Telles qu’elles se présentaient au départ, il y a environ un an, les négociations ont connu un fléchissement des différentes positions. En effet, la question fondamentale tournait autour de deux principes nécessaires pour une promotion et une protection efficaces des droits de l’Homme, à savoir, d’une part, l’indépendance des différents experts (soutenue surtout par les occidentaux), d’autre part, une interprétation large de la souveraineté des États et son corollaire, c’est-à-dire un droit de regard permanent et même une implication dans tous les processus de contrôle, allant de la désignation des experts jusqu’à la publication des rapports et même des recommandations. A n’en point douter, le Conseil des droits de l’Homme n’est pas une juridiction, encore moins un organe d’experts à l’instar de la Commission de droit international ; il s’agit bien d’un organe intergouvernemental dont le fonctionnement répond aux logiques d’intérêts et de répartition géographique. Concernant nos deux principes, tout le jeu a consisté finalement à maintenir un équilibre entre les deux, ce qui se reflète, entre autres, dans le code de conduite des procédures spéciales, qui fait partie du paquet de la réforme.
L’autre question, non moins fondamentale, était d’éviter la sélectivité. Elle se jouait dans la mise en place de l’ordre du jour du Conseil des droits de l’Homme. Là encore, les différentes tendances ont cédé sur certaines revendications.
Revenons sur le contenu du texte adopté. En dehors de l’adoption de l’agenda, de l’ordre du jour et des méthodes de travail, le texte porte essentiellement réforme des anciens sous-systèmes connus de l’ancienne Commission des droits de l’Homme. Il y ajoute l’examen périodique universel. Que faut-il retenir de tout cela ?
Commençons par le plus simple, à savoir l’organe d’experts. Il est réduit dans sa composition (ce que réclamaient notamment les États-Unis), il est subordonné au Conseil des droits de l’Homme qui décidera des tâches qu’il doit accomplir (uniquement thématiques), il n’a pratiquement plus de droit d’initiative en matière d’études (même s’il peut formuler des propositions au Conseil) et il n’est plus impliqué dans la procédure 1503 dans sa nouvelle version. Il reste toutefois, grâce à l’appui des pays du Sud, un organe plénier. En ce sens, on a un organe d’experts moins dispersé dans ses compétences et recentré uniquement sur l’expertise qu’il peut apporter au Conseil. C’est un think tank.
Venons-en à la procédure de plainte créée en vertu de la résolution 1503 et communément appelée «procédure 1503». L’enjeu principal était de deux ordres : d’un, l’ouverture ou la levée relative de confidentialité au nom du droit des victimes à connaître la vérité ; de deux, le remodelage des groupes d’examen. Au résultat, il y a une mini-réforme de cette procédure. Non seulement, les plaignants restent soumis à l’exigence d’épuiser toutes conditions de recevabilité avant même que la requête soit transmise à l’État, mais celle-ci n’est soumise à aucun délai vraiment contraignant. En outre, la confidentialité est préservée même si le plaignant peut être informé du «parcours» de sa requête. Ce n’est donc que formel. Quant aux groupes d’examen, il n’y a pas un grand changement. L’ambition de départ a donc été revue à la baisse au cours des négociations.
Concernant les procédures spéciales. La grande nouveauté porte sur trois points : le processus de sélection, les conditions d’adoption des procédures géographiques ou par pays (très contestées) et le code de conduite.
1) La sélection des titulaires de procédures spéciales se fera désormais par le biais d’un groupe consultatif intergouvernemental qui établira une courte liste des différents candidats. Mais la nomination lui échappe et échoit au Président avec approbation du Conseil. 2) L’établissement des mandats par pays ou géographiques obéira un quorum du tiers des membres du Conseil. 3) Le code de conduite régira désormais les relations entre les titulaires de mandats et les États, tant en ce qui concerne les demandes de visites, la préparation des visites, la conduite des visites, qu’en ce qui touche à la publication des rapports et au comportement des titulaires de mandats lors des visites in loco. Ce code a été voulu par les pays du Sud, nonobstant l’opposition des pays du Nord (sauf États-Unis), qui y voyaient un péril à l’indépendance des procédures spéciales ; celle-ci est sauvegardée dans le texte.
L’examen périodique est la seule nouveauté. Là encore, certains ont voulu y voir un mécanisme de contrainte pour les États qui violent les droits de l’Homme. Ainsi, ce groupe préconisait une implication a minimum de l’État examiné avec la possibilité de le sanctionner par l’établissement d’une procédure spéciale ou d’une mission d’enquête. Cette manière de voir aurait dénaturé le texte de la résolution 60/251 qui fait de l’EPU, un mécanisme de dialogue et de coopération. Elle aurait été un échec dans la mesure où elle aurait inévitablement conduit à la non coopération et à la politisation des situations de violations. La seconde manière de voir les choses a triomphé, car l’État est désormais impliqué dans toutes les phases du mécanisme : de la phase préparatoire à la phase de résultat et de suivi. Trop impliqué, dirait-on, car le texte final laisse une marge de manœuvre importante à l’État. Cette stratégie peut aussi s’avérer non productive de résultats dans la mesure où les États sont moins volontaires dans l’auto-examen des situations des droits de l’Homme. Qui plus est, les ONGs et les experts n’y sont impliqués qu’à minimum.
Signalons encore que la volonté d’encadrer les sessions spéciales n’a pas connu de succès. Nous ne pouvons pas soulever tous les aspects de cette réforme ici. Relevons seulement que, comme tout compromis issu de longues et difficiles négociations, le texte de réforme du Conseil des droits de l’Homme reflète l’équilibre entre différentes tendances. Il ne sera jugé qu’aux résultats. On peut néanmoins remarquer qu’il y a ici une prégnance de l’État à toutes les phases de tous les mécanismes. C’est le triomphe et le retour en force de l’État. Gageons qu’il sera de bonne volonté pour une meilleure protection des droits de l’Homme.