9 juillet 2007

ANALYSE : Les économies maghrébines à l’épreuve de l’élargissement de l’Union Européenne


Smail KOUTTROUB 

Résumé
En janvier 2007, la Bulgarie et la Roumanie ont adhéré à l’Union européenne. Auparavant, la Pologne, la Tchéquie, la Slovaquie, la Slovénie, l’Estonie, la Lettonie, la Lituanie, la Hongrie, Chypre et Malte ont intégré la famille européenne en 2004.  Au Maghreb, l’idée que l’on se fait de l’élargissement est loin d’être univoque. Pour certains, il est une opportunité qu’il va falloir saisir. Pour d’autres, en revanche, cet élargissement est à craindre en raison des répercussions qu’il pourrait entraîner, à long terme, pour la rive Sud de la Méditerranée. Entre le pessimisme des uns et l’optimisme des autres, la prudence s’impose.
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Pour la plupart des analystes, les mutations qu’induirait l’élargissement à l’Est auront un impact direct sur l’aide financière accordée aux pays du Maghreb et sur certains secteurs économiques largement dépendants du marché européen. L’agriculture et l’industrie textile qui constituent l’essentiel des exportations maghrébines pourraient souffrir de la concurrence. La question des investissements directs européens qui pourraient miser sur les pays de l’Est au détriment  du Maghreb inquiète également les pays de la rive Sud. L’absence d’une intégration régionale rend  plus vulnérable les économies maghrébines. 

Une contraction du volume d’aide au Maghreb ? 

L’aide au développement est l’un des champs traditionnels de l’action de l’Union Européenne sur la scène internationale. La plupart des pays du Sud reste tributaire des aides européennes qui ont connu d’importantes évolutions en termes de volume financier, d’instruments d’action et des priorités auxquelles elles sont destinées. Juridiquement, c’est le Traité de Maastricht de 1992 qui donna une assise à la politique de coopération au développement en y faisant expressément référence. L’objectif principal de la politique de l’Union dans ce domaine est la réduction et, à terme, l’éradication de la pauvreté. Sur les 60 milliards d’euros d’aide publique internationale au développement, l’Union et ses pays membres en fournissent ensemble 55%. Derrière cette consécration juridique et cette grande contribution européenne à cet effort international, se cache l’ambition de faire de l’Union un vrai pôle de solidarité avec les pays tiers. Quoique critiquée et présentant souvent un bilan mitigé, l’aide européenne devrait marquer une certaine identité européenne dans le domaine du développement. C’est une approche globale, où s’intègrent une dimension politique, une coopération financière et un volet commercial, avec une préférence pour le partenariat. 

Dans le cadre du partenariat  euro-méditerranéen et les accords d’association signés avec les pays du Maghreb, l’Union fournit un effort financier considérable. Pour la période (2003-2006), l’Union Européenne a consacré 5,35 milliards de dons et 7,4 milliards de prêts destinés aux projets de développement de la rive Sud de la Méditerranée[1]. 

L’adhésion de douze nouveaux membres à l’Union Européenne va profondément métamorphoser la carte géoéconomique de l’Europe et de son voisinage. Il en résulte un impact direct sur les aides accordées aux pays du Maghreb. 

En effet, l’accompagnement des politiques d’ajustement des économies des pays de l’Est a nécessité un effort sans précédent de la part de l’Union. Tout au long du processus d’adhésion, l’Union Européenne a axé son action sur la restructuration et la mise à niveau d’un tissu productif  qu’il fallait adapter aux réalités du marché. 

Une question surgit : l’appui européen se ferait-il au détriment de sa politique d’aide aux pays du Maghreb ? 

L’analyse approfondie des divers instruments financiers destinés à l’Est et au Sud laisse apparaître des écarts considérables en termes de volume, d’actions financées et d’objectifs escomptés à moyen et long terme.

