26 avril 2008

ANALYSE : Côte d’Ivoire : 1er tour de la présidentielle le 30 novembre 2008


Guy LABERTIT 

C’est le 14 avril qu’a été fixé au 30 novembre 2008 le 1er tour de l’élection présidentielle en Côte d’Ivoire. Les élections générales vont consacrer la fin de six ans de crise dans un pays où tous les partis, forces et groupements politiques, ont repris leurs activités dans l’ensemble du pays. En  témoignent la longue tournée du président du Front populaire ivoirien (FPI) dans le Nord du pays ou le récent meeting du président du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI) à Yopougon, commune populaire d’Abidjan dirigé par un maire du FPI.

La Côte d’Ivoire a connu, les 31 mars et 1er avril, deux jours de manifestations contre la vie chère, rapidement maîtrisées par l’annonce par le chef de l’État Laurent Gbagbo de mesures fortes pour juguler la hausse des prix. Dans le même temps, elle a totalement normalisé ses relations avec les institutions financières internationales (Banque mondiale et FMI). Si les petites et moyennes entreprises souffrent du poids de la dette intérieure en voie de règlement, la relance économique se poursuit sur la base de grands projets en matière d’énergie et de transports, à vocation régionale.

Avec la suppression de la carte de séjour pour les étrangers à la fin 2007, la discussion d’une loi contre la xénophobie et le tribalisme – mesures peu médiatisées, notamment en Europe – l’ambiance est à l’apaisement, tant à l’intérieur de la Côte d’Ivoire qu’avec les pays voisins. 

La Côte d’Ivoire est de retour dans l’arène diplomatique, à l’image de la présence à New York, les 16 et 17 avril, du Président ivoirien dans des débats du Conseil de sécurité largement consacrés à l’avenir du continent africain.

Avancées et retards dans l’application de l’accord de Ouagadougou 

La cinquième réunion du Comité d’évaluation et d’accompagnement (CEA) de l’accord de Ouagadougou s’est tenue le 14 janvier 2008 dans la capitale du Burkina Faso, suivie le 24 par la deuxième du Cadre permanent de concertation (CPC), réunissant le chefs d’État de Côte d’Ivoire et du Burkina Faso, Laurent Gbagbo et Blaise Compaoré, le premier ministre ivoirien Guillaume Soro et les présidents  des deux principaux partis d’opposition, Henri Konan Bédié pour le PDCI et Alassane Ouattara pour le RDR. Le CEA s’est de nouveau réuni le 21 mars, recommandant que soit accéléré le processus conduisant aux élections. A cet effet, le premier ministre Guillaume Soro a rencontré, les 2 et 3 avril, à Abidjan, les partis, groupements et forces politiques, en présence du représentant du facilitateur, dans un climat plutôt consensuel. Où en est l’accord de Ouagadougou, un peu plus d’un an après sa conclusion ?

La signature, le 28 novembre 2007, par le chef de l’État ivoirien et son premier ministre, dirigeant des Forces nouvelles (ex-rebelles) d’un accord complémentaire à celui de Ouagadougou paraphé le 4 mars précédent, a permis, au cours du premier trimestre 2008, des avancées sensibles avec la tenue d’audiences foraines incontestées. Ces audiences s’achèvent et 372 810 jugements supplétifs ont été établis au 5 mars. Ce résultat montre à l’évidence que le nombre de « sans papiers » a été très largement surestimé, pour des raisons politiques, par ceux qui avançaient des évaluations, largement reprises par la presse internationale, se situant entre deux et trois millions.

Le processus de désarmement et de réinsertion des ex-combattants a pris un retard certain. Engagé le 22 décembre dernier, il s’est limité au démantèlement des lignes de front et au regroupement des forces loyalistes (12 000 hommes) achevé le 24 janvier 2008. Une cérémonie solennelle, organisée au camp Galliéni d’Abidjan le 13 avril 2008, a officialisé la fin de la guerre avec le retrait et le casernement de toutes les Forces de défense et de sécurité (FDS) qui se trouvaient sur la ligne de front. Les raisons financières ne suffisent pas à expliquer la persistance d’un quasi statu quo du côté des Forces nouvelles. Le regroupement a débuté à la mi-mars dans des sites fixés à Ferkéssédougou, Kani, Odienné, Bouaké, Korhogo et Man. Dans ce domaine également, l’évaluation annoncée à 37 000 hommes des Forces nouvelles est sans rapport avec la capacité totale des sites de regroupement envisagés qui n’est que de 4 500 hommes. Le premier ministre Guillaume Soro a réaffirmé sa volonté que soit réalisé au plus vite le désarmement des FN et que soient vaincues les ultimes résistances en leur sein. Cela conditionne le désarmement définitif de certaines milices d’auto-défense de l’Ouest, favorables aux mouvances présidentielles et constituées en réaction à la rébellion. Un groupe de travail sur la restructuration de l’armée, regroupant ex-forces belligérantes, forces impartiales et société civile, a été installé le 19 mars 2008, conformément à l’accord de Ouagadougou. 

Enfin, le redéploiement de l’administration est en voie d’achèvement. Il connaît encore des difficultés au-delà de Bouaké dans le domaine financier, fiscal et douanier en particulier. Des missions de normalisation sont en cours, à la mi-avril, dans la région des Savanes, au Nord du pays L’unicité des caisses de l’État n’est pas encore effective au regard des conclusions présentées le 11 mars 2008 par le comité technique pour son rétablissement, mis en place le 27 décembre dernier. Malgré l’accord de Ouagadougou, certains hauts responsables des Forces nouvelles organisaient encore en février 2008 la fuite du cacao vers le Burkina Faso et des taxes étaient toujours perçues par les FN sur le cacao et les diamants selon un rapport de l’ONG Global Witness. La persistance partielle de cette économie de guerre est d’autant plus dommageable que l’État ivoirien doit mobiliser toutes ses ressources pour faire face aux exigences des institutions financières internationales et assumer sa part dans le financement de la sortie de crise. À titre d’exemple, la société ivoirienne de développement des plantations forestières (SODEFOR) a estimé ses pertes à 186 milliards de FCFA (283 millions d’euros) pour l’exploitation illégale de la forêt dans l’ancienne zone rebelle pendant les cinq de crise.

Les retards pris pour l’établissement des listes électorales et le désarmement ont conduit à reporter les élections au-delà du 30 juin qui était le terme fixé par l’accord complémentaire paraphé à la fin novembre 2007. En effet, l’entente annoncée le 19 mars 2008 avec l’opérateur français SAGEM Sécurité, filiale de Safran, n’a donné lieu à la signature d’une convention entre SAGEM et l’État ivoirien que le 14 avril 2008. Pour ce faire, plusieurs séances de travail réunissant les 12 et 13 avril les services juridiques du chef de l’État ivoirien, le président lui-même, son premier ministre, les représentants du secrétaire général des Nations Unies Choi Young Jin, du facilitateur Boureima Badini et du président de la Commission électorale indépendante (CEI) ont abouti à trois projets de textes fondamentaux. Ils concernent les deux décrets fixant les modalités d’établissement de la nouvelle liste électorale d’une part, et les modalités de collaboration entre l’Institut national de la statistique (INS) et la société SAGEM Sécurité, sous la responsabilité et l’autorité de la CEI ; le troisième texte est le projet