Qu'apporte-t-il de nouveau ? Pas grand chose, comparé aux précédents accords. La principale différence se trouve plus dans l'approche et dans le processus de négociations. Si Marcoussis a toujours été interprété comme un accord imposé par la France et la "communauté internationale" au Président Gbagbo, et par conséquent rejeté comme tel par les partisans du Président ivoirien, les accords d'Accra et de Pretoria ont été négociés sous les auspices des Organisations régionales africaines telles que la CEDEAO et l'UA et en présence de l'OIF et des Nations Unies.
A la différence des précédents accords, Ouagadougou aurait permis, nous dit-on, un dialogue direct des deux parties. Le Président Blaise Compaoré et la Communauté Sant Egidio auraient joué le rôle de facilitateurs. L'implication de la Communauté Sant Egidio est certainement un effort à saluer, si l'on sait le rôle important qu’elle avait joué dans la réussite des négociations de paix qui avaient permis de mettre un terme au conflit mozambicain.
Toutefois, il faudrait se garder de crier victoire trop vite. La signature d'un accord ne signifie nullement le retour automatique à la paix. On en serait pas là aujourd'hui, si c'était le cas. Cela fait 4 ans, depuis Linas-Marcoussi, que les ivoiriens attendent, en vain, des acteurs de la crise le respect des engagements pris dans les différents accords signés. Ouagadougou, comme Accra et Pretoria, a repris tous les points essentiels des accords de Linas-Marcoussis. Le point d'achoppement, qui est aujourd'hui la préparation et la tenue des élections, devrait être résolu à l’issue de l’opération d’identification qui est l'un des principaux défis à relever. Outre cette question, le blocage se trouve sur le désarmement, la réinsertion et la restructuration des forces armées en vue de leur réunification.
Guillaume Soro et Laurent Gbagbo ont décidé de former un nouveau gouvernement. Certains analystes et commentateurs pensent que Soro ou quelqu'un de son Mouvement pourrait en être le chef. Si cette hypothèse se confirme, l'actuel Premier ministre, Charles Konan Banny, sera remercié. Il faudrait tirer le bilan de son action. Sa nomination, le 7 décembre 2005, au poste de Premier ministre avait suscité un grand espoir et avait été salué par tous comme un signe positif de la volonté du Président Gbagbo d'aller vers la paix. Il devait diriger le gouvernement de transition et préparer les élections, initialement prévues pour octobre dernier et qui ont dû être reportées. En dépit de sa bonne volonté et de sa détermination affichées, les obstacles à la paix sont restés très nombreux. Après plus d'une année à la tête du gouvernement, il n’y a pas eu beaucoup d'avancées significatives dans la mise en oeuvre des accords de paix signés à Pretoria, notamment en ce qui concerne le Désarmement, la Démobilisation et la Réinsertion des Combattants (DDR) et la préparation des élections.
Progressivement, le gouvernement Banny s'est installé devant une impasse et l'espoir d'une brève transition a cédé la place au scepticisme. Ce bilan mitigé s’explique par les difficultés de coordination et les différentes stratégies adoptées par les acteurs. Le Premier Ministre avait une stratégie très claire : coopérer avec tous les acteurs, restaurer la confiance mutuelle et surtout ne pas s’affronter avec le Président Gbagbo. C’était et ça reste une option lucide. Mais les acteurs n’ont pas tous joué franc jeu. Certains continuent à poser des obstacles pour freiner toute initiative visant à faire avancer la transition. De nombreux blocages ont été notés au niveau de la mise en œuvre du programme de désarmement. Le Président Laurent Gbagbo avait nommé le Général Gaston Koné (PDCI) Coordonnateur du Programme, mais les états majors respectifs de l’armée gouvernementale et des Forces Nouvelles ont tous traîné dans l’élaboration des modalités pratiques de mise en oeuvre de ce programme. En outre, le budget prévisionnel de cette opération, évalué à 150 millions de dollars, n’était pas totalement disponible. L’Etat a toujours besoin du soutien des bailleurs. La situation sécuritaire est restée très délicate. De nombreuses zones sous contrôle de l’armée gouvernementale (Daloa, San Pedro et Yamoussoukro) ont connu une détérioration des conditions de sécurité au cours du printemps 2006. Les actions des milices pro-gouvernementales dénommées les "Jeunes Patriotes" constituent des obstacles majeurs au processus de paix. Certains partis (FPI et RDR) ont adopté une stratégie de la surenchère sur les questions relatives au recensement de la population et à l’identification des électeurs en s’accusant mutuellement de préparer des fraudes. La question de la nationalité n’est toujours pas totalement résolue.