Pour la période 2000-2006, les nouveaux pays adhérents ont bénéficié d’une enveloppe budgétaire de 21 milliards d’euros, répartie de la façon suivante : 10,5 milliards pour le programme Phare ; 3,5 milliards pour l’aide au développement agricole et 7 milliards pour l’aide structurelle[2]. A l’horizon 2013, cette tendance se confirme. Le coût net prévisionnel de l’élargissement est estimé à 29 milliards d’euros[3]. En 2006, les trois pays du Maghreb ont bénéficié de 280 millions d’euros d’aides budgétaires et de financement direct sous forme de dons. 

Comparé au volume d’aides accordées aux pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée, le choix européen est clairement favorable aux nouveaux adhérents à l’Europe. L’Union Européenne verse 545 euros par habitant et par an dans les douze pays nouvellement adhérents, contre 14 euros, prêts compris, dans les pays du Sud de la Méditerranée. A l’instar des autres partenaires de l’Union Européenne en Méditerranée, les pays du Maghreb fortement tributaires de l’aide européenne risquent donc de faire les frais d’une politique communautaire en matière d’aide et d’investissement qui avantagerait l’Europe Centrale et Orientale. Les conséquences d’une telle politique trop favorable à l’Est ne tarderaient pas à se faire sentir. L’effort financier consenti permettrait aux économies des pays de l’Est d’être plus compétitives que celles des pays maghrébins. Jean-Pierre Séréni estime « qu’il ne s’agit pas de reprocher à Bruxelles d’en faire trop mais de s’interroger sur les conséquences d’une politique qui défavorise les plus pauvres dans des proportions extravagantes »[4]. 

Il est fort probable que certains secteurs productifs maghrébins souffriront de la concurrence directe de certains produits en provenance des pays de l’Est (produits agricoles, textiles…). L’allocation de fonds supplémentaires pour certains secteurs menacés est plus que vitale. Cela suppose qu’un effort financier  plus considérable soit consenti. Le lancement, en 2007, de l’instrument européen de partenariat et de voisinage doté d’un budget de 15 milliards d’euros donnerait une nouvelle impulsion à la coopération financière entre l’Union et le Maghreb. Encore faut-il respecter une certaine équité entre voisins de l’Est et ceux du Sud. 

Ceci étant, la vulnérabilité des pays du Maghreb est d’autant plus grande que leurs économies sont peu diversifiées et que les exportations vers le marché européen reposent sur un nombre limité de produits. Il s’agit principalement des hydrocarbures, des phosphates et de produits agro-alimentaires. À l’exception des produits énergétiques (pétrole et gaz naturel), les autres produits à l’exportation risquent d’être durement affectés par l’élargissement. En raison d’un degré de spécialisation similaire, les pays du Maghreb craignent la concurrence directe des produits de l’Est sur le marché européen. 

Les exportations agricoles en difficulté 

Depuis quelques décennies, les pays du Maghreb considéraient le marché européen comme un débouché naturel pour certaines de leurs exportations agricoles.  Dans les années 1980, l’élargissement à l’Espagne, au Portugal et à la Grèce avait relativement affecté les exportations agricoles marocaines et tunisiennes. Rappelons que depuis les années 1970, la coopération commerciale entre l’Europe et les pays du Maghreb accordaient aux pays maghrébins un accès privilégié au marché européen. Les accords ultérieurs ont généralement maintenu les avantages acquis[5]. Dans le contexte de libéralisation des échanges que connaît le monde d’aujourd’hui sous l’impulsion de la mondialisation, ces avantages sont appelés à disparaître. Les produits exportés vers l’Union Européenne par les nouveaux pays adhérents et les pays du Maghreb sont susceptibles d’entrer en concurrence. 

