Six ans après l’adoption du projet d’articles sur la responsabilité internationale des Etats pour fait illicite, on ne dispose toujours pas d’un instrument contraignant codifiant les règles secondaires de la responsabilité en droit international. Et sans afficher un certain péssimisme, on peut douter que l’on puisse disposer d’un tel instrument dans les délais les plus raisonnables. Le droit de la responsabilité reste aux côtés du droit des traités, du droit diplomatique et consulaire et de la Charte des Nations unies, un des piliers les plus importants de l’ordre juridique international. Pourquoi une telle lenteur après presque soixante années de travail de codification et de développement progressif ?
En réalité, la finalisation précipitée du projet d’articles et son adoption par la CDI ont été le résultat d’une certaine pression de la part des Etats, soucieux d’en finir avec ce sujet. Elles ont, par conséquent, entraîné de longues négociations et accouché d’un compromis, dont aucun Etat n’était vraiment satisfait in toto, fragile équilibre entre la conception bilatéraliste et la conception communautariste du droit international.
La difficulté à laquelle on fait face aujourd’hui est de s’entendre sur le sort à réserver au projet d’articles, résultant d’une juxtaposition entre des dispositions de nature coutumière et d’autres, qui constituent du développement progressif. Ce sont donc surtout ces dernières dispositions qui ont posé problème. Les Etats ne sont pas tous d’accord sur ce sujet, se divisant ainsi entre conventionnalistes immédiats, conventionnalistes à long terme et non conventionnalistes. Pour le premier groupe, il faut adopter une convention en ouvrant une convention diplomatique. Pour le second groupe d'Etats, il faudrait préserver le mode actuel et donner le temps au projet d’articles de s’intégrer dans le corpus normatif par la pratique des Etats et des juridictions internationales et, pour le troisième groupe d’Etats il n’y a pas lieu d’adopter une convention. Ces différentes écoles avancent divers arguments qu’on ne saurait reprendre ici.
Que faut-il donc attendre ?
En réalité, l’Assemblée générale des Nations Unies, à qui il reviendra de prendre une décision finale sur ce sujet, affiche une certaine prudence : elle laisse la porte ouverte à l’une ou l’autre solution. En même temps, elle entreprend une dynamique qui, sans préjuger de la solution finale, traduit la volonté de laisser le temps au temps et de ne pas se précipiter, au risque d’aboutir à une décodification. Cette tactique dilatoire semble traduire une question d’opportunité. Ce qui se dégage des différentes résolutions.
Dans la première résolution sur ce sujet adopté le 12 décembre 2001 (A/RES/56/83), l’AG recommandait le texte du projet d’articles à l’attention des Etats sans préjudice de la question de leur adoption future ou de toute autre issue future (§ 2 de la résolution). Elle décidait ensuite d’inscrire cette question à son ordre du jour de la 59e session, c’est-à-dire trois années plus tard.
En 2004, l’Assemblée générale a adopté une seconde résolution sur ce sujet (A/RES/59/35), où elle recommandait de nouveau le projet d’articles à l’attention des Etats, toujours sans préjuger de la question de son adoption future ou d'une autre issue. De plus, l’Assemblée générale sollicitait, par le biais du Secrétaire général de l’ONU, les observations des gouvernements sur la décision à prendre au sujet du projet d’articles et demandait à celui-ci de préparer une compilation des décisions des juridictions internationales et autres organes internationaux et d’inviter les Etats à communiquer leur pratique interne à cet égard. Elle décidait encore d’inscrire le sujet à l’ordre du jour de sa 62e session, c’est-à-dire en 2007, trois ans plus tard.
Par cette seconde résolution, l’Assemblée général a franchi une première étape qui lui permettra d’évaluer l’application, par les Etats et les juridictions internationales, des dispositions du projet d’articles.
