Dans une certaine mesure, oui, même s’il ne faudrait pas surestimer la portée de ce changement. Le scrutin marque un tournant dans la mesure où c’est la première fois que le pays organise des élections avec une réelle possibilité de changement. La junte militaire au pouvoir depuis le coup d’Etat pacifique du 3 août 2005 a tenu ses engagements de conduire un processus de transition en deux ans et de remettre le pouvoir à un gouvernement civil démocratiquement élu. En effet, c’est le putsch mené par le Colonel Ely Mohamed Ould Mohamed Val qui a permis de mettre un terme au régime autoritaire de Maouya Ould Sid Ahmed Taya qui s’était emparé du pouvoir, lui aussi, par un coup d’Etat en 1985. Son régime avait survécu à plusieurs tentatives de putsch et il avait organisé et remporté trois élections dans des conditions controversées.
Affaibli par l’usure du pouvoir, Ould Taya, qui avait un penchant autoritaire que l’on retrouve dans la plupart des régimes militaires africains, n’avait pas vu ou refusait de voir que l’exigence démocratique était devenue la principale revendication des populations mauritaniennes, jusqu’au jour où il a perdu son «trône» suite à une manœuvre orchestrée par son plus proche collaborateur qui a décidé de s’emparer du pouvoir pendant que lui était en voyage.
Le tombeur d’Ould Taya a ainsi mis en place un Conseil militaire pour la justice et la démocratie qui s’est fixé trois objectifs majeurs : 1) Le retour à la démocratie, après une période de transition qui ne doit pas dépasser deux ans. 2) Le renforcement du système judiciaire. 3) La réforme du secteur des finances publiques avec une lutte accrue contre la corruption qui va permettre d’assainir le climat des affaires et attirer les investisseurs.
Ely Mohamed Ould Vall aura finalement réussi à tenir son pari, en ce qui concerne la tenue des élections tout au moins, avec 5 mois d’avance sur le calendrier initial. En effet, avant la tenue du scrutin présidentiel, un référendum constitutionnel a été organisé et des élections législatives et municipales ont permis de mettre en place une assemblé nationale représentative de l’électorat. Ceci fut un bel exercice d’expérimentation d’une démocratisation à la base. L’élection présidentielle de ce dimanche marque donc le parachèvement du processus politique visant à donner une nouvelle légitimité, démocratique celle-là, au processus politique.
Signe que les choses se sont bien passées dans l’ensemble, les deux candidats qui s’affrontent au second our ont pu avoir un débat télévisé qui a duré plus de 3 heures - ce qui n’est pas fréquent, voire très rare, pour ne pas dire exceptionnel, même dans les pays présentés comme des modèles démocratiques dans la sous-région ouest africaine comme le Sénégal et le Bénin. Cela constitue donc incontestablement une avancée positive et significative.
Toutefois, ce changement reste et restera d’une portée limité si le vainqueur de ce scrutin ne constitue pas une équipe gouvernementale dynamique avec de nouvelles et plus jeunes figures qui vont apporter du sang neuf au système politique en place. En effet, et cela constitue le bémol que nous devons apporter à la tentation de jubiler sur la portée du changement à court terme, les deux hommes qui se retrouvent au second tour du scrutin sont tous de vieux acteurs politiques soixantenaires ayant appartenu au gouvernement du premier Président Moktar Ould Daddah. Toutefois, si le demi-frère de ce dernier, Ahmed Ould Daddah (65 ans), leader du Rassemblement des forces démocratiques, incarne « l’opposition radicale » avec ses nombreux séjours en prisons sous le régime de Taya, son adversaire Sidi Ould Cheikh Abdallahi (69 ans), est quant à lui considéré comme le représentant des intérêts claniques des membres de l’ancien système, le régime de Taya.
Il faut toutefois noter que le jeu politique en Mauritanie est beaucoup plus complexe que cela. Les alliances et autres rassemblements recoupent très souvent la sociologie politique du pays. Outre les calculs d’intérêts immédiats, les considérations identitaires constituent un facteur important. La division de la population mauritanienne en trois groupes, non homogènes, se retrouve également dans l’électorat éclaté des différents candidats. Si les deux finalistes du second tour appartiennent à la communauté arabo-berbère blanche, ceux qui vont déterminer le sort du scrutin appartiennent justement aux groupes minoritaires. Il s’agit notamment du «Haratine» (ancien esclave noir) Messaoud Ould Boulkheir (9,80% des suffrages au premier tour), qui apporte son soutien à Sidi Mohamed Ould Chiekh Abdallahi, à l’instar du candidat arrivé troisième, Zeine Ould Zeidane (15% ). Le candidat arrivé 5ème, présenté comme le représentant des populations noires, Moctar Ibrahima Sarr (7,95%), a choisi quant à lui de soutenir l’opposant historique Ahmed Ould Daddah. Ces alliances indiquent donc clairement les divisions des forces politiques en deux camps : un premier camp représentant une coalition autour des diverses forces issues du système précédent et une opposition qualifiée de «radicale» qui est constituée autour d’Ould Daddah.
L’enjeux principal de ce scrutin, et des années à venir, consiste justement à savoir comment réconcilier les Mauritaniens et consolider le sentiment national sans distinction d’appartenance raciale, ethnique, clanique ou tribale. Les défis sont énormes car, même si officiellement l’esclavage est aboli, la condition des «Haratines» n’a pas considérablement changé. L’un des grands défis de la République islamique est ainsi de créer les conditions d’une démocratisation de la société en tenant compte de la double culture arabo-islamique et africaine de la population. Assumer tous ces héritages et cette double identité, sans renier l’une au profit de l’autre, n’est pas une chose simple.
En outre, le nouveau pouvoir aura à faire face à l’émergence de nouvelles revendications sociales et économiques, liées notamment à l’essor de l’exploitation pétrolière. Pays désertique avec de faibles capacités sur le plan agricole, la Mauritanie devra apprendre à gérer ses ressources énergétiques de façon judicieuse et équitable pour que la rente ne soit pas accaparée par une nouvelle «élite» politique qui ne tardera pas à s’investir dans une compétition ardue pour le contrôle de la manne financière rapportée par l’exploitation du pétrole. Selon les dernières estimations liées aux recherches déjà entamées (Banque Mondiale), les réserves trouvées seraient d’environ 600 millions de barils, ce qui ne manque pas de susciter des appétits. Il reste également à voir si les officiers qui dirigent actuellement la junte vont accepter de prendre leur retraite et de s’effacer tranquillement en faveur d'une nouvelle équipe civile qu'elle laissera gouverner en toute liberté, sans en faire des otages au service d’intérêts privés.

Mode de citation : A. Ben-Ousmane DIALLO, «Un pas important vers la démocratie en Mauritanie», MULTIPOL - Réseau d'analyse et d'information sur l'actualité internationale, 25 mars 2007.