Ceci étant, les produits agricoles en provenance du Maghreb et ceux de l’Europe de l’Est auront-ils les mêmes atouts pour être compétitifs sur le marché européen ? Absolument pas. Les aides financières en faveur des pays de l’Europe Centrale et Orientale dans le cadre de la politique agricole commune le montre clairement : entre 2000 et 2006, ces pays ont bénéficié d’une allocation annuelle 520 millions d’euros dans le cadre du programme SAPARD[6]. En 2006, plus de 4,147 milliards d’euros ont été accordés aux nouveaux pays membres dans le cadre de la politique agricole commune. Cet effort consenti pour moderniser le secteur agricole et le rendre plus compétitif peut s’avérer fort préjudiciable pour le secteur agricole maghrébin. 

Commentant l’inégalité de traitement entre agriculteurs de l’Est et ceux du Maghreb, Jean-Pierre Séréni note que les premiers bénéficieront en principes des aides. En revanche, pour les pays du Sud signataires d’un accord de libre échange, il n’est pas question de bénéficier des largesses de la politique agricole commune. Et l’auteur d’ajouter : « demain, les pays de l’Est comme ceux du Sud se retrouveront concurrents dans l’immense zone de libre échange, mais pas à armes égales : les premiers auront financé leur mise à niveau par des subventions, les autres par des prêts qu’il leur faudra rembourser et qui pèseront sur leurs coûts de production »[7]. En l’absence d’autres marchés, cette situation pourrait mettre en difficulté les exportations maghrébines représentant une part importante des rentrées en devises étrangères. L’industrie agro-alimentaire pourrait aussi souffrir de cette nouvelle donne économique engendrée par l’élargissement. Les investissements pourraient s’installer facilement en Europe de l’Est où ils sont avantagés par les subventions généreuses de l’Union Européenne. 

Le secteur agricole n’est pas le seul à subir les conséquences de l’élargissement. Le tissu industriel maghrébin constitué en grande partie de petites et moyennes entreprises pourrait faire les frais du nouvel environnement régional (élargissement de l’Europe) et international (adaptation aux règles de l’Organisation mondiale de commerce). 

L’industrie textile maghrébine à l’heure de  l’élargissement 

Dans ses rapports commerciaux avec l’Europe, les pays du Maghreb bénéficiaient depuis 1971 du système de préférence généralisé (SPG) qui accordait des avantages  pour les exportations de produits industriels finis ou semi-finis, agricoles transformés et textiles en provenance du Maghreb. Ce système ne comprend pas de clause de réciprocité pour les pays maghrébins dont la seule obligation est d’appliquer la clause de la nation la plus favorisée et de ne pas faire de discriminations entre les pays de l’Union Européenne. Au cours des années 1990, l’Union a proposé de renégocier ces accords avec ses partenaires du Sud de la Méditerranée avec comme objectif une libéralisation complète en 2010. S’adaptant à une économie qui se mondialise de plus en plus, les accords d’association conclus entre l’Union Européenne et les pays du Maghreb ont adopté cette proposition  qui vise la suppression des accords préférentiels que les règles de l’Organisation mondiale du commerce condamnent progressivement. Des questions surgissent : cette libéralisation ne menace-t-elle pas les produits industriels maghrébins condamnés à entrer en compétition directe avec ceux des pays de l’Est ? Les produits maghrébins seront-ils plus compétitifs sur le marché européen ? 

Comparés aux pays du Maghreb, les pays de l’Est présentent plusieurs atouts. Les avantages compétitifs en termes d’appareils de production et de main d’œuvre très qualifiée  se révèlent très largement en leur faveur[8]. Aussi, la régionalisation des échanges mondiaux du textile-habillement demeure favorable aux pays de l’Est. 