Cette résolution n’est pas restée lettre morte, puisqu’une compilation a été réellement faite (Doc. A/62/62 du 1er février 2007) et que certains Etats, notamment l’Allemagne et le Royaume-Uni, ont fait état de leur pratique interne (Doc. A/62/63 du 09 mars 2007). Néanmoins, ceci n’a pas modifié la position antérieure des Etats.
A la suite des travaux de la Sixième Commission qui se sont déroulés cette année, la question a été de nouveau posée, mais les positions n’ont guère changé. Cependant, le projet de résolution préparé par la Sixième Commission (Doc. A/c.6/62/L. 20 du 09 novembre 2007) traduit la dynamique constructive entamée par l'Assemblée générale. Ce projet contient quatre dispositions : 1) recommandation du projet d’articles à l’attention des Etats ; 2) sollicitation des observations des Etats sur la décision à prendre sur le projet d’articles ; 3) actualisation par le Secrétaire général des décisions des juridictions internationales et autres organes internationaux et sollicitation de la pratique interne des Etats ; 4) enfin, l’Assemblée devra inscrire ce sujet à son ordre du jour de la session de 2010 mais, si elle reste saisie de la question, elle va désormais l’examiner dans le cadre d’un groupe de travail de la Sixième Commission. C’est là la nouveauté.
Ce projet de résolution rédigé par la Sixième Commission confirme la prudence et la politique des « petits pas » adoptée par l’Assemblée générale. Il est dès à présent prématuré de dire l’issue qui pourrait être réservée à ce projet d’articles de la CDI, même si notre préférence va à l’adoption d’une convention qui donnera force contraignante aux dispositions relatives au développement progressif, évitant ainsi une « application à la carte ». C’est l’unité des règles secondaires du droit international de la responsabilité qui est en jeu et, au-delà, une interprétation et une application uniformes de cette branche essentielle du droit international.
Commentaires
Je ne pense donc pas que l'adoption du texte par voie conventionnelle soit la panacée pour l'unité d'interprétation et d'application du droit international en matière de responsabilité. Cette unité n'est même pas, à mon avis, menacée par les interprétations unilatérales des Etats marquées du sceau de la relativité, mais elle est plutôt renforcée par l'acceptation de ces règles par les prétoires internationaux. Enfin, leur existence coutumière continue indépendamment de leur adoption par voie conventionnelle ou non.
je vous remercie pour votre commentaire à cette note. Puisqu'elle est de cette nature, je n'ai pas voulu développer la question sur de nombreuses pages pour parler des dispositions du projet d'articles qui ont fait tellement débat au sein de la Commission du droit international, notamment dans la seconde partie de ce projet élaborée après le départ du juge AGO, sous la responsabilité des différents rapporteurs spéciaux qui se sont succédés, à savoir Ripaghen, Arango-Ruiz et J. Crawford. Vous remarquerez, à la lecture des travaux de la CDI, que c'est là qu'il y a eu les débats les plus houleux, tant au sein même de la CDI qu'à la 6e Commission. Je vous accorde volontiers que certaines dispositions du travail effectué par AGO ont également fait débat, au débat, notamment le recentrage du droit de la responsabilité fondé sur le principe "tout fait internationalement illicite entraîne de nouvelles relations juridiques....", ainsi que le débat sur les différents caractères du fait illicite dans le temps....Outre cela, les règles relatives à l'imputabilité et celles portant sur l'exclusion de l'illicéité n'ont pas vraiment posé problème. Ces règles sont d'un caractère coutumier reconnu et leur application dans le droit international a mûri au fil des arbitrages et des décisions judiciaires et reconnues comme telles par les Etats (cf. Paricrisie ou encore les différents du recueil des sentances arbitrales ou les décisions de la CPJI et de la CIJ, et la confirmation par la doctrine des juristes les plus reconnues. Pas de problème de ce côté-là. On peut y ajouter la CEDH, la CADH, le Comité des droits de l'homme, l'Organe de l'OMC...Soit.
