Du 13 au 14 mars 2007, le Directeur général de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), Mohamed ElBaradei, effectuait une visite en Corée du Nord (1) pour avancer sur le dossier nucléaire, cinq ans après le retrait de ses inspecteurs du pays et un mois après l’accord de dénucléarisation de la péninsule du 13 février 2007 signé par Pyongyang avec la Chine, le Japon, la Corée du Sud, la Russie et les Etats-Unis. Que retenir de ces deux jours de visite ?
Pour Mohamed ElBaradei, le bilan de ce voyage « utile » est « positif » puisque la Corée du Nord est « totalement engagée » dans le processus de dénucléarisation. Au terme de l’accord du 13 février conclu entre la Corée du Nord et le groupe des « six » composé de la Chine, du Japon, de la Corée du Sud, de la Russie et des Etats-Unis, Pyongyang s’engage à fermer ses installations nucléaires en échange d’aides énergétiques (livraisons de 50 000 tonnes de fioul lourd), humanitaires et de garanties de sécurité. Il y est également prévu le retour des inspecteurs de l’AIEA expulsés il y a cinq ans. La première étape de la mise en application de cet accord exige que Pyongyang ferme son complexe nucléaire de Yongbyon - qui lui permet de traiter le plutonium nécessaire à la fabrication de ses armes - dans les 60 jours. En échange, le régime demande le dégel de certains fonds (quelques 25 millions de dollars) suspectés et bloqués à l’initiative de Washington qui l’avait accusé en 2005 d’utiliser une banque de Macao, la Banco Delta Asia, pour effectuer de nombreuses opérations de blanchiment.
Il est vrai que le déplacement du Directeur général de l’AIEA en Corée du Nord permet aux deux parties de renouer avec un dialogue interrompu depuis 2002, prélude fondamental au rétablissement de la confiance. Mais on sait que le Chef de l’AIEA quitte Pyongyang sans avoir rencontré le principal négociateur en chef du dossier nucléaire, Kim Kye-gwan. A sa place, il a traité avec trois autres interlocuteurs parmi lesquels Kim Yong-dae, vice-président du presidium du Parlement et numéro 2 du régime, et Ri Je Son, Chef de l’Agence de l’énergie atomique, ce qui suscite quelques interrogations malgré les arguments avancés pour justifier cette absence.
Même si Mohamed ElBaradei se montre optimiste dans ce nouveau processus de négociations, on sait à l’AIEA que la partie est très loin d’être gagnée. Le processus de dénucléarisation de la péninsule coréenne prendra du temps et tout revirement de Pyongyang n’est pas à écarter. Ce ne serait d’ailleurs pas la première fois. Des précédents existent dans l’histoire de cette crise nucléaire. Ainsi, lors de la rupture d’un précédent accord de désarmement, la Corée du Nord avait expulsé les inspecteurs de l’AIEA en décembre 2002 et s’était retirée du Traité de non-prolifération quelques jours plus tard. En février 2005 encore, Pyongyang avait annoncé qu’elle suspendait sa participation à des pourparlers à « six » engagés en 2003(2).
Mais au-delà de tout ceci, la principale question qui mérite d’être posée aujourd’hui est de savoir quel sera le sort réservé aux éventuelles armes nucléaires déjà fabriquées par Pyongyang quand on sait que l’accord du 13 février 2007 fait totalement l’impasse sur cette question. Certes, si l’accord arrive à son terme, la Corée du Nord ne fabriquera plus d’armes nucléaires, mais elle reste toujours un Etat nucléaire. Dès lors, on peut penser que le démantèlement des armes existantes est très peu probable tant il est vrai que Pyongyang voit en celles-ci une garantie de sécurité et de survie de son régime.
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(1) Voir notamment deux articles publiés sur la question nucléaire nord-coréenne : « Faut-il craindre la Corée du Nord nucléaire ? », Stratis Internationale, octobre 2006 et « La Corée du Nord et le nucléaire : après la prolifération, la dissémination ? », MULTIPOL - Réseau d'analyse et d'information sur l'actualité internationale, mars 2007.
(2) Voir chronologie.