Depuis 1990, les pays de l’Est sont devenus un véritable pôle textile pour l’Europe. Ils représentaient, en 2000, 21% des importations extra-communautaires d’habillement en moyenne, mais jusqu’à 36% pour l’Italie et 31 % pour l’Allemagne. Ils se situaient juste après les pays Méditerranéens (23%)[9]. L’intégration de la zone Est dans les circuits industriels européens du secteur a été rapide par rapport à celle des partenaires traditionnels comme les pays du Maghreb. Cette tendance est appelée à se renforcer si l’Union Européenne n’agit pas en faveur de ce secteur sensible pour les maghrébins. Pour un pays comme la Tunisie, ces difficultés seront d’autant plus difficiles à surmonter qu’elles coïncident avec le démantèlement, en janvier 2005, des accords multifibres (AMF), qui accordent aux produits textiles tunisiens un accès privilégié au marché européen, et son corollaire, le renforcement de la concurrence internationale dans ce secteur qui représente la moitié des exportations tunisiennes. Saida Chtioui, secrétaire d’État auprès du ministre des Affaires étrangères, a tiré la sonnette d’alarme : « L’appui financier généreux de l’Union Européenne aux nouveaux États membres va renforcer considérablement leur compétitivité par rapport aux partenaires maghrébins et aggraver ainsi la disparité des niveaux de développement entre les deux rives de la Méditerranée »[10]. Selon un scénario basé sur des expériences de simulation établi par Ali Bayar et Ghazi Ben Ahmed, l’impact de l’élargissement sur l’ensemble des pays arabes (y compris les partenaires méditerranéens de l’Union) est généralement faible, sauf dans le textile et l’habillement. Ce secteur enregistrerait une baisse de 1,6% pour le Maroc et 1,1% pour le reste de l’Afrique du Nord. Chiffré en millions de dollars, l’impact se traduirait par une perte de 254 millions de dollars pour toute la région[11]. Et Khader Bichara de conclure : « le défi le plus préoccupant auquel les pays méditerranéens seront confrontés proviendra essentiellement de la libéralisation du commerce multilatéral, ce qui contribuera à l’accentuation de la pression concurrentielle et à l’érosion de l’accès préférentiel au marché européen »[12]. 

La volonté des européens de faire de l’Union Européenne à 27 la zone la plus compétitive de la planète va engendrer d’énormes difficultés pour des secteurs très sensibles de l’économie maghrébine en raison d’un degré identique de spécialisation avec les économies des pays de l’Est. Cela aura aussi des conséquences sur les délocalisations, les investissements directs et les flux de capitaux vers le Maghreb. 

Plus  d’investissements à  l’Est 

L’absence d’une intégration maghrébine et les difficultés de mise en œuvre d’une zone maghrébine de libre échange font de l’Union Européenne la seule issue possible pour les économies maghrébines pour s’intégrer à cet espace potentiellement prometteur. Les Européens restent les premiers investisseurs au Maghreb. À l’exception du secteur énergétique, où une certaine présence américaine se fait sentir notamment en Algérie, presque tous les investissements étrangers sont d’origine européenne avec une présence plus marquée des Français, Espagnols et Italiens. L’élargissement à l’Est va-t-il changer la donne ? Assisterons-nous à une ruée des capitaux vers la nouvelle Europe au détriment du Maghreb ? En terme d’avantages comparatifs, le Maghreb dispose-t-il de plus d’atouts que les pays de l’Europe Centrale et Orientale pour séduire les investisseurs étrangers ? 

La réponse à ces deux interrogations dépendra des évolutions ultérieures que connaîtra le processus d’intégration en Europe et du degré de réussite des réformes mise en œuvre au Maghreb depuis plus d’une décennie. 

La phase de transition que traverse l’Europe Centrale et Orientale ne leur permet pas encore un accueil massif de capitaux. À l’instar des pays du Maghreb, les pays de l’Est se sont engagés dans un processus de libéralisation et de mise à niveau de leur tissu productif pour attirer les capitaux étrangers. Les tendances leurs sont nettement favorables en matière d’investissements directs étrangers (IDE) : avec 23 milliards de dollars de flux entrants, les douze pays adhérents (candidats en 2000)  ont totalisé   1,8 %  des investissements mondiaux  alors que les pays méditerranéens n’ont  drainé que 8 milliards de dollars[13]. 

