"Duch" a été présenté au Tribunal pour une pré-audience visant à faire appel de sa détention avant le début, en 2008, des procès des responsables khmers rouges du génocide qui a coûté la vie à environ 1,7 million de Cambodgiens entre 1975 et 1979.
Inculpé de crimes contre l'humanité en juillet dernier, "Duch" a déposé un recours contre son maintien en détention, arguant du fait qu’avant d'être transféré en juillet dernier à la prison du Tribunal où il a été inculpé, il a passé, depuis 1999, huit années dans une prison militaire sans aucune charge à son encontre.
L'ancien chef de la prison S-21 de Phnom Penh, centre de torture le plus tristement célèbre du régime khmer rouge, a été conduit depuis sa cellule dans la prison voisine du Tribunal jusqu'à la salle d'audience.
Pour cette première comparution d'un haut dirigeant khmer rouge devant cette instance - neuf ans après la mort du chef des khmers rouges, Pol Pot, qui a fait renaître la crainte que les responsables du régime ne soient jamais jugés pour leurs crimes -, plusieurs centaines de journalistes, observateurs internationaux et Cambodgiens s’étaient rassemblés près du Tribunal.
"Duch" est l'un des cinq principaux responsables khmers rouges détenus par les autorités cambodgiennes. Sa comparution intervient, en effet, au lendemain de l'arrestation et de l'inculpation pour crimes contre l'humanité et crimes de guerre de l'ancien chef d'État khmer rouge Khieu Samphan, 76 ans, à Phnom Penh.
Le 12 novembre dernier, l'ancien ministre khmer rouge des Affaires étrangères Ieng Sary, 77 ans, et sa femme Ieng Thirit, 75 ans, qui fut ministre des Affaires sociales, ont été arrêtés à Phnom Penh par la police cambodgienne, avant d'être déférés devant le Tribunal spécial. L'ancien numéro deux du régime, Nuon Chea, a également été inculpé en septembre dernier de crimes contre l'humanité et crimes de guerre.
Le Tribunal spécial a été mis sur pied en 2006 après sept années de difficiles négociations sur son financement et ses compétences entre l'ONU et le gouvernement cambodgien.
De fait, depuis le 29 avril 2000, date à laquelle un accord de principe est intervenu entre le Cambodge et les Nations Unies pour la mise en place d’un Tribunal spécial commun, et l’arrestation de Khieu Samphan, hier, d’innombrables séances de négociations ont été nécessaires.
En août 2001, le roi, Norodom Sihanouk, officialisait la création d’une cour spéciale mixte, cambodgienne mais «à caractère international». La cour est composée de 29 magistrats (12 internationaux – dont les Français Jean-Marc Lavergne et Marcel Lemonde – et 17 Cambodgiens). Elle ne peut juger que les personnalités encore en vie, et la peine de mort ne sera pas requise. Les procès pourraient durer trois ans.
Ce n’est toutefois que le 13 juin 2007 que les juges cambodgiens et internationaux ont enfin pu se mettre d’accord sur une centaine de règles de fonctionnement. L’adoption d’un règlement intérieur permettra aux procureurs de transmettre les dossiers aux juges d’instructions. Avec un budget limité de 56,3 millions de dollars (environ 40 millions d'euros) sur trois ans, les procès doivent débuter l'année prochaine.
Reste que, trente ans après les faits, la juridiction est plus morale que pénale, puisque la plupart des tortionnaires sont déjà morts et que les survivants ont une moyenne d’âge proche des 80 ans.
Pourquoi, dès lors, avoir attendu si longtemps avant le début du fonctionnement effectif du Tribunal spécial ? Les raisons d’une telle attente sont multiples. Le jugement des responsables de la mort de près du quart de la population nationale est, notamment, longtemps resté embarrassant pour une large partie de la classe politique qui a eu des liens avec les Khmers rouges et qui n’apprécient guère la présence d’étrangers dans le jugement d’«affaires intérieures» au pays.
Le roi, Norodom Sihanouk, a, pour sa part, régné brièvement au début de l’ère khmère rouge, alors que la Chine était la grande alliée de Pol Pot et que personne ne souhaite faire le procès du puissant voisin. Les États-Unis eux-mêmes, qui ont considéré un temps les Khmers rouges comme des partenaires contre le Vietnam à l’époque prosoviétique, n’étaient pas enclins à accélérer la justice. Quant à l’ONU, elle a permis aux Khmers rouges de garder leur siège à New York bien après qu’ils eurent été chassés de Phnom Penh.