Cette réflexion que nous initions entend s’arrêter sur les actions entreprises par l’UA dans le domaine du maintien de la paix. Dans un premier temps, nous repasserons en revue les premiers pas de l’Afrique dans le domaine, avant d'évoquer les différentes initiatives extérieures qui ont eu pour objectif d’accompagner l’Afrique dans cette ambition ; pour terminer, nous procéderons à une analyse du bilan qui pourrait être fait de ces différentes opérations de paix africaines.
Avant d’en venir aux premiers pas de l’UA dans le domaine du maintien de la paix, il serait intéressant de revenir brièvement sur ce qui a été qualifié par certains de première expérience de maintien de la paix ante-UA. Il est peu fait mention de la première et seule expérience de maintien de la paix de l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA) - l’organisation à laquelle a succédé l’UA - au Tchad entre 1979 et 1981. Composée de plus de 3000 soldats nigérians, zaïrois et sénégalais, emmenés par le Nigéria, cette mission de maintien de la paix, intervenant dans un pays confronté à une guerre civil, avait été chargé d’assurer la défense et la sécurité du pays dans l’attente de l’intégration des forces gouvernementales et de contribuer à la restauration de l’intégrité territoriale et de l’autorité du gouvernement légitime (1). Toutefois, cette opération préfigurait déjà les difficultés que connaîtraient les futures opérations de paix entreprises par les Africains, y compris, certaines conduites sous mandat onusien dans d’autres parties du monde. Elle s’est notamment caractérisée par un mandat qui ne brillait pas par sa clarté et par les difficultés d’ordre financières et techniques auxquelles fut confrontée l’OUA pour financer cette force ainsi que pour recevoir des pays africains les troupes nécessaires pour remplir son mandat (2). C’est ainsi que cette mission s’acheva sans grand éclat.
Pour en revenir à l’UA, depuis sa création en 1999 lors du Sommet de Syrte (Libye), l'adoption de son Acte Constitutif lors du Sommet de Lomé (Togo) en 2000 et son lancement officiel le 9 juillet 2002 lors du Sommet de Durban (Afrique du Sud) et plus particulièrement depuis l'entrée en vigueur du Protocole créant son Conseil de paix et de sécurité, le 26 décembre 2003, et le lancement effectif de ce dernier le 25 mai 2004, elle a affirmé sa volonté de jouer un rôle plus actif dans la prévention et la résolution des conflits et crises et plus généralement dans la promotion de la sécurité et de la stabilité du continent. A cet effet, l’UA a entrepris un certain nombre d'initiatives et adopté une posture, politique et diplomatique, ferme visant à faire émerger et renforcer sa responsabilité et ses capacités dans ce domaine des plus complexes.
C’est à ce titre notamment que l’UA a entrepris la mise en place de l’instrument par excellence de restauration et de préservation de la paix et de la stabilité, à savoir les opérations de paix. Ainsi, depuis sa création, l’UA a déjà décidé et mis en œuvre le déploiement de quatre opérations et missions de paix dans des contextes de crises ou conflits et pour accompagner des processus de règlement politique et de démocratisation.
Ce fut notamment pour le cas de la Mission au Burundi (MIAB) qui, considérée comme la première mission de paix de l'UA et œuvrant dans le cadre d’un règlement politique post-conflit, fut crée le 3 février 2003, dans l’attente d’une décision du Conseil de Sécurité de l’ONU de créer une opération de paix, afin d’établir et de maintenir la liaison entre les parties burundaises ; de contrôler et vérifier la mise en œuvre des Accords de cessez-le-feu signés les 7 octobre et 2 décembre 2002 ; de faciliter les activités de la Commission mixte de cessez-le-feu (JCC) et des Comités techniques pour la mise en place et la restructuration des forces nationales de défense et de police ; faciliter le déplacement des parties lors des mouvements planifiés pour la désignation des zones de rassemblement ; sécuriser les zones de rassemblement et de désengagement des ex-combattants identifiées ; faciliter et fournir l’assistance technique pour le processus de désarmement, de démobilisation et de réintégration (DDR) ; faciliter la fourniture de l’assistance humanitaire y compris aux réfugiés et aux personnes déplacées ; coordonner les activités de la Mission avec la représentation des Nations unies au Burundi ; et d’assurer la protection des personnalités, de la rébellion des Forces nationales de libération (FNL) notamment, qui retournent au pays (3). Pour remplir cette mission, la force de l’UA était composée de quelque 2600 soldats fournis par l’Ethiopie, le Mozambique et l’Afrique du Sud. Toutefois, faute de moyens suffisants, elle fut remplacée en juin 2004 par une opération des Nations Unies.
Depuis mai 2004, l'UA a déployé une mission au Darfour (Ouest du Soudan), l’AMIS. Cette mission s’est établie en deux phases ; la première a été constituée par le déploiement d’une force internationale de 60 observateurs militaires africains (MILOBs) chargés d’assurer le respect de l’Accord de cessez-le-feu humanitaire décidé signé le 8 avril 2004 par les parties soudanaises et de 300 militaires chargés d’assurer leur protection. Toutefois, face à la situation sécuritaire et humanitaire qui ne cessait de se détériorer, et malgré la décision de la 3ème session ordinaire de la Conférence de l’UA (Addis Abeba - Ethiopie - du 6 au 8 juillet 2004) de porter à 80 le nombre des observateurs militaires, il est très vite devenu clair que la force présente était «peu nombreuse et insuffisamment répartis sur le terrain pour mener à bien son mandat» (4). Cette réalité a conduit à une seconde phase qui s’est notamment manifestée par la demande faite par le Conseil de paix et de sécurité (CPS) de l’UA lors de sa 13ème réunion tenue le 27 juillet 2004 au président de la Commission de l’UA de préparer «un plan global sur la meilleure façon de renforcer l’efficacité de la Mission avec la possibilité de la transformer en une opération de maintien de la paix à part entière dotée du mandat et des effectifs requis pour assurer la mise en œuvre effective de l’Accord de cessez-le-feu» (5). Ce plan a été approuvé par le CPS lors de sa 17ème réunion du 20 octobre 2004 qui a décidé de porter les effectifs de l’AMIS à 3 320, comprenant 2 341 personnels militaires dont 450 observateurs, 815 policiers civils. Dans la même lancée, la 28ème réunion du CPS tenue le 28 avril 2005 a décidé de porter à 6 171 éléments l’effectif de la composante militaire de l’AMIS, et jusqu’à 1 560 éléments la police civile (6). L’AMIS II a reçu pour mandat similaire en plusieurs point à celui de la première phase, à savoir de surveiller et assurer le respect de l’Accord de cessez-le-feu humanitaire du 8 avril 2004 et de tous autres accords futurs; d’aider à la restauration de la confiance ; et de contribuer à l’instauration d’un environnement sécurisé pour permettre l’acheminement de l’aide humanitaire et, au-delà, le retour des personnes déplacées et des réfugiés, en vue de renforcer le respect de l’Accord de cessez-le-feu humanitaire par toutes les parties et de contribuer au renforcement de la sécurité au Darfour (7). Il faut signaler que la mission de l'AMIS ne s’est pas encore achevée.
La mission de l’UA pour la surveillance des élections aux Comores (MUASEC) fait figure d’opération d’un genre particulier. En effet, créée par une décision du CPS réuni le 15 mars 2006, la MUASEC a été établie à la requête du Gouvernement comorien pour apporter un soutien aux élections aux Comores. Elle était dirigée par l’Afrique du Sud et composée de près de 500 personnels militaires et policiers. Elle a notamment reçu pour mandat d’observer et de superviser le déroulement du processus électoral et de contribuer à créer un environnement stable avant, pendant et après la tenue des élections qui se déroulèrent le 14 mai 2006. La mission a pris fin le 9 juin 2006.
La dernière opération de paix de l’UA en date est la Mission en Somalie (AMISOM) qui a été créée par la décision du CPS de l’UA lors de sa 69ème réunion tenue le 19 janvier 2007 pour contribuer pour une durée de six mois à la phase de stabilisation initiale du pays avant la mise en place d’une opération des Nations Unies qui entreprendra la stabilisation à long terme et la reconstruction post-conflit du pays (8). L’AMISOM a été mandatée pour apporter un soutien aux Institutions Fédérales de Transition dans leurs efforts en vue de la stabilisation de la situation dans le pays et de la promotion du dialogue et de la réconciliation ; de faciliter l’acheminement de l’aide humanitaire et de créer les conditions favorables à la stabilisation, à la reconstruction et au développement à long terme de la Somalie (9). L’AMISOM a été autorisée par le Conseil de sécurité de l’ONU à «prendre toutes les mesures nécessaires» pour s’acquitter de ce mandat. L’AMISOM dont le déploiement des premiers soldats à eu lieu le 6 mars 2007, avec l’arrivée de 370 soldats ougandais, devrait compter à la fin de son déploiement environ 8 000 soldats. Sur les 8 000 soldats qui doivent être déployés dans le cadre de cette mission, environ 1500 sont actuellement présents en Somalie.


