transférer les individus poursuivis pour génocide ou d'autres crimes devant ledit Tribunal.
Rappelons pour mémoire que le 3 février 2006, à l’occasion de l’affaire des Activités armées sur le territoire du Congo, la Cour internationale de justice avait explicitement admis pour la première fois l’existence du jus cogens en reconnaissant précisément un tel caractère à l’interdiction du génocide.