En réalité, l’échéance d’octobre 2008 évoquée paraît illisible, sauf à revendiquer la compétence technique reconnue en la matière à la Commission chargée des élections. Même sur ce point, il n’a échappé à personne qu’en raison de la situation actuelle de la Côte d’Ivoire, ce serait faire preuve d’une grande absence de réalisme que de mettre à la charge exclusive de la CEI la détermination d’une date crédible pour l’élection du Président de la République. Doit-on voir dans les propos de M. Mambé, membre d’un parti de l’opposition politique, une manœuvre politicienne électoraliste ? Dans cet ordre d’idées que penser de la position du Président burkinabè ?
Consacrons-nous plutôt à des considérations rationnelles loin des tactiques politiques électoralistes ou autres supputations interminables. Ainsi, se pose la question du rôle de la CEI, notamment son Président, dans l’établissement du calendrier électoral. On peut également se demander quels sont les textes applicables en la matière ? Le contexte actuel de la Côte d’Ivoire impose-t-il d’autres règles en dehors de la législation en vigueur ? Qui fixe, en définitive, la date de l’élection présidentielle ?
En fait, en raison de la partition de la Côte d’Ivoire consécutivement au coup d’État manqué du 19 septembre 2002 qui s’est mué en affrontements militaires entre l’armée régulière et la rébellion, le Conseil constitutionnel, dans son avis d’octobre 2005 et en application de l’article 38 de la Constitution d’août 2000, a déclaré l’impossibilité d’organiser l’élection présidentielle, imposant au Président de la République de se maintenir à son poste. Ce texte précise, en substance, qu’en cas d’atteinte à l’intégrité du territoire national, ce qui fut le cas en l’espèce, il faut attendre la cessation de l’atteinte pour organiser l’élection présidentielle. La réalisation de cet objectif est l’épine dorsale des mesures prévues par l’accord de Ouaga de mars 2007, aux termes duquel il a été projeté d’organiser l’élection du Président de la République en mars 2008. Dans cet esprit, le fonctionnement des pouvoirs publics constitutionnels (la Présidence de la République et le Gouvernement, le Parlement, le Conseil constitutionnel, la Cour suprême et les autres juridictions, le Conseil économique et social, la CEI, etc.) vise non seulement le retour à la normalité, mais également l’organisation des élections politiques nationales, notamment celle du Président de la République.
Le constat est éloquent que l’accord de Ouaga souscrit au respect de la Constitution ivoirienne et à son cadre institutionnel, à l’inverse de ses devanciers qui visaient à instaurer, contrairement à la Loi fondamentale, un bicéphalisme concurrentiel au sein de l’Exécutif ivoirien avec une prédominance du Premier ministre. Ainsi, le chronogramme de l’accord de Ouaga – s’il est poursuivi avec sérieux malgré le relatif retard – devra permettre aux pouvoirs publics constitutionnels, concernés par les questions électorales, de livrer avec précision la date de l’élection présidentielle prochaine.
À ce sujet, il y a lieu de préciser que, désormais, tout le processus électoral n’est plus conduit par le Gouvernement. Une Commission chargée des élections a été créée par le Constituant de 2000 à cet effet. La transparence des élections explique cette innovation majeure, dont l’opposition politique à l’ancien parti unique, le PDCI-RDA, peut se targuer d’en être l’inspiratrice. On se souvient, lors des débats parlementaires de novembre-décembre 1994, de la proposition du député Wodié en faveur d’une commission indépendante chargée des élections (rejetée sine die par la majorité PDCI-RDA, qui ne manqua pas, par la voix de M. Djédjé Mady, d’assimiler ces propositions innovantes à un coup d’État), soutenue par ses collègues de l’opposition, notamment celui qui en était le leader à l’époque, M. Gbagbo.
La CEI a, dans ses attributions, l’organisation technique et matérielle des élections aux fins desquelles, elle peut solliciter et obtenir le concours du Gouvernement par exemple. Ainsi, lorsque surviennent des évènements (les conséquences de la guerre notamment) faisant obstacle à la tenue de l’élection du Président, au sens de l’article 38 de la Constitution, ce texte précise que la CEI doit tenir le juge électoral, c’est-à-dire le Conseil constitutionnel, informé quotidiennement de l’évolution de la situation. Il revient à ce dernier, assuré de la cessation des évènements faisant obstacle – qu’il s’agisse de la partition du territoire national ou encore de la réinstauration de l’autorité de l’État sur l’étendue du territoire national – de prévoir un délai, qui ne peut excéder quatre-vingt dix jours avant le terme duquel doit être organisée l’élection présidentielle.
Cela implique que soit déterminée, à l’intérieur de ce délai, la date précise de l’élection que le Conseil constitutionnel n’est pas habilité à fixer. Il s’agit d’une question technique, dont le pouvoir de proposition est reconnu, par l’article 2 de la loi organique de 2001 modifiée relative à la CEI et l’article 20 du code électoral, à la Commission chargée des élections. Il est évident que l’accord de Ouaga met à la charge du Gouvernement la réalisation des conditions favorables (la fin de la partition du territoire national, le redéploiement de l’administration, les audiences foraines, la mise à jour des listes électorales, la confection des cartes d’électeurs, etc.) à l’organisation, par la CEI, de l’élection présidentielle.
Il ressort assez nettement de ce débat qu’en vertu de l’article 36, alinéa 2, de la Constitution, repris et complété par l’article 20 du code électoral, il revient au Président de la République, à qui la Constitution reconnaît la détention exclusive du pouvoir décisionnel en Conseil des ministres, de convoquer le corps électoral, autrement dit de fixer par décret la date de l’élection présidentielle.
En définitive, l’esprit des constituants et législateurs ne pouvant être ignoré, il s’impose de voir, relativement à cette question discutée, le nécessaire concours des pouvoirs publics constitutionnels dans la mise en place des conditions permettant la détermination de la date de l’élection présidentielle, dont la transparence demeure l’une des finalités importantes pour conjurer – osons l’espérer – le recours aux coups d’État.

Mode officiel de citation : Agnero Privat MEL, «Quelle date pour l'élection présidentielle en Côte d'Ivoire ?», MULTIPOL - Réseau d'analyse et d'information sur l'actualité internationale, 8 octobre 2007.