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1. Linnea Bergholm, The African Union (AU) and its commitment to non-indifference: can the AU be an actor for the promotion of human security? Department for International Politics, University of Wales, Aberystwith. http://www.peacenetwork.se/document_publications/Linnea_Bergholm.pdf.
2. Van Walraven K. Dreams of power : the role of the Organization of African Unity in the politics of Africa 1963-1993. Ashgate: Aldershot . 1999, cité par Linnea Bergholm, The African Union (AU) and its commitment to non-indifference: can the AU be an actor for the promotion of human security? Department for International Politics, University of Wales, Aberystwith. http://www.peacenetwork.se/document_publications/Linnea_Bergholm.pdf.
3. Communiqué de la quatre-vingt-onzième session ordinaire de l’Organe Central du Mécanisme pour la prévention, la gestion et le règlement des conflits de l’UA, 2 avril 2003, Central Organ/MEC/AMB/Comm. (XCI). http://www.operationspaix.net/IMG/pdf/MIAB_mandat.pdf.
4. Réseau Francophone de recherche sur les opérations de paix. http://www.operationspaix.net/MUAS.
5. Idem.
6. Rapport du président de la Commission sur la situation au Darfour (Soudan), PSC/PR/2(XLV), Conseil de Paix et de Sécurité, 45ème Réunion, 12 janvier 2006, Addis-Abeba, Ethiopie, www.africa-union.org.
7. Idem.
8. Résolution 1744 (2007) du Conseil de sécurité des Nations Unies.
9. Communiqué de la 69ème Réunion du Conseil de Paix et de Sécurité, 19 janvier 2007, PSC/PR/Comm(LXIX).


* Texte également reproduit sur le blog de l'auteur Un oeil sur la politique internationale.

Mode de citation : William ASSANVO, «L’Afrique à l’épreuve du maintien de la paix», MULTIPOL - Réseau d'analyse et d'information sur l'actualité internationale, 13 mai 2007.