Comme les précédentes, cette répression contre l’opposition a suscité de vives réactions d’indignation à Londres, comme à Washington. Et le Président Mugabe, habitué au fait, invite tout simplement ses détracteurs à «aller se pendre» s’ils ne sont pas contents du sort réservé à l’opposition dans son pays. Depuis qu’il a lancé la réforme agraire en 1999-2000, visant à redistribuer les terres pour permettre aux paysans noirs d’être propriétaires et non seulement ouvriers agricoles, cet homme atypique, ancien guérillero ayant combattu le régime raciste de Ian Smith s’est radicalisé au point d’incarner le mal (pour ses détracteurs), dans un pays où il fût pendant longtemps considéré comme un véritable héros national. En 2005, l’administration américaine du Président Bush classait le Zimbabwe, sur la même liste que Cuba et la Corée du Nord, comme faisant partie des «postes avancés de la tyrannie».
A l’instar de tous les régimes autoritaires en mal de légitimité, celui de Mugabe utilise donc l’hostilité de Londres et de Washington à son encontre, pour se présenter comme une victime de «l’impérialisme et du néo-colonialisme» britannique en particulier. Ses opposants sont du coup traités comme des «marionnettes au service d’intérêts étrangers» alors que lui serait le défenseur des intérêts nationaux du Zimbabwe. Cet argument, qui permet aux régimes autoritaires de s’accrocher au pouvoir et de délégitimer toutes les aspirations au changement exprimés par la population en malmenant l’opposition, entraîne des dérives pernicieuses. C’est une méthode qui a été beaucoup utilisée dans les années 1960-1970 (l’un des régimes les plus illustres dans ce domaine étant celui de feu Sékou Touré en Guinée). Il ne s’agit point de remettre en cause la sincérité du nationalisme de Mugabe. Il en a fait la preuve quand il le fallait en s’engageant, dès 1960, dans la lutte armée pour la libération de son pays qui s’appelait alors la Rodhésie. Mais une fois l’indépendance acquise en 1980, Robert Mugabe, d’abord Premier Ministre avant de devenir Président de la République à partir de 1988, s’est progressivement mué en autocrate. Il a tout mis en oeuvre pour avoir un contrôle total du pouvoir. Un accord de paix intervenu en 1987 avait mis fin à la sanglante guerre civile qui divisait le pays, en particulier la province du Matabeleland depuis 1983, et avait permis la réunion et la fusion des deux principales formations politiques, la Zimbabwe African Peoples Union (ZAPU) et la Zimbabwe African National Union (ZANU), pour former la ZANU-PF, devenu parti unique de fait. Cette nouvelle force politique a permis à Mugabe de consolider son pouvoir personnel. Il décida ainsi de mettre fin au collège électoral qui permettait aux Blancs restés dans le pays après l’indépendance d’être représentés au parlement.
L’autoritarisme de son régime ne date pas d’aujourd’hui et il ne fait qu’empirer. Le drame zimbabwéen, comme pour d’autres pays africains, est qu’un président incompétent puisse se maintenir au pouvoir en fondant toute sa légitimité sur le combat contre le colonialisme. Mugabe a tort de présenter le «néo-colonialisme» comme son ennemi. Il n’a qu’un seul ennemi, c’est sa soif de pouvoir et son incapacité à comprendre que les temps ont changé. Le marxiste qu’il est n’a pas vu le mur de Berlin tomber. La réforme agraire qu’il a lancée ne permettra pas de sauver son régime, et cela pour diverses raisons.
Oui, la réforme foncière est nécessaire. La redistribution de la terre est une mesure incontournable pour plus d’équité et de justice. Dans un pays dont l’économie repose essentiellement sur l’agriculture, il est inadmissible que plus de 60% des terres arables soient détenues par quelques milliers de personnes (ils étaient environ 4 000 grands exploitants agricoles Blancs en 1980) sur une population de plus de 13 millions d’habitants, mais, pourquoi donc Monsieur Mugabe a-t-il attendu 1999-2000 pour s’attaquer à cette question, alors même qu’elle aurait pu être abordée avec plus de sérénité avant ? Le nationaliste qu’il est avait bien compris que cette question reste délicate et qu’elle comporte des enjeux d’intérêts vitaux pour la stabilité de son régime. Il a donc rassuré les exploitants agricoles blancs qui ont continué à travailler comme si l’indépendance du Zimbabwe ne changeait rien de plus, à part le passage de témoin dans l’exercice du pouvoir des mains d’un régime blanc minoritaire et raciste à un régime majoritaire noire mais pas forcément démocratique.