Cette tendance semble se confirmer. En 2005, le Maghreb n’a reçu que 16% des 40 milliards d’euros d’investissements dans la région Meda. D’une façon générale, les nouveaux pays adhérents représentent un marché potentiellement attractif. Par habitant, la zone Meda reçoit 3 à 4 fois moins d’investissements que les pays de l’Europe Centrale et Orientale. Entre 2002 et 2005, ces pays ont attiré 62% des investissements contre 38% pour la zone Meda[14]. 

Si l’on analyse de près ces chiffres, on se rend compte de l’importance que commence à prendre ces pays dans l’économie régionale et internationale. Aussi, la question du détournement des investissements pays de l’Est / Maghreb mérite d’être posée. 

En effet, les pays du Maghreb pourraient souffrir d’une telle situation si rien n’est entrepris à moyen et long terme. L’attractivité mondiale des pays de l’Europe Centrale et Orientale est en progression. Jean-Joseph Boillot estime que l’amélioration de l’environnement des affaires dans ces pays, l’adhésion à l’Union Européenne, la taille des marchés et le coût du capital humain attirent les investisseurs vers les pays de l’Europe Centrale et Orientale[15]. Allant dans le même sens, Bichara Khader affirme que l’adhésion à l’Union stimule les flux de capitaux. La maturation des marchés boursiers va attirer davantage d’investissements et d’aides de tout genre vers les pays de l’Europe Centrale et Orientale  alors que les pays de la Méditerranée continueront à souffrir d’un déficit d’image, d’économies  fragmentées, endettées et peu diversifiées, d’un cadre institutionnel encore imprécis et d’un manque de maturité des marchés boursiers[16]. Si l’on ajoute à tous ces facteurs la lenteur des réformes engagées, l’insuffisance des aides européennes et le risque d’instabilité politique qui règne sur le Maghreb, on ne peut que s’inquiéter de l’avenir des investissements à destination de la région maghrébine. 

Au sommet européen de Lisbonne en 2000, l’Union Européenne s’est fixé pour objectif de devenir « l’économie la plus compétitive et la plus dynamique du monde ». Cela signifie concrètement pour les nouveaux adhérents un plus grand soutien financier (les programmes communautaires d’aides, les prêts de la Banque européenne d’investissements….) et humain pour la mise à niveau de leurs économies afin de les rendre plus compétitives. Cette situation est de nature à marginaliser davantage les pays du Maghreb qui bénéficiaient des investissements européens dans certains secteurs industriels. Or, on constate depuis quelques années une vague de délocalisation des entreprises ouest-européennes qui s’implantent à l’Est. Les Occidentaux ont beaucoup investi à l’Est. Cela crée la croissance et l’emploi nécessaires au décollage de ces économies. Cette nouvelle tendance alimente des craintes au Maghreb : moins d’investissements européens signifie un ralentissement de la croissance, plus de chômage et des tensions sociales chroniques. L’immigration vers le vieux continent deviendrait la seule issue. Et, c’est l’Europe qui en subirait les conséquences. Aujourd’hui, l’Union Européenne consacre l’essentiel de son énergie et de ses ressources aux voisins de l’Europe  Centrale et Orientale. Soucieux d’intégrer l’Europe, ces derniers ont gagné le pari après des années de sacrifices et de douloureuses réformes. Pour relever les défis, les Maghrébins doivent impérativement suivre ce modèle d’intégration réussi. 

Pour une coopération inter-bloc : Union Européenne/Maghreb 

La nouvelle donne géoéconomique engendrée par l’élargissement inquiète les partenaires de l’Europe. Pour rassurer l’ensemble de ses voisins, les Européens ont lancé, en 2003, une nouvelle politique européenne de voisinage. En 2007, cette politique s’est dotée d’un nouvel instrument financier appelé « instrument européen de voisinage et de partenariat ». La Commission européenne avait proposé un budget de 15 milliards d’euros pour soutenir cette politique. Pour les pays du Maghreb, seuls le Maroc et la Tunisie bénéficient de ces financements. 

