« Le Gabon sans la France, c’est une voiture sans chauffeur, la France sans le Gabon, c'est une voiture sans carburant ». Cette boutade lancée il y a quelques années par le Président Omar Bongo, en conclusion de l’un de ces différends politiques qui assombrissent parfois les relations bilatérales entre les deux pays, est révélatrice de la relation particulière des deux pays. La boutade du Président Bongo rejoint une phrase non moins explicite du Président Valéry Giscard d’Estaing, à l’occasion de son duel télévisé avec François Mitterrand, au terme de la campagne électorale en vue de l'élection présidentielle de 1981, remportée par l'illustre socialiste aujourd'hui disparu : « Vous pourrez tout changer sauf la politique africaine de la France ».
Donnons de la profondeur aux récents évènements pour comprendre le désarroi français au Gabon, dernier bastion de la « Françafrique ». Un rapport récent sur l'action extérieure de l'État français et de l'aide au développement dans le cadre de la Révision Générale des Politiques Publiques (RGPP) vient de dresser un bilan sans complaisance de toutes « les insuffisances » de la présence française en Afrique : budget de l'aide gonflé par les annulations de dettes (en dix ans, l'aide bilatérale française a diminué de moitié et est équivalente à celle du Danemark), saupoudrage des moyens (90 pays se partagent moins de 10% de l'enveloppe bilatérale), influence politique limitée à Bruxelles alors que Paris finance près de 25% du FED (Fonds Européen de Développement), engagements financiers énormes dans la gestion des crises (850 millions € pour l'opération Licorne) et quasiment rien pour la phase de reconstruction…
Pendant ce temps, la Chine devient la grande puissance du continent, s'intéresse à tous les gisements pétroliers et uranifères de l'hinterland boudés par les majors occidentales et réanime - en rivalité avec les Indiens (Mittal et Tata Steel) - tous les gisements de fer (projet Bélinga au Gabon).

PROJET BELINGA
Le Président gabonais Omar Bongo Ondimba a signé, le 6 décembre 2007, une convention autorisant un consortium chinois à exploiter le gisement de fer de Bélinga, un projet qui témoigne de la consolidation de la coopération entre la Chine et le Gabon, datant des années 1970. Si le projet de Bélinga est une autre preuve de la coopération entre le Gabon et la Chine, le ministre gabonais de l'Economie et des Finances, Paul Toungui, a exprimé en mai 2007 sa confiance dans la coopération sino-africaine qui, selon lui, « fructueuse », va se développer dans d'autres secteurs, dont celui du pétrole.
« La coopération sino-gabonaise remonte à de très nombreuses années. Elle se manifeste dans les domaines de la santé, des infrastructures et de la construction des routes », a rappelé M. Toungui, dans un entretien accordé à l'agence de presse PANA, en marge des assemblées annuelles de la Banque africaine de développement à Shanghai (Chine, 17 mars 2007).
Découvert en 1895, le gisement de fer de Bélinga est l'un des plus grands gisements de fer au monde non encore exploité. Selon des études datant des années 1960, le gisement refermerait des réserves de plus d'un milliard de tonnes.