Toutefois, en attendant d’être usé par le pouvoir et fragilisé par les crises économiques et la contestation de plus en plus grandissante de son régime par ses compatriotes qui l’ont longtemps adulé pour son courage et son nationalisme lorsqu'il s'est attaqué à la réforme foncière et en a fait un instrument politique visant à légitimer la pérennité de son régime, Bob Mugabe, comme l’appellent ses amis, a fait un très mauvais calcul. Cette mesure populiste ne suffira pas pour calmer ses adversaires et cela d’autant plus qu’il a précipité son pays dans une profonde crise économique. Aujourd’hui le taux d’inflation dépasse 1700%, tandis que le taux de chômage serait de 70%. Plus de 3 millions de personnes se sont exilées, notamment en Afrique du Sud où vivraient aujourd’hui environ 20% de la population zimbabwéenne.
Plus qu’une réforme agraire visant à diviser la population entre autochtones noires et ex-colons blancs, le Zimbabwe a besoin d’un autre mode de gestion du pouvoir, d’une nouvelle gouvernance plus démocratique et moins clientéliste. Le discours nationaliste ne prouve en rien le patriotisme d’un homme politique. Depuis les indépendances, de nombreux dirigeants africains, qui furent des héros de la décolonisation, ont sombré dans la paranoïa la plus absurde en ne comprenant pas les véritables aspirations des populations qu’ils gouvernent. Rien ne nous prouve que Mugabe est plus patriote et aime plus son pays que les agriculteurs blancs qui y sont restés après l’indépendance. Ces derniers sont aussi des citoyens zimbabwéens. Ils ne devraient nullement être considérés comme des étrangers, car la plupart d’entre eux y sont nés et ne connaissent que ce pays.
La réforme foncière qui est une mesure visant à corriger les injustices subies ne doit pas être menée dans un esprit de revanche. Il ne sert à rien d’exproprier les terres si c’est pour les redistribuer à une nouvelle clientèle politique qui, très souvent, ne sait même pas quoi en faire et n’a aucun projet viable. Le combat à mener aujourd’hui n’est pas un combat contre le colonialisme, mais plutôt un combat pour une véritable liberté, un respect des droits des citoyens et la démocratisation du jeu politique. En vérité, depuis que les peuples africains ont conquis leur indépendance, ils sont soumis à des régimes corrompus, incompétents et nocifs qui ont confisqué la souveraineté populaire à leur propre profit. Les peuples africains, de Conakry à Harare en passant par Kinshassa, ne se sont pas libérés du joug de la colonisation pour retomber dans une autre forme de domination qui serait justifiable par le simple fait qu’elle n’est pas exercée par des colons. Cela aussi est une nouvelle forme de colonisation qui est d’autant plus inacceptable qu’elle est exercée par des Africains qui ne rendent pas service à leur pays et à leur continent, mais asservissent leurs concitoyens dans des systèmes autoritaires.
Donc, au Zimbabwe, comme en Guinée, le combat est le même. Toutefois, si le régime guinéen a fait récemment quelques concessions en acceptant la nomination d’un Premier Ministre dit «de consensus» et la formation d’un gouvernement de large ouverture, la situation devient très préoccupante au Zimbabwe. Morgan Tsvangirai et ses partisans sont bâillonnés par les «forces de l’ordre» au service de Mugabe. Le pays est devenu une grande prison fermée pour les opposants qui ne peuvent même plus voyager librement. A l’intérieur du pays-même, le régime inspire suffisamment de terreur pour dissuader la mobilisation générale de la population afin d’y mettre un terme. Jusqu’à quand cela va-t-il durer ? Cela reste la grande question, même si Monsieur Tsvangirai est convaincu que la crise a atteint son apogée. Face à cette terreur, que fait la fameuse «communauté internationale», à part s’indigner dans des communiqués transmis à la presse ? Pas grand chose. Ni les Nations Unies, ni l’Union Africaine ne semblent vouloir trop s’impliquer. Pourtant, le peuple zimbabwéen mérite d’être soutenu, au moins plus fermement dans le discours, pour continuer sa lutte. Le changement est en marche. La victoire est au bout du sacrifice et de la détermination. Tiens bon, cher Morgan !

Mode de citation : A. Ben-Ousmane DIALLO, «Zimbabwe : les dérives du nationalisme», MULTIPOL - Réseau d'analyse et d'information sur l'actualité internationale, 20 mars 2007