24 décembre 2007

ANALYSE : Côte d’Ivoire : le bout du tunnel

Guy LABERTIT

Signé à la fin du mois de novembre par le chef de l’État ivoirien Laurent Gbagbo, son Premier ministre, Guillaume Soro, et le facilitateur, le Président du Burkina Faso Blaise Compaoré, Président en exercice de la CEDEAO, l’accord complémentaire aux accords de Ouagadougou du 4 mars 2007 permet de combler les retards pris dans le processus qui doit conduire à des élections transparentes en 2008, notamment en matière de désarmement et d’identification. La suppression de la carte de séjour des étrangers et la première visite d’État du Président, accompagné du Premier ministre, dans le Nord du pays ont contribué à apaiser le climat politique dans un pays désormais réunifié où la guerre est finie. Cette évolution intérieure positive, qui n’est pas exempte de petits coups d’arrêt, va de pair avec une amélioration des rapports politiques et économiques avec les pays voisins, une meilleure intégration dans l’arène internationale, marquée par le dégel des relations avec la France, mais aussi par la prudence de l’ONU. Enfin, elle permet de jeter les bases d’une nécessaire relance économique.

Où en est l’accord de Ouagadougou ?

Les dissensions apparues en novembre entre le Premier ministre Guillaume Soro et le ministre de l’Intérieur Désiré Tagro, lors de la quatrième réunion du Comité d’évaluation et d’accompagnement des accords de Ouagadougou, ont nécessité, à la demande du facilitateur,  une nouvelle réunion au sommet à Ouagadougou, le 27 novembre dernier, entre le chef de l’État ivoirien et son Premier ministre. Elle s’est conclue par un accord complémentaire symboliquement paraphé le lendemain à Korogho, au Nord de la Côte d’Ivoire, où le chef de l’État effectuait sa première visite depuis 2002, en compagnie du Premier ministre. Il fixe la tenue de l’élection présidentielle avant la fin du premier semestre 2008, la Commission électorale indépendante (CEI) proposant un calendrier au gouvernement. Le président de la CEI, qui est contrôlée par l’opposition, avait proposé, il y a quelques semaines, que l’élection se tienne au mois d’octobre.

Par ailleurs, l’opérateur français Sagem a été choisi pour la confection des cartes d’identité et des cartes d’électeur suite au processus d’identification. La date du 22 décembre a été retenue pour un début effectif de regroupement des ex-combattants, le stockage des armes et le démantèlement des milices sous la conduite du Centre de commandement intégré. Ces opérations permettront d’engager la mise en place du service civique, d’asseoir, de façon incontestable, l’autorité des préfets et sous-préfets nommés dans le Centre, le Nord et l’Ouest du pays et d’y redéployer effectivement les Forces de défense et de sécurité, les policiers et gendarmes. Des allocations mensuelles seront versées afin de faciliter le désarmement, la démobilisation et la réinsertion. Tous les éléments des Forces nouvelles ayant appartenu aux Forces armées ivoiriennes, à la gendarmerie ou aux corps paramilitaires seront réintégrés dans la nouvelle armée nationale avec rappel de solde et reconstitution de leur carrière. C’est le facilitateur Blaise Compaoré qui arbitrera la question des grades acquis au sein des Forces nouvelles ainsi que des quotas d’intégration d’éléments des Forces nouvelles dans la nouvelle armée nationale.

Au 1er décembre, environ 15 000 des 24 500 fonctionnaires ont regagné leur affectation dans les 22 départements des zones Centre/Nord/Ouest ; ont été nommés et installés, parfois de façon précaire, six préfets de régions, seize préfets de départements, 27 secrétaires généraux de préfecture et 106 sous-préfets. Les structures sociales, éducatives et sanitaires ont recommencé à y fonctionner ainsi que l’administration financière. Les maires, dénués de moyens et dont les rapports avec les Forces nouvelles étaient difficiles, ont également pu rejoindre leur mairie, pour certains seulement à la fin novembre (Katiola).

C’est avant la fin du mois de décembre que doit démarrer la reconstitution des registres d’état-civil et au 30 décembre que doit être redéployée l’administration fiscale et douanière sur la base du principe de l’unicité de caisses. Au 30 janvier 2008, toujours selon l’accord complémentaire de Ouagadougou, l’administration publique doit être en place sur tout le territoire.