Aujourd’hui le Président Gbagbo lui-même présente Ouagadougou comme l’accord de la dernière chance pour sortir de la crise. En tous les cas, si ce dernier ne marche pas, il aura réussi à lasser beaucoup de diplomates qui s’efforcent de trouver une issue heureuse au conflit qui divise son pays. Même si la France ne le dit pas ouvertement ou suffisamment fort, et que certains pensent le contraire, celle-ci est pressée de sortir de ce bourbier. Quant aux Nations Unies, elles doivent se demander si elles ont un rôle à jouer dans le pays et si les acteurs ivoiriens ne peuvent pas parvenir à s’entendre sur le meilleur moyen d’aller vers la paix.
Il est évident qu’il n’existe aucun accord de paix parfait. Il faut donc que chaque acteur accepte de faire des concessions. Mais en décidant de négocier directement à deux et d’exclure du dialogue les acteurs politiques de l’opposition, messieurs Gbagbo et Soro viennent de prendre de lourdes responsabilités. Ils viennent d’indiquer que, dans leur conception, la seule source de légitimité, c’est la force dont on dispose pour imposer son autorité. Ils ont marginalisé l’opposition politique. Cela est injuste et il faut le dénoncer, mais il ne faudrait pas en faire une raison pour rejeter leur accord. L’opposition doit s’impliquer dans sa mise en oeuvre et donner à leur pays une chance de sortir de cette crise qui n’a que trop duré.
Pour ce faire, nous voudrions formuler quelques recommandations :
1. Nous recommandons au Conseil de sécurité de l’ONU de renforcer son appui à la Côte d’Ivoire, malgré les difficultés rencontrées par l’ONUCI, notamment l’hostilité du camp présidentiel et des partisans de monsieur Gbagbo. Concernant les élections, il convient de réexaminer le calendrier, en reportant les différents scrutins de 10 à 12 mois au moins. Le mandat de l’ONUCI doit être prolongé autant que nécessaire et la mission devrait être renforcée avec de nouvelles troupes. Elle devrait accompagner le pays dans le processus de « peacebuilding » (consolidation de la paix) et ne pas se limiter à l’interposition ou au maintien de la paix.
2. Le gouvernement qui sera formé dans les jours à venir et les différents acteurs devraient focaliser leur attention et leurs efforts d’abord sur le désarmement, la sécurisation du pays, le redéploiement de l’administration et la préparation des élections. Dans cette perspective, le recensement de la population, l’identification des électeurs et la révision des listes électorales sont des priorités absolues, à court terme. Ensuite, il conviendra de restaurer la confiance entre les acteurs.
3. Nous appelons le Président Gbagbo à inviter solennellement les Jeunes patriotes à plus de retenue et à leur demander de cesser leur rhétorique guerrière et les campagnes d’intimidation et d’agression contres les forces de l’ONUCI et d’arrêter le harcèlement exercé sur les responsables des partis politiques d’opposition. De même, nous invitons les responsables des partis politiques de l’opposition à bannir tout discours de haine en arrêtant la surenchère et la propagande destructrice et en participant pleinement à la mise en œuvre des accords de Ouagadougou, même s’ils n’ont pas été invités aux discussions. Ils n’ont rien à gagner dans leur marginalisation du processus de paix. Ils doivent donc reprendre l’initiative et s’impliquer directement.
4. Les priorités à moyen terme :
- Adopter une nouvelle Constitution et de nouveaux textes de lois abrogeant ou modifiant toutes les lois controversées qui ont été à l’origine de la guerre.
- Organiser des élections municipales et rurales pour favoriser la création d’une administration locale plus démocratique, donc renforcer l’esprit démocratique à la base.
- Organiser des élections législatives et présidentielles, une fois que les conditions de régularité, d’honnêteté et de transparence seront réunies, dans un délai raisonnable, entre octobre et décembre 2007.
5. Les priorités à long terme :
Il appartiendra au gouvernement mis en place à la fin de la transition et aux diverses institutions nationales de mettre en place une politique responsable de la gestion du pouvoir et du partage équitable des richesse nationales au profit de tous les citoyens ivoiriens : corriger les disparités régionales en matière de développement et redonner à chaque ivoirien la fierté d’être membre d’une nation multi-éthnique ou multiculturelle et citoyen d’un Etat qui reconnaît, respecte et protège tous ses droits. Et le pays reprendra une place de leadership dans le concert des nations aussi bien en Afrique de l’Ouest que dans toutes les Organisations internationales où son image s’est considérablement détériorée au cours des 5 dernières années.


Mode de citation : A. Ben-Ousmane DIALLO, «Crise ivoirienne : un pas vers la sortie ?», MULTIPOL - Réseau d'analyse et d'information sur l'actualité internationale, 17 mars 2007.