Certes, ces ressources supplémentaires allouées peuvent soulager des économies en difficulté et financer les réformes. Néanmoins, elles s’avèrent insuffisantes pour compenser les pertes que subiront les maghrébins sur un marché européen qui s’ouvre à l’Est et se mondialise. Pour dépasser cette conjoncture difficile, les maghrébins doivent agir dans deux directions : relancer l’intégration maghrébine et se rapprocher des pays de l’Est. 

Face à une Europe unie, pacifiée et prospère, le Maghreb doit s’engager sur la voie de l’intégration économique. Aujourd’hui, le Maghreb est en panne. Économiquement, le constat est amer : sur un total de 173 milliards de dollars d’échanges commerciaux, seulement 2% de ce montant sont échangés entre les pays maghrébins. Chaque année, les pays du Maghreb perdent un à deux points de croissance en raison de la paralysie de l’Union du Maghreb Arabe. Cela représente 10 milliards de dollars de manque à gagner par an,  soit l’équivalent de 5% du produit intérieur brut du Maghreb. Le coût de l’émiettement économique du Maghreb s’avère trop élevé. Cela nous décrédibilise aux yeux de nos voisins européens. Ces derniers mènent une politique fondée sur une approche différenciée. Les accords d’associations comme les nouveaux plans d’action ont fait l’objet de négociations unilatérales entre l’Union et chaque partenaire maghrébin. Il doit être clair que la principale responsabilité incombe aux maghrébins eux6mêmes. Inutile de continuer à faire le procès des autres. « Pour devenir partenaire avec l’Europe, il faut tirer les enseignements de l’histoire contemporaine. Le coût du non-Maghreb est supérieur au coût du Maghreb », souligne Habib El Malki[17]. 

Ceci étant, l’accord d’Agadir signé en 2004 et ratifié en 2006[18] pourrait servir de base à une nouvelle relance de l’intégration économique en Afrique du Nord. Cet ensemble régional  ouvert sur l’Europe et le Moyen Orient pourra constituer une alternative pour des économies maghrébines en difficulté. Cette intégration Sud/ Sud  est une nécessité. Aussi, les maghrébins ont intérêt à s’ouvrir sur la « nouvelle Europe ». 

Au début des années 1990, le Président français François Mitterrand déclara : « Le rapprochement des deux Europes, trop longtemps séparées, ne se fera pas aux dépens des solidarités et des liens de toutes sortes qui unissent les douze à leurs voisins arabes et à leurs autres voisins ». Et le Président français d’ajouter : « L’appui à l’Est représente pour nous une addition et non une soustraction… Il ne s’agit pas pour nous de choisir entre l’Est et le Sud, mais de maintenir et de mettre en œuvre les engagements que nous avons pris »[19]. Cette déclaration rappelle aux Européens la nécessité d’une solidarité plus agissante envers leurs voisins du Sud. De leur côté, les Maghrébins doivent cesser de considérer l’élargissement comme une nouvelle source d’inquiétude pour l’avenir de leurs relations avec l’Union Européenne. L’élargissement augmente la taille du marché européen. Les Maghrébins doivent être plus compétitifs pour conquérir ces nouveaux espaces économiques en Europe de l’Est  Pour cela, ils doivent faire un effort en direction de ces pays pour mieux connaître leurs besoins et mieux y promouvoir leurs produits. 

Il serait très souhaitable qu’un rapprochement se fasse dès à présent entre les nouveaux pays adhérents à l’Union et les pays du Maghreb. L’ancien ministre tunisien de l’économie a appelé à une « initiative Est-Sud », qui réunirait les nouveaux États membres de l’Union Européenne et les dix pays du pourtour méditerranéen. L’objectif est le renforcement de la coopération entre les deux ensembles[20]. 

