La plus haute juridiction américaine avait été saisie par des parents qui contestaient les règles d'admission dans un lycée de Seattle (État de Washington, Nord-Ouest) et dans une école primaire de Louisville (Kentucky, Centre-Est). Dans ces deux villes, où Blancs et minorités ne vivent pas dans les mêmes quartiers, les règlements en vigueur régulant les inscriptions sont destinés à imposer une mixité entre élèves blancs et noirs.
C’est ainsi qu’à Seattle, entre 1999 et 2001, l'origine ethnique a été le critère qui a empêché 300 adolescents –200 Blancs et 100 Noirs, Hispaniques ou Asiatiques– de s'inscrire dans le lycée de leur choix. Or, pour les parents d'élèves, soutenus par le gouvernement, ces mesures décidées par des conseils locaux d'éducation étaient tout aussi discriminatoires que la politique de ségrégation interdite par la Cour suprême en 1954 dans sa décision Brown v. Conseil d'éducation.
Lors d'une première audience, en décembre 2006, plusieurs juges avaient insisté sur l'intérêt supérieur que représente la lutte contre la ségrégation, intérêt au nom duquel les juridictions inférieures ont, dans l'ensemble, validé les règlements contestés.
En 2003, la Cour avait autorisé les universités à prendre en compte l'origine ethnique dans leurs critères d'admission, afin de favoriser la diversité dans leur recrutement, à condition toutefois que cela soit un élément parmi d'autres, et qu'il ne soit pas question de quotas. Mais la décision avait été rendue par cinq voix contre quatre et la juge centriste Sandra Day O'Connor, qui avait alors fait pencher la balance, a laissé sa place l'année dernière au conservateur Samuel Alito, nommé par le Président Bush et opposé aux mesures de discrimination positive à l'école.
«La recherche par les écoles d'un objectif estimable ne veut pas dire qu'elles sont libres d'effectuer une discrimination sur la base de la race pour l'atteindre», indique la décision rédigée par le président de la Cour, John Roberts. Ce dernier estime en effet que, «pour mettre un terme à la discrimination fondée sur la race, il faut arrêter de faire de la discrimination sur le fondement de la race».
Le juge Clarence Thomas, seul juge noir de la Cour, a rappelé son opposition de principe à la discrimination positive. S'il y a un déséquilibre entre les races, «ce n'est pas la ségrégation», a-t-il expliqué, ajoutant que l'intégration forcée ne garantissait pas que les groupes ethniques se mélangent dans la cour de récréation.
Les partisans de la discrimination positive voient toutefois une lueur d'espoir dans l'avis rédigé par le juge Anthony Kennedy. Tout en votant avec la majorité pour juger excessive l'utilisation du critère racial dans les établissements de Seattle et Louisville, celui-ci a affirmé que la décision rendue ne devait pas être interprétée comme une interdiction absolue de prendre en compte la race dans les politiques d'admission. À ses yeux, les écoles peuvent prendre en compte la race des élèves, mais à la condition que ce ne soit qu'un critère parmi de nombreux autres.
Pour leur part, les juges progressistes de la Cour suprême ont vigoureusement critiqué cet arrêt. «C'est une décision que la Cour et le pays vont regretter», a dénoncé le juge Steven Breyer, au nom des quatre juges progressistes, dans une longue déclaration dépourvue des habituelles formules de politesse et insistant sur la réalité du manque de mixité raciale dans les écoles américaines.
Le doyen des neuf sages, John Paul Stevens, a pour sa part évoqué la «cruelle ironie» voulant que la majorité se soit appuyée sur la jurisprudenceBrown v. Conseil d'éducation pour justifier sa décision, ajoutant être «fermement convaincu» qu'aucun des juges qui siégeaient lorsqu'il a rejoint la Cour en 1975 «n'aurait été d'accord avec la décision d'aujourd'hui».
Cette décision est «atterrante», a réagi le chef de la majorité démocrate au Sénat, Harry Reid. Depuis la décision interdisant la ségrégation en 1954, «c'était une loi établie que la Constitution réclamait la mixité raciale dans les écoles», a-t-il estimé, alors que de nombreuses associations de défense des minorités exprimaient leur déception.
Cette décision de la Cour suprême revêt une importance considérable pour les écoles, les parents et les élèves à travers les États-Unis dans la mesure où elle écorche les fondements de la politique de discrimination positive appliquée au départ, dans les années 1950 et 1960, pour lutter contre les inégalités dont les Noirs étaient victimes.
Elle n'affectera pas seulement les commissions scolaires de Louisville et de Seattle, mais toutes celles dans le pays -soit plusieurs centaines- qui utilisent la discrimination positive pour empêcher un retour de la ségrégation raciale. Toutes ces commissions scolaires devront réviser leurs règlements.