Lancées le 25 septembre 2007 pour une durée de trois mois, les audiences foraines avec 25 premières équipes, devenues 55 depuis la mi-décembre, ont examiné seulement 84 806 demandes au 7 décembre, dont 80 000 environ ont été satisfaites. Le rythme de l’identification des sans-papiers a été trop lent car seuls les moyens de l’État ont été mobilisés, malgré les appels réitérés par le Premier ministre aux bailleurs de fonds qui n’ont pas commencé à ce jour à honorer leurs engagements prometteurs de la table ronde du 18 juillet. Il va de soi que l’opération va être prolongée et les équipes démultipliées sur tout le territoire pour atteindre le nombre prévu de 111. Chaque nouvelle équipe aura trois mois pour travailler. Outre le problème matériel, la sensibilisation des populations requiert l’engagement de tous, acteurs politiques, religieux, ONG… Le choix des lieux des audiences doit tenir compte du poids des contraintes socio-culturelles.

Le climat politique intérieur en Côte d’Ivoire

Deux événements, qui ont conforté la collaboration du chef de l’État et de son Premier ministre, ont contribué à détendre le climat politique dans le pays. Le premier est l’annonce, faite le 28 octobre 2007 par le chef de l’État, devant des milliers de Burkinabé, de la suppression de la carte de séjour pour les étrangers. Elle avait été instaurée en 1990 à l’initiative de Alassane Ouattara pour renflouer les caisses de l’État. A l’époque, les quelques députés du FPI, que dirigeait Laurent Gbagbo, avaient voté contre cette mesure. A cette occasion, le Président a souligné qu’elle n’avait pas atteint l’objectif financier fixé et, surtout, qu’elle avait été à l’origine de tracasseries administratives et policières incessantes et de fraudes à l’identité. Les conséquences ont été dramatiques quand le concept d’ivoirité a été utilisé dans le champ politique.

Cette annonce est devenue réalité dès le 10 novembre dernier, après adoption par le Conseil des ministres des conclusions d’une commission sur le titre de séjour qui a travaillé du 2 au 7 novembre. Toutes les forces politiques ont ainsi été associées à cette initiative du chef de l’État. Cette mesure concrète, d’une immense portée en Côte d’Ivoire et dans la CEDEAO, n’a pourtant pas fait l’objet de beaucoup de commentaires dans les medias internationaux qui s’étaient pourtant montrés très préoccupés par les conséquences politiques de la manipulation du concept d’ivoirité.

L’autre événement a été la tournée du chef de l’État dans le Nord du pays du 28 au 30 novembre 2007. La première étape à Ferkéssédougou, ville dont est originaire Guillaume Soro, a été une réponse à la visite symbolique du Premier ministre à Gagnoa, ville natale du Président, le 22 octobre. Le Premier ministre s’est engagé dans la réussite de cette tournée présidentielle dans quatre départements du Nord : Korogho, Ferkéssédougou, Tengréla et Boundiali.

L’annonce du démarrage de nombreux projets de développement, à partir de février 2008, a marqué cette visite d’État dans la région des Savanes : adduction d’eau potable, infrastructures routières (réalisation de Tengrela/Boundiali et études des axes Boundiali/Odienné et Ferkéssédougou/Bouna), transformation du CHR de Korogho en CHU. A cela s’ajoute le remboursement immédiat de 9 milliards FCFA de dettes de l’État aux planteurs de coton.

Le succès de cette tournée, qui confirme la fin de la guerre et conforte l’alliance de fait entre Président et Premier ministre, met en porte-à-faux l’opposition politique regroupée au sein du PDCI de Henri Konan Bédié et le RDR d’Alassane Ouattara. Difficile d’être crédible pour un PDCI qui organise nombre de meetings sur le thème de « la mort de l’accord de Ouagadougou » ou pour un RDR, assez peu présent sur le terrain et dont le leader affirme, sur les ondes d’ONUCI-FM, que le Président sortant ne sera pas au second tour.

En prélude à la visite d’État dans le Nord, Charles Blé Goudé, président de l’Alliance des jeunes patriotes, a tenu meeting à Korogho en alliance avec les Forces nouvelles de Guillaume Soro dont il soutient la stratégie aux côtés du chef de l’État.

Avec la fin de la guerre et la réunification du pays, la Côte d’Ivoire vit à l’heure actuelle une normalisation de sa vie politique avec ses règles démocratiques, ses alliances qui se nouent et se dénouent. Le 18 octobre dernier, le chef de l’État a eu un entretien avec Alassane Ouattara, les présidents du RDR et du PDCI se sont rencontrés le 16 novembre et les Forces nouvelles entretiennent des relations tumultueuses avec le PDCI et le G7, regroupement de l’opposition.