USAFRICACOM
Par ailleurs, les États-Unis « réinvestissent » en Afrique pour sécuriser leurs approvisionnements énergétiques (25% en 2025) et contrer la menace terroriste dans la bande sahélienne (USAFRICACOM ou AFRICOM). L’USAFRICACOM est un projet né de l’ancienne structure installée à Stuttgart en Allemagne et qui portait le nom d’EUCOM. Africa Command en est issu et sera en charge de plusieurs aspects des missions d’EUCOM. Selon le Pentagone et le département de la sécurité américain, « c’est la première réorganisation de la structure de commandement de l’armée américaine sur le plan mondial depuis 1946 ». Mais, pour le moment, il s’agit de la création d’une base de renseignement pour quadriller toute la région du Maghreb et du Sahel et une grande partie de l’Afrique de l’Est et de l’Ouest. Annoncée par l’administration Bush le 6 février 2007, elle doit commencer à fonctionner le 30 septembre 2008.
Pour comprendre un tel projet, il faut remonter aux plans américains depuis quatre ans. D’abord, les multiples variations du programme Pan Sahel et la collaboration militaire entre plusieurs pays du Sahel, dont le Maroc, l’Algérie, la Tunisie et la Libye, qui s’ajoutent à des pays comme le Niger, le Tchad, la Mauritanie et le Sénégal. L’EUCOM, entre 2003 et 2006, a réalisé une progression de 70% pour les opérations dirigées en Afrique, ce qui explique à plus d’un égard l’importance du continent dans les plans géostratégiques et géopolitiques des États-Unis d’Amérique.
Il est aussi important de signaler qu parallèlement aux manœuvres au Sahel, il y a eu une partie de ces activités qui a eu lieu sur les sols de certains pays en Afrique occidentale, notamment dans le golfe de Guinée, entre la Côte d’Ivoire et l’Angola. Inutile de préciser que c’est là l’une des régions les plus riches en pétrole en Afrique. Selon le département de l’énergie américain, le gouvernement de Washington a pour objectif que 25% de ses importations proviennent de cette zone d’ici 2015, contre un pourcentage de 19% aujourd’hui.
Pour étayer cette thèse, il faut aussi prendre en compte les montants des investissements dans la région. Entre 1995 et 2005, les grandes compagnies pétrolières américaines ont investi plus de 40 milliards de dollars. Et, entre 2005 et 2010, 30 autres milliards sont prévus. Mais il n’y a pas que le pétrole qui est au centre des intérêts américains dans la région. Il y a également les volets sécuritaires et militaires qui sont aujourd’hui mis en avant.
Les exportations gabonaises concernent le pétrole, le manganèse et le sucre. La balance commerciale dans les deux pays est déficitaire pour les États-Unis (1,5 milliards € en 1999). En effet, les statistiques douanières gabonaises indiquent que les exportations vers les Etats-Unis pour l'année 1996 ont atteint la somme de 1573 milliards €, tandis que les importations en provenance des Etats-Unis n'atteignaient que 72 424 millions €. Cependant, depuis 2000, cette balance est en hausse et dépasse de loin celle des autres continents (donc la France).
Pour l'année 2001, en terme d'exportation, l'Amérique a importé des produits gabonais (minerais de manganèse et huile de pétrole) pour une valeur de 1850 milliards € soit une augmentation de 66% par rapport à l'année 1999.
En ce qui concerne les importations, les États-Unis se distinguent une fois de plus au niveau du continent avec 89% des exportations vers le Gabon, soit des ventes de l'ordre de 115,8 millions € sur un total 131,1 millions €, soit 13%, derrière l'Europe (67%) et devant l'Asie (12%) et l'Afrique (8%).
La présence américaine au Gabon est par conséquent attractive dans les secteurs tels que les mines, le pétrole et les banques. Il y a 27 entreprises américaines installées au Gabon.
Au vu de la balance commerciale bilatérale, le Gabon peut davantage tirer profit de la Loi sur la croissance des opportunités d'investissement avec l'Afrique, votée par le Congrès américain en avril 2001. Ladite loi donnera assurément l'occasion à de nouveaux échanges avec l'Afrique en général, et le Gabon en particulier, notamment dans le domaine du commerce, des investissements privés et des infrastructures économiques et sociales.
À cela s’ajoute, dans une moindre mesure, les fonds souverains, arabes et chinois, qui placent les réserves de change de leurs banques centrales et déferlent sur l’Afrique.

LE CONTEXTE LOCAL
Au Gabon, dès le lendemain de l’élection présidentielle de novembre 2005, la guerre pour la succession s’est ouverte. Lors d’une intervention à la télévision nationale, le Chef de l’État gabonais avait promis de proposer, le moment venu, trois ou quatre successeurs possibles. Cette annonce avait provoqué des vocations au sein des 40 partis de la majorité présidentielle. La jeune garde composée par le ministre de l’Intérieur, André Mba Obame, celui de la Défense, Ali Bongo Ondimba et René Ndemzo’Obiang, ministre de la Communication et porte-parole du gouvernement, est vite montée en grade dans le gouvernement du Premier ministre Jean Eyeghe Ndong, mis en place le 20 janvier 2006.
Cette ascension dans le gouvernement a créé des grincements de dents chez la vieille garde, qui a décidé de se lancer également dans la bataille, créant un ralentissement notable des activités du gouvernement depuis quelques mois.
Trois courants politiques s’affrontent au sein du Parti démocratique gabonais (PDG) au pouvoir : les partisans d’Ali Bongo Ondimba, au premier rang desquels André Mba Obame ; les appelistes constitués par les partisans du ministre de l’Économie et des Finances ; Paul Toungui, qui est également l’époux de Pascaline Bongo Ondimba, et donc le gendre du Chef de l’État gabonais. Autre front : les caciques qui ont décidé de barrer la route de la présidence aux jeunes. On peut supposer que la « crise » actuelle serait montée de toutes pièces par des puissants « barons » locaux pour déstabiliser l’autorité du Chef de l’État... Mais avec le soutien de qui ? Mobiliser la presse écrite française et la télévision publique « parisienne » n’est pas à la portée de tous.
À partir de là, l’hypothèse consiste à évoquer la vieille et pertinente attitude des réseaux français en Afrique : le maintien des intérêts français. Si la France perd pied, elle se doit de réagir. Comment ? Que peut-elle faire ? De quels outils dispose Paris pour défendre ses intérêts sans pour autant, du moins dans l’immédiat, entrer en conflit ouvert avec les autres acteurs présents sur le continent ? Il est clair que s’opposer directement à la déferlante chinoise en Afrique n’est déjà plus réaliste. Alors que reste-t-il à Paris pour maintenir son influence ?
Quelle que soit la véracité ou non des faits sur la fortune présidentielle ou le manque de rigueur des deux étudiants gabonais expulsés, on ne peut s’empêcher de voir décliner, telle une peau de chagrin, l’influence de France au Gabon. L’interrogation naît de la coïncidence entre ce déclin et la « nouvelle » contestation du Chef de l’État gabonais. À suivre...