En réalité, la finalisation précipitée du projet d’articles et son adoption par la CDI ont été le résultat d’une certaine pression de la part des Etats, soucieux d’en finir avec ce sujet. Elles ont, par conséquent, entraîné de longues négociations et accouché d’un compromis, dont aucun Etat n’était vraiment satisfait in toto, fragile équilibre entre la conception bilatéraliste et la conception communautariste du droit international.
La difficulté à laquelle on fait face aujourd’hui est de s’entendre sur le sort à réserver au projet d’articles, résultant d’une juxtaposition entre des dispositions de nature coutumière et d’autres, qui constituent du développement progressif. Ce sont donc surtout ces dernières dispositions qui ont posé problème. Les Etats ne sont pas tous d’accord sur ce sujet, se divisant ainsi entre conventionnalistes immédiats, conventionnalistes à long terme et non conventionnalistes. Pour le premier groupe, il faut adopter une convention en ouvrant une convention diplomatique. Pour le second groupe d'Etats, il faudrait préserver le mode actuel et donner le temps au projet d’articles de s’intégrer dans le corpus normatif par la pratique des Etats et des juridictions internationales et, pour le troisième groupe d’Etats il n’y a pas lieu d’adopter une convention. Ces différentes écoles avancent divers arguments qu’on ne saurait reprendre ici.
Que faut-il donc attendre ?
En réalité, l’Assemblée générale des Nations Unies, à qui il reviendra de prendre une décision finale sur ce sujet, affiche une certaine prudence : elle laisse la porte ouverte à l’une ou l’autre solution. En même temps, elle entreprend une dynamique qui, sans préjuger de la solution finale, traduit la volonté de laisser le temps au temps et de ne pas se précipiter, au risque d’aboutir à une décodification. Cette tactique dilatoire semble traduire une question d’opportunité. Ce qui se dégage des différentes résolutions.
Dans la première résolution sur ce sujet adopté le 12 décembre 2001 (A/RES/56/83), l’AG recommandait le texte du projet d’articles à l’attention des Etats sans préjudice de la question de leur adoption future ou de toute autre issue future (§ 2 de la résolution). Elle décidait ensuite d’inscrire cette question à son ordre du jour de la 59e session, c’est-à-dire trois années plus tard.
En 2004, l’Assemblée générale a adopté une seconde résolution sur ce sujet (A/RES/59/35), où elle recommandait de nouveau le projet d’articles à l’attention des Etats, toujours sans préjuger de la question de son adoption future ou d'une autre issue. De plus, l’Assemblée générale sollicitait, par le biais du Secrétaire général de l’ONU, les observations des gouvernements sur la décision à prendre au sujet du projet d’articles et demandait à celui-ci de préparer une compilation des décisions des juridictions internationales et autres organes internationaux et d’inviter les Etats à communiquer leur pratique interne à cet égard. Elle décidait encore d’inscrire le sujet à l’ordre du jour de sa 62e session, c’est-à-dire en 2007, trois ans plus tard.
Par cette seconde résolution, l’Assemblée général a franchi une première étape qui lui permettra d’évaluer l’application, par les Etats et les juridictions internationales, des dispositions du projet d’articles.
Cette résolution n’est pas restée lettre morte, puisqu’une compilation a été réellement faite (Doc. A/62/62 du 1er février 2007) et que certains Etats, notamment l’Allemagne et le Royaume-Uni, ont fait état de leur pratique interne (Doc. A/62/63 du 09 mars 2007). Néanmoins, ceci n’a pas modifié la position antérieure des Etats.
A la suite des travaux de la Sixième Commission qui se sont déroulés cette année, la question a été de nouveau posée, mais les positions n’ont guère changé. Cependant, le projet de résolution préparé par la Sixième Commission (Doc. A/c.6/62/L. 20 du 09 novembre 2007) traduit la dynamique constructive entamée par l'Assemblée générale. Ce projet contient quatre dispositions : 1) recommandation du projet d’articles à l’attention des Etats ; 2) sollicitation des observations des Etats sur la décision à prendre sur le projet d’articles ; 3) actualisation par le Secrétaire général des décisions des juridictions internationales et autres organes internationaux et sollicitation de la pratique interne des Etats ; 4) enfin, l’Assemblée devra inscrire ce sujet à son ordre du jour de la session de 2010 mais, si elle reste saisie de la question, elle va désormais l’examiner dans le cadre d’un groupe de travail de la Sixième Commission. C’est là la nouveauté.
Ce projet de résolution rédigé par la Sixième Commission confirme la prudence et la politique des « petits pas » adoptée par l’Assemblée générale. Il est dès à présent prématuré de dire l’issue qui pourrait être réservée à ce projet d’articles de la CDI, même si notre préférence va à l’adoption d’une convention qui donnera force contraignante aux dispositions relatives au développement progressif, évitant ainsi une « application à la carte ». C’est l’unité des règles secondaires du droit international de la responsabilité qui est en jeu et, au-delà, une interprétation et une application uniformes de cette branche essentielle du droit international.