De son côté, le FPI, en séminaire du 9 au 11 novembre, a mis à l’ordre du jour l’actualisation de son programme et doit penser son articulation politique au sein de la mouvance présidentielle. Ancien président du FPI, le chef de l’État entend « labourer le terrain »  le plus largement possible et envisage, à partir de janvier 2008, de prochaines tournées dans l’Ouest, dans la région des montagnes, au Centre et de nouveau au Nord.

Marginalisé par l’accord de Ouagadougou signé par son frère ennemi Guillaume Soro, le sergent-chef Ibrahim Coulibaly dit IB, un des instigateurs des coups d’État de 1999, 2001 et 2002, est toujours au Bénin à la mi-décembre. Il avait annoncé son retour en Côte d’Ivoire pour le début du mois. Il semble entretenir des contacts réguliers avec le président du RDR, A. Ouattara, qui était invité avec son épouse, le 15 décembre à Ouagadougou, au mariage de l’ancien chef rebelle Chérif Ousmane avec la petite-fille de l’ancien Président Lamizana.

L’apaisement à l’intérieur du pays facilite le retour progressif à des relations décrispées avec la France.

La normalisation des relations avec la France

Elle s’est engagée avec le passage en juillet 2007 à Abidjan du conseiller Afrique de Nicolas Sarkozy, Bruno Joubert, accompagné du directeur Afrique du Quai d’Orsay, Jean de Gliniasty. Porteurs d’un message du nouveau Président français, ils ont été sobrement reçus par son homologue ivoirien Laurent Gbagbo qui les a écoutés.

L’échange téléphonique entre les deux chefs d’État, le 2 août, à l’initiative de Nicolas Sarkozy, après la cérémonie de la flamme de la paix organisée le 30 juillet à Bouaké, ancienne capitale rebelle, a été un nouveau signe du dégel. Tout comme le bref échange de courtoisie le 25 septembre, à New York, en marge de l’Assemblée générale des Nations Unies.

Après que le président ivoirien eut reçu, le 15 octobre, sur la question du service civique, le commandant de la Force Licorne, le général Clément-Bollée, en présence de l’ambassadeur de France André Janier, la visite du ministre français de la Défense Hervé Morin a été la première d’un membre du gouvernement français depuis les tragiques événements de Bouaké et d’Abidjan en novembre 2004. Le ministre français, reçu le 5 décembre par le président Gbagbo puis le 6 par le Premier ministre Soro, a pu constater l’identité de vue au sommet de l’État ivoirien. Le message a été clair des deux côtés : souhait d’un simple accompagnement de la France dans le processus de paix pour la tenue d’élections générales en 2008, côté ivoirien, attente d’élections transparentes avec maintien de la Force Licorne ramenée à 2400 hommes à ce jour, côté français.

Initiés en présence du président burkinabé Blaise Compaoré, les échanges entre les chefs d’État français et ivoirien du 8 décembre à Lisbonne, en marge du sommet Union européenne/Union africaine, ont marqué une meilleure compréhension mutuelle. Si Nicolas Sarkozy est resté prudent pendant la conférence de presse qui a suivi, ses propos, notamment en présence des ministre et secrétaire d’État B. Kouchner et J.-M. Bockel, de son conseiller Afrique B. Joubert et de son conseiller diplomatique Jean-David Levitte, ont été plus précis (« je sais que l’ivoirité, ce n’est pas vous »), ouvrant la voie à une vraie normalisation. La visite du ministre des Affaires étrangères à Abidjan est désormais à l’ordre du jour. A l’évidence, et contrairement à ce qui est écrit, ici ou là, la partie ivoirienne n’essaie pas d’accélérer le rythme de ce rapprochement franco-ivoirien. Le président ivoirien entend bien, en labourant le terrain, voir confirmée sa légitimité lors du prochain scrutin présidentiel et de prochaines tournées à l’intérieur du pays sont d’ores et déjà envisagées.