À l’heure de la mondialisation, la réussite de l’intégration Nord/Sud reste largement tributaire d’une coopération Sud/Sud très poussée. L’une complète l’autre. Les Maghrébins doivent dépasser leurs divergences politiques. Plus que jamais, le Maghreb est nécessaire.


Mode de citation : Smail  KOUTTROUB, « Les économiesmaghrébines à l’épreuve de l’élargissement de l’Union Européenne », MULTIPOL - Réseau d'analyse et d'information sur l'actualité internationale, 9 juillet 2007.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que la responsabilité de son auteur.





[1] Luc de BAROCHEZ, « La Méditerranée se sont laissée pour compte », Le Figaro, 14 avril 2004.
[2] Source : Agenda 2000 et Commission européenne.
[3] Maxime LEFEBVRE, « Quel budget européen à l’horizon 2013 », Revue d’études européennes, n°9, mars 2006.
[4] Jean-Pierre SERENI, « Le Sud de la Méditerranée oublié », Le Monde Diplomatique, mars 2003.
[5] Jean-François DREVET, « La Méditerranée oubliée », Confluences Méditerranée, n° 46, été 2003.
[6] Jean-Joseph BOILLOT, L’Union un défi économique pour tous, Paris, La Documentation française, 2003, pp. 167-168.
[7] Jean-Pierre SERENI, op. cit.
[8] Alain CROCHET, « L’élargissement de L’UE aux pays de l’Est : concurrence ou complémentarité des pays du tiers monde », in L’élargissement de l’Union Européenne, sous la direction d’Elisabeth du REAU, Presse de la Sorbonne nouvelle, 2001, p. 63.
[9] Jean-Joseph BOILLOT, op. cit., p.102.
[10] Déclaration cité par Ridha KEFI , « Faut-il avoir peur de la nouvelle Europe », Jeune Afrique, n° 2271, 18-24 juillet 2004.
[11] Rapport FEMISE, cité par Bichara KHADER , « L’élargissement à l’Est et le partenariat euro- méditerranéen : un jeu à somme positive », Louvain-la-Neuve, Publication du CERMAC, 2003.
[12] Idem.
[13] Rapport FEMISE, cité par Bichara KHADER, op. cit., p. 8.
[14] Les investissements directs étrangers dans la région MEDA en 2005, Notes et Études du réseau ANIMA, n°20, mai 2006.
[15] Jean-Joseph BOILLOT, op. cit., pp. 47-48.
[16] Khader BICHARA, op. cit., p. 9.
[17] Voir « Entretien avec Habib Malki », L’Économiste, 26 mars 2007.
[18] Accord de libre échange entre le Maroc, la Tunisie, l’Égypte et la Jordanie.
[19] Cité par Saad LAMRANI et Najib LAIRINI, « Le Maghreb et le système régional et international : crises et mutations », Études internationales, vol. 22, 1991-II.
[20] Ridha KEFI, « Faut-il avoir peur de la nouvelle Europe ? », Jeune Afrique, n° 2271, juillet 2004.

Commentaires

1. Le mardi 10 juillet 2007, 09:46 par Brian Menelet
Il semble en effet que les aides traditionnellement fournies par l'U.E. aux pays du Maghreb risquent de diminuer considérablement, car les derniers élargissements, en particulier celui des 10 de 2004 pèsent très lourd dans le budget européen. Sans doute cette conséquence sera lourde pour la stabilité de cette région et sur l'émigration du Maghreb vers l'U.E. du fait, comme vous le soulignez, des problèmes induis dans le textile et donc d'un appauvrissement des populations de cette zone.
L'élargissement de 2004 a d'ailleurs eu d'autres répercutions sur les aides destinées notamment au Proche Orient, et il me semble que là aussi, des difficultés importantes sont à prévoir, notamment du côté palestinien qui, déjà en crise interne, risque bien de voir les subsides européens se réduire à peau de chagrin et augmenter les tensions dans une zone qui n'en a pas besoin...

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