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Chronologie de la
crise nucléaire nord-coréenne
1989 : Des photos satellites américaines
dévoilent l’existence d’un centre nucléaire à Yongbyon, au nord de
Pyongyang.
1993 : Après s’être soumise à plusieurs
inspections de l’AIEA, la Corée du Nord refuse que soient visitées des bases
secrètes et menace de quitter le Traité de non-prolifération nucléaire (TNP).
1994 : Accord avec les Etats-Unis (sous la
présidence de Bill Clinton). Pyongyang s’engage à geler son programme nucléaire
militaire en échange de réacteurs civils à eau légère et de la fourniture de
pétrole. Le projet de centrale à eau légère n’aboutira pas.
1998 : La Corée du Nord procède à un essai
de missile longue portée qui survole le Japon.
1999 : Moratoire nord-coréen sur les essais
de missiles. Washington allège ses sanctions.
Janvier 2002 : Discours de George Bush sur
l’« Axe du mal » dans lequel il inclut la Corée du Nord, aux côtés de l’Irak et
de l’Iran.
Octobre 2002 : Visite de l’émissaire
américain James Kelly en Corée du Nord. A son retour, il déclare que le régime
nord-coréen a admis l’existence d’un programme d’enrichissement d’uranium.
Washington déclare caduc l’accord de 1994.
Novembre 2002 : Les Etats-Unis, le Japon et
l’Union européenne suspendent leurs livraisons de pétrole.
Décembre 2002 : La Corée du Nord annonce la
reprise de son programme nucléaire.
Janvier 2003 : La Corée du Nord annonce son
retrait du Traité de non-prolifération nucléaire.
Février 2003 : Saisine de l’ONU par l’AIEA.
Avril 2003 : Réunion de l’ONU. Les
Etats-Unis souhaitent voir la Corée du Nord condamnée, mais la Chine et la
Russie s’y opposent, considérant le dossier strictement américano nord-coréen.
Aucune mesure concrète n’est prise à l’issue de la réunion.
Août 2003 : Première réunion à six sur la
dénucléarisation de la Corée du Nord réunissant la Corée du Nord, la Corée du
Sud, les Etats-Unis, la Chine, le Japon et la Russie. La Corée du Nord menace
d’effectuer un essai nucléaire et se déclare puissance atomique.
Février 2004 : Le père de la bombe
pakistanaise, Abdul Qadeer Khan, reconnaît avoir fourni à la Corée du nord des
transferts de technologie nucléaire.
Février 2005 : La Corée du Nord annonce la
suspension, pour une période indéfinie, de sa participation aux négociations
multilatérales.
Septembre 2005 : Le 19, à l’issue d’une
quatrième série de négociations, Pyongyang s’engage à abandonner son armement
nucléaire en échange de la possibilité d’utiliser l’énergie nucléaire à des fins
civiles. Elle s’engage également à rejoindre le TNP. Mais le lendemain,
Pyongyang pose de nouveau comme condition préalable au démantèlement de son
programme la livraison des réacteurs à eau légère.
5 juillet 2006: La Corée du Nord procède à
sept tirs d’essai de missiles. L’ensemble des missiles s’abîme en mer du Japon.
Le Japon saisit le Conseil de sécurité de l’ONU.
15 juillet 2006: Le Conseil de sécurité de
l’ONU adopte une résolution comportant des mesures « contraignantes » pour
Pyongyang et exigeant la suspension des activités liées au programme de
missiles balistiques.
3 octobre 2006: Pyongyang annonce un
prochain essai nucléaire pour renforcer son autodéfense face à l’hostilité des
Etats-Unis.
9 octobre 2006 : La Corée du Nord annonce
avoir procédé, avec succès, à son premier essai nucléaire.
14 octobre 2006: Le Conseil de sécurité de
l’ONU décrète un embargo sur les armes, les matériels liés à la technologie
nucléaire ou à celle des missiles, ainsi que sur les produits de luxe à
destination de la Corée du Nord.
2007 : Le 13 février, au terme d’une
nouvelle session de négociations multilatérales à Pékin, la Corée du Nord
accepte d’entamer le démantèlement de son programme nucléaire et d’accueillir
de nouveau des inspecteurs de l’AIEA.
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