La normalisation se traduit également sur place à Abidjan avec l’engagement à hauteur de 3,2 milliards FCFA (5 millions d’euros) du gouvernement ivoirien dans la réhabilitation, engagée le 10 octobre dernier, du lycée français Blaise Pascal hors d’usage depuis les événements de novembre 2004. C’est une première réponse aux préoccupations exprimées en novembre 2007 par Michel Tizon, président de la chambre de Commerce et d’industrie française en Côte d’Ivoire, à l’occasion d’une journée « portes ouvertes » de cette institution. La réouverture des écoles françaises à Abidjan est un gage important pour le retour des entrepreneurs et de nouveaux investisseurs français, ainsi que celui de la Banque africaine de développement provisoirement installée à Tunis.

Deux ans après avoir renégocié avec l’État ivoirien la concession de la CIE dans le domaine de l’électricité, le groupe Bouygues renégocie le contrat de distribution d’eau de la SODECI, arrivé à expiration le 30 septembre 2007.

Par ailleurs, en organisant ses 39èmes assises à Abidjan et à Yamoussoukro, du 3 au 7 décembre 2007, l’Union internationale de la presse francophone, présidée par Hervé Bourges, a réaffirmé le rôle et la place de la Côte d’Ivoire dans la francophonie en présence, à l’ouverture des assises, du chef de l’État ivoirien. Quand on se souvient en quels termes avait été traité le président ivoirien par l’ancien président français Jacques Chirac lors du dernier Sommet de la francophonie à Bucarest, quand on se rappelle les violentes attaques lancées contre la presse ivoirienne, on mesure le chemin parcouru grâce à l’accord de Ouagadougou. Au début des travaux, Laurent Gbagbo, constatant le faible niveau de la presse ivoirienne, n’a pas hésité à interpeller les journalistes étrangers en ces termes « Aidez-nous à dire à nos journalistes que seul le sérieux paie ».

La Côte d’Ivoire dans le concert des nations
En reconduisant pour un an, le 29 octobre dernier, les sanctions prises en 2004 et 2005 à l’encontre de la Côte d’Ivoire (embargo sur les armes et les exportations de diamants) et celles visant trois ressortissants ivoiriens, le Conseil de sécurité de l’ONU, en adoptant sa résolution 1782, n’a pas entendu l’appel du Président ivoirien qui demandait leur levée dans son intervention à l’Assemblée générale de l’ONU. Un réexamen de la décision est prévu avant le 30 avril 2008, en fonction de l’évolution de l’application de l’accord de Ouagadougou signé le 4 mars 2007. Il faut noter que le représentant du facilitateur, le Président burkinabé Compaoré, n’avait pas évoqué cette question dans son rapport.
Cette position a déçu les attentes des officiels ivoiriens qui imputent les retards dans l’application de l’accord de Ouagadougou au manque de moyens financiers que les bailleurs de fonds n’ont toujours pas décaissé depuis la table ronde prometteuse de 18 juillet 2007. La Côte d’Ivoire a souligné, à cette occasion, les atermoiements de l’ONU à nommer un nouveau représentant du Secrétaire général Ban Ki-moon. Celui-ci a choisi, le 18 octobre, un de ses compatriotes, M. Choi Young-jin, arrivé à Abidjan le 19 novembre pour succéder au Suédois Pierre Schori rappelé le 15 février.

Les États-Unis ont dépêché à Abidjan, le 10 novembre, le numéro deux du département d’État, l’ambassadeur John Negroponte, qui a rencontré les plus hautes autorités du pays, marquant l’intérêt nouveau de Washington dans le suivi du processus de sortie de crise. Cette visite fait suite à la nomination récente d’un nouvel ambassadeur, Madame Wanda Nesbitt, qui a présenté ses lettres de créances au Président ivoirien le 6 novembre avant de rencontrer le Premier ministre le 7.

L’ambassadeur du Canada, Madame Isabelle Massip, s’est officiellement réjoui, le 30 octobre, de l’amélioration de la situation ivoirienne à l’occasion de la Foire canadienne de l’Éducation qui devait se tenir à Abidjan les 5 et 6 novembre. Cette initiative traduit la volonté du Canada d’accueillir des « étudiants de qualité », selon l’expression de la diplomate, et reflète une évidente concurrence avec la France, en particulier, qui n’est toujours pas à la hauteur en matière d’accueil sur son territoire d’étudiants et d’intellectuels de Côte d’Ivoire et d’Afrique subsaharienne en général.

