En 2004, les autorités judiciaires en RCA ont intenté un procès contre Patassé et plusieurs commandants militaires, pour crimes commis à l'encontre de la population civile. Par la suite, la Cour de cassation, instance judiciaire la plus élevée du pays, a invoqué l'incapacité du système judiciaire national à enquêter efficacement et à poursuivre les crimes concernés pour recommander de déférer les crimes à la CPI, recommandation qui a été suivie par le gouvernement.
Conformément au principe de complémentarité de la CPI qui veut que celle-ci n'intervienne que dans les situations dans lesquelles les autorités judiciaires nationales ne peuvent ou ne veulent engager des procédures véritables, le Procureur de la CPI vient d’accéder la demande de la RCA en décidant d'ouvrir une enquête : « Mon Bureau a analysé avec attention des renseignements provenant de sources diverses. Nous pensons que des crimes graves relevant de la compétence de la Cour ont été commis en République centrafricaine. Nous allons mener notre propre enquête de façon indépendante, rassembler des preuves et poursuivre les principaux responsables », a affirmé Luis Moreno-Ocampo dans un communiqué publié hier à La Haye. Et d’ajouter qu’« une analyse préliminaire des crimes présumés a mis en évidence qu'un pic de violence et de criminalité fut atteint en 2002 et 2003. Des civils furent tués et violés, des maisons et des commerces pillés. Les crimes présumés se sont produits dans le contexte d'un conflit armé entre le gouvernement et des forces rebelles ».
C'est la première fois que le Procureur ouvre une enquête dans laquelle les allégations de crimes sexuels excèdent largement le nombre d'assassinats présumés ». Luis Moreno-Ocampo a ainsi affirmé que « les allégations de crimes sexuels sont précises et étayées. Les renseignements dont nous disposons laissent à penser que des viols ont été commis dans des proportions telles qu'il est impossible de les ignorer au regard du droit international ». « Des centaines de victimes de viol ont fait connaître leur histoire personnelle, rapportant des crimes commis avec une particulière cruauté. Des compte rendus de ces récits sont parvenus jusqu'au Bureau du Procureur. Les victimes décrivent les viols subis en public, les actes de violences commis par plusieurs agresseurs, les viols en présence de membres de leur famille et les autres violences qu'elles ont endurées lorsqu'elles offraient une résistance. De nombreuses victimes ont été par la suite rejetées par leurs familles et leurs communautés ».
Les enquêteurs travaillant au Bureau du Procureur vont maintenant commencer à recueillir des éléments de preuve, en se concentrant sur la période pendant laquelle un pic de violence fut atteint. L'enquête ne vise aucun suspect en particulier à ce stade et sera guidée exclusivement par les preuves qui apparaîtront. L'enquête du procureur de la CPI ne se limitera toutefois pas aux personnes ou aux événements considérés dans la procédure nationale. De fait, dans l’hypothèse où un gouvernement a volontairement déféré des crimes commis sur son territoire, le procureur doit enquêter de façon impartiale sur les crimes commis par toutes les parties au conflit et démontrer qu'il est indépendant de toute influence politique. Le procureur devrait ainsi continuer à recueillir des informations sur les crimes récents commis dans le nord de la RCA et sur toute tentative nationale de poursuites judiciaires. La CPI devra examiner les crimes les plus graves commis par toutes les parties et évaluer s'il y a lieu d'engager des poursuites.
En parallèle de l'enquête portant sur les crimes qui auraient été commis en 2002-2003, le Procureur continuera de porter attention toute particulière à la situation actuelle en République centrafricaine. Depuis mai 2005, le gouvernement de Bozizé combat deux rébellions dans les régions nord-est et nord-ouest de la RCA, aux confins du Tchad et du Soudan. Des rapports inquiétants font état que de graves exactions de la part des forces gouvernementales à l'encontre de la population civile dans ces régions, à savoir des exécutions sommaires et des destructions massives de villages. Avec cette nouvelle enquête, la RCA est devenue la quatrième situation examinée par la CPI. Toutes les enquêtes de la CPI jusqu'ici ont été engagées à la suite de renvois par les autorités nationales elles-mêmes sauf dans le cas du Darfour où la Cour a été saisie par le Conseil de Sécurité.