Revenons maintenant à la question d'interprétation. D'accord avec vous qu'un interprétation faite par une partie à un différend ou dans une autre circonstance ne lie pas les autres. Mais, je parlais d'interprétation au sens où certains reconnaitraient certaines des dispositions controversées comme de la coutume et pas d'autres: il y aurait donc conflit d'interprétation de savoir si telle ou telle disposition controversée du projet d'articles est de nature coutumière. Et vous en connaissaiz l'enjeu, c'est celui du caractère contraignant ou non.
A ce niveau-là, plusieurs questions peuvent survenir. Je vous renvoie à une de ces questions, posée dans l'affaire du Plateau continental de la Mer du Nord à propos de la convention de codification du droit de la mer de 1970, où une des parties contestait le cartère coutumier d'une des dispositions de ladite convention. Les problèmes peuvent donc survenir dans le conflit entre deux traités de codification portant sur la même question et se rassemblant en tous points (ceci peut arriver également entre deux traités simples, exemple pris de l'acte général de 1929 et celui de 1949...), mais également entre traité et coutume....et je passe.
Et ne ce qui concerne d'autres dispositions controversées du projet d'articles, ce n'est pas parce que la CIJ ou d'autres juridictions les appliquent qu'elles relèvent de la coutume. Il faut être très prudent à ce niveau et la CIJ et d'autres juridictions, lorqu'elles citent les travaux de la CDI, il ne me semble pas, que pour les dispositions pouvant relever du développement progressif, elles parlent de coutume. ces juridictions sont assez prudentes, et, parfois, il est assez difficile de déceler leur position à ce sujet (voyez encore en ce sens, le vieil arbitrage du rainbow warrior ou plus récemment l'affaire Ilesçu devant la CEDH....). Donc, la citation ou l'application des projet d'articles ne saurait être interpreté comme un blanc-seing au caractère coutumier des dispositions relevant du développement progressif. A contrario, il s'agit là d'une inscription dans la pratique internationale et interne de ces dispositions pouvant aboutir tôt (hypothèse de la coutume sauvage-René-J Dupuy et Georges ABI SAAB) ou tard (hypothèse de la coutume sage-cf. Pierre HAGGENMACHER et autres) à de la coutume. Et c'est dans ce sens, il y a du progrès(voir le document que j'ai indiqué dans ma note, l'article publié dans l'ICLQ par J. Crawford et la conférence qu'il a donnée l'année dernière à la British Institute of International and comparative law sur le projet d'articles et la jurisprudence de l'ICSID).
Sans convention de codification, tout Etat ne restera lié que par les dispositions purement coutumières. Pour les autres, les Etats peuvent s'arranger entre eux de les reconnaître comme coutumières (sorte de coutume bilatérale). la fracture se ferait donc entre ceux qui les reconnaissent comme coutumières et ceux qui les recoonaissent pas.
En outre, les dispositions qui font problème entre Etats et font craindre que le choix d'une conférence de plénipotentiaires ne rouvre le travail de codification, sont celles qui sont au coeur des ejneux politiques, noattement les contre-mesures....( je vous invite à lire les nombreux travaux de la 6e Commission sur le rpojet d'articles et vous verrez de quels Etats je parle ).
Enfin, l'unité serait consacrée dans dans une convention pour les raisons que je viens d'évoquer: on saura dès lors et applicables à tous, sauf réserves et déclarations interprétatives, quelles normes secondaires s'appliquent à tous. Plus de conflit sur la nature coutumière ou non. L'application in concreto ne remettra en question cette nature ainsi que les modes d'application de ces règles prévues dans le texte. Le reste n'est et ne sera qu'une application à des circonstances relatives à chaque espèce.
Quant à l'application dont vous parlez, elle n'est pas toujours uniforme sur toutes les règles secondaires et la CDI a opéré certains malgré certaines oppositions, parfois minoritaires en son propre sein.