Pour sa part, le commissaire européen au Développement, le Belge Louis Michel, a répondu le 17 novembre à une invitation du président ivoirien et a également rencontré les opposants Alassane Ouattara et un représentant de Henri Konan Bédié. Il a constaté, apparemment avec surprise, l’identité de vue entre le chef de l’État et son Premier ministre, malgré les retards en matière de désarmement et d’identification, et cette donnée l’incite à soutenir un véritable engagement financier de l’Union européenne dans le processus déclenché par l’accord de Ouagadougou, sans immixtion ni ingérence. Le 7 décembre, la Côte d’Ivoire a signé un accord d’étape commercial avec l’Union européenne dans le cadre du partenariat économique UE/ACP prévu par la Convention de Cotonou. Critiquée par le Sénégal, cette signature ivoirienne qui accompagne celle d’autres pays à revenus intermédiaires comme l’Île Maurice, le Kenya ou le Botswana, était très importante pour le pays très fragilisé par la crise et gros exportateur de cacao, d’ananas et de conserves de thon notamment.

Le sommet Union européenne/Union africaine des 8 et 9 décembre à Lisbonne a confirmé les meilleures dispositions de l’Europe, en particulier de la France, à l’égard de la Côte d’Ivoire. Il a aussi permis de rapprocher le pays d’institutions internationales comme les Nations Unies et la Banque mondiale qui va normaliser ses rapports avec Abidjan après le paiement en janvier 2008 d’arriérés d’un  montant de 108 milliards FCFA.

Les bases d’une relance économique
La guerre, puis le maintien de la partition du pays avec d’importants déplacements de populations réfugiées ont accru la pauvreté dans le pays. Selon le PNUD, c’est un taux de pauvreté de 43 % qui frappe la Côte d’Ivoire. La fin de la guerre et les mesures engagées aux plans économique et financier devraient inverser la tendance.

Les relations avec le Fonds monétaire international (FMI) évoluent de façon positive. La décision prise, le 3 août dernier, d’appuyer une « Assistance d’urgence post conflit » (AUPC) a été suivie d’une mission du FMI en Côte d’Ivoire du 12 au 26 novembre incluant des discussions avec des membres des missions de la Banque mondiale et la Banque africaine de développement (BAD). La Côte d’Ivoire est à jour dans ses opérations courantes depuis juillet 2007 avec ces deux institutions financières, les arriérés devant être versés en janvier 2008 à la Banque mondiale et en avril à la BAD. La mission du FMI, accompagnée de délégations de la Banque mondiale et de la BAD, a visité les zones Centre, Nord et Ouest, particulièrement affectées par la crise politico-militaire, recommandant que les taxes et recettes collectées par les Forces nouvelles (ancienne rébellion) soient reversées à l’État ivoirien. Malgré la persistance de difficultés, notamment dans les villes frontalières, liées à la coexistence de deux états-majors militaires, le chef de la délégation du FMI a pris acte d’avancées notables dans la réunification du pays.

Toutefois, le FMI a de nouveau mis l’accent sur la situation préoccupante de la gouvernance en Côte d’Ivoire et dans les pays de la CEDEAO. En bonne voie, le projet d’interconnexion des douanes ouest-africaines sur la base du système informatique ivoirien mis en place par le directeur des douanes Gnamien Konan, qui a permis à la Côte d’Ivoire de faire passer en quelques années ses recettes douanières de 300 à 720 milliards FCFA, est une première réponse à ces mises en garde du FMI.

Les recommandations formulées par la Banque mondiale, en matière de gouvernance économique, à l’issue de sa mission du 17 au 28 septembre, n’ont pas été sans effet. Devant la colère des producteurs, dès le 11 octobre, le président Gbagbo a demandé à la justice d’ouvrir une enquête sur d’importants détournements de fonds présumés dans la filière café-cacao (300 à 400 milliards FCFA de 2001 à 2007 selon un rapport de la Banque mondiale), notamment  imputables aux structures de gestion de la filière mises en place dans le cadre de sa libéralisation voulue par les institutions de Bretton-Woods et à l’évasion d’une partie de la production vers le Burkina Faso et le Ghana.

La production (plus de 600 000 planteurs) et les exportations de cacao ont connu une baisse sensible en 2007, de l’ordre de 20 %, n’atteignant pas tout à fait le million de tonnes. La filière coton (250 000 producteurs) dont l’exploitation se fait dans l’ancienne zone rebelle du Nord du pays connaît une grave crise. La production a chuté de 400 000 (2002/2003) à 150 000 tonnes en 2007. L’Union européenne participe depuis 2006 à une relance durable de la filière. Les prix aux producteurs annoncés pour 2007/2008 sont en légère hausse (450 FCFA/kg pour le cacao et 150 FCFA pour le coton).

