Selon des estimations des services de renseignement américain datant de 2005, Téhéran pourrait disposer d’assez de matières fissiles pour fabriquer sa première arme seulement dans une dizaine d’années, soit courant 2010-2015, compte tenu des difficultés qui résident aussi bien dans les processus de conversion de l’uranium que dans son enrichissement (4). Parallèlement, des études beaucoup plus pessimistes faites par des chercheurs de l’International Institute for Strategic Studies (IISS) de Londres et de l’Institute for Science and International Security (ISIS) de Washington parlaient de 2009-2010. Pour Bruno Tertrais de la Fondation pour la Recherche Stratégique, il faudrait compter avec un Iran nucléaire dès la fin 2008 (5). Toutefois des doutes subsistent encore sur la question puisqu’il est très difficile actuellement d’en savoir plus sur les progrès enregistrés par l’Iran dans son éventuel programme nucléaire militaire, tout le reste ne reposant que sur des spéculations et des scénarios. Seuls les rapports de l’AIEA – puisque ne contenant que ce qui a pu être vérifié sur le terrain par les inspecteurs – permettent d’en savoir plus sur l’état d’avancement des activités nucléaires du régime des mollahs (6).
De toutes les façons, que ce soit à moyen ou long terme, l’Iran aura sa bombe si telle est réellement sa volonté. Ce sont surtout les conséquences qui seront déstabilisantes pour la sous-région. Un Iran nucléaire ne ferait qu’accroître les tensions au Moyen-Orient. Et ce qui est le plus à craindre pour la sécurité internationale est l’effet boule de neige qui en résulterait car l’attitude de certains États qui estiment que leur sécurité est mieux assurée si leurs voisins n’ont pas d’armes nucléaires pourrait être revisitée. L’évolution des pays, comme l’Égypte, l’Arabie Saoudite, la Syrie, l’Algérie et la Turquie, devrait alors être suivie avec attention (7). En effet, la possibilité ne peut pas être écartée de voir l’Égypte reconsidérer son option nucléaire puisque si le statut nucléaire d’Israël est déjà difficilement acceptable pour elle, la naissance d’éventuelles armes nucléaires iraniennes pourra être perçue comme un risque majeur de sécurité nationale pour Le Caire.
La même menace pourrait pousser l’Arabie Saoudite à vouloir acquérir la bombe en échange de grosses sommes d’argent. Si l’Égypte envisageait un jour de se lancer dans une aventure nucléaire, alors on peut imaginer que les pays rivaux arabes comme la Syrie ou l’Algérie ne l’observeront pas comme des enfants de cœurs. En définitive, un Moyen-Orient nucléaire pourrait de ce fait amener la Turquie à renoncer à son statut actuel d’État non doté d’arme nucléaire. Les derniers développements de l’actualité internationale semblent venir confirmer cette perspective de nucléarisation en chaîne. En effet, le 3 novembre 2006, six pays arabes – à savoir l’Algérie, l’Égypte, le Maroc, la Tunisie, les Émirats Arabes Unies et l’Arabie Saoudite – auraient manifesté leur intention de se lancer dans des programmes nucléaires civils, à en croire l’AIEA (8), ce qui est tout à fait leur droit si on se réfère à l’article V du TNP (9). Mais le fait qu’il est facile de passer des applications civiles aux applications militaires du nucléaire ainsi que l’instabilité de la région ne rassurent guère sur les intentions de ces pays qui pourraient être amenés à suivre l’exemple de Téhéran si dans quelques temps ce dernier parvenait finalement à montrer que sous couvert d’un programme nucléaire civil il a réussi à fabriquer la bombe.


(1) Amos HAREL, «Military Intelligence: Iran will cross nuclear threshold by 2009», Haaretz, 11 July 2007.
(2) Le 11 avril 2006, le Président iranien annonçait cependant au monde entier que son pays maîtrisait désormais toute la technique de l’enrichissement de l’uranium. Un an après, il serait passé à sa phase industrielle, ce qui indiquait pour Ahmadinéjad «le chemin vers un développement irréversible» : «J’annonce avec fierté qu’à compter d’aujourd’hui, l’Iran fait partie des pays qui produisent du combustible nucléaire à une échelle industrielle», avait-il déclaré le 9 avril 2007 lors d’une réunion au centre d’enrichissement d’uranium de Natanz où devrait être installée une cascade de 30 000 centrifugeuses. L’objectif à terme étant d’en installer 50 000.
(3) L’Iran a toujours affirmé son droit à l’utilisation pacifique de l’énergie nucléaire conformément à l’article IV du TNP et ne cesse de clamer que son programme nucléaire n’est que civil. Mais les pays occidentaux, les États-Unis en premier, estiment que l’objectif caché de Téhéran est de développer un programme militaire.
(4) Dafna LINZER, «Iran is Judged 10 Years from Nuclear Bomb»,Washington Post, 2 August 2005.
(5) Bruno TERTRAIS, «Iran : la Bombe fin 2008 ?», Fondation pour la Recherche Stratégique, 15 mai 2006. http://www.frstrategie.org/barreCompetences/prolifDissuasionDefenses/20060515.pdf.
(6) Tous ces développements sont disponibles sur le site de l’AIEA : http://www.iaea.org/NewsCenter/Focus/IaeaIran/index.shtml.
(7) Georges LE GUELTE, «La prolifération : état des lieux»,Questions internationales, nº 13, mai/juin 2005, p. 31.
(8) Richard BESTON, «Six Arab states join rush to go nuclear»,The Times, 4 November 2006.
(9) L’article V du TNP veut que «(…) les avantages pouvant découler des applications pacifiques, quelles qu’elles soient, des explosions nucléaires soient accessibles sur une base non discriminatoire aux États non dotés d’armes nucléaires qui sont Parties au Traité (…)».