Conséquence positive de la tragédie engendrée par le déversement de déchets toxiques du Probo Koala dans la décharge d’Akouédo à Abidjan, des réformes de fond sont engagées dans le secteur de la collecte et de la gestion des ordures ménagères. Une ordonnance présidentielle en date du 4 octobre a dessaisi les districts d’Abidjan et de Yamoussoukro ainsi que les communes de leurs compétences dans ce domaine. Le 2 novembre a été mise en place l’Agence nationale de la salubrité urbaine et cette nouvelle tutelle, qui veut mettre un terme aux abus passés, a engagé un bras de fer avec les collecteurs actuels.

Le développement de l’exploitation des ressources pétrolières est mis en avant aujourd’hui pour transformer une économie ivoirienne encore fondée sur le cacao et le café. La production est annoncée officiellement à 50 000 barils/jour, certains puits n’étant plus en production en raison de l’ensablement. La concession, le 11 décembre, d’un bloc  pétrolier de 1000 km 2 off shore (31,5 % Côte d’Ivoire, 31,5 % Edison – Italie –, 27 % Tullow – Irlande –, 10 % Kufpec – Koweit) doit participer à un accroissement sensible de la production d’ici à 2010. Premier producteur, encore modeste, de pétrole de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA), la Côte d’Ivoire exporte des produits pétroliers pour des recettes de 1515 milliards FCFA (2,3 milliards d’euros) en 2006 (+ 43 % par rapport à 2005) grâce aux excellentes performances de la Société ivoirienne de raffinage (SIR). 

Le 14 novembre a été posée par le chef d’État la première pierre d’une deuxième raffinerie dans la zone portuaire de Vridi, visant à valoriser les bruts africains en provenance d’Angola, de Guinée équatoriale et du Nigeria qui alimente déjà, depuis novembre 2003, la SIR à hauteur de 30 000 barils/jour. Sa construction, estimée à 700 milliards FCFA, sera achevée dans un délai de 36 à 40 mois.  D’une capacité de 60 000 barils/jour, soit 3 millions de tonnes par an, cette raffinerie est réalisée pour le compte de la Petroci sur la base d’un partenariat avec les groupes américains Energy Allied International et WCW International. La Côte d’Ivoire entend s’intégrer dans le projet régional (Ghana, Togo, Bénin) en matière d’énergie et, à terme, de pétrochimie en lien avec le Nigeria.

D’un coût de 110 milliards FCFA, le projet d’un oléoduc de 385 kilomètres reliant Abidjan à Bouaké en passant par la capitale Yamoussoukro a été lancé le 22 novembre et devrait être achevé en janvier 2009. Il vise à faire de la Côte d’Ivoire une plateforme stratégique du secteur pétrolier dans la région, des extensions étant envisageables vers le Burkina Faso, le Mali et la Guinée.

Cette construction s’inscrit dans le cadre d’un ambitieux projet d’extension du Port autonome d’Abidjan dans l’île de Boulay bientôt reliée à Yopougon et au reste de l’espace portuaire par un nouveau pont dont le projet a été confié à l’architecte Pierre Fakhoury. Le directeur du Port, Marcel Gossio, a dirigé plusieurs opérations de promotion commerciale : au Burkina Faso en juillet et septembre, au Mali, en novembre. Le trafic avec ces deux pays a pratiquement retrouvé en 2007 le niveau de la fin des années 90. Du 10 au 16 décembre, la France et l’Europe, avec Paris et Bruxelles, étaient les cibles de ces opérations de promotion. Grâce aux produits pétroliers, Abidjan reste le deuxième port du continent après Durban, avec un trafic de 18 856 millions de tonnes en 2006, après le creux sensible de l’année 2003 lié à la guerre (15 520 millions de tonnes). Le port représente 90 % des échanges extérieurs du pays et 85 % des recettes douanières ; il concourt à hauteur de 60 % au budget de l’État.

Avec la fin de la guerre et la réunification du pays, l’État ivoirien commence à jeter de façon volontariste les bases d’une relance économique dont la dimension régionale ne peut que profiter aux pays enclavés du Sahel et aux pays côtiers voisins.


Mode de citation : Guy LABERTIT, « Côte d’Ivoire : le bout du tunnel », MULTIPOL – Réseau d’analyse et d’information de l’actualité internationale, décembre 2007.

Les opinions exprimées dans cet article n'engagent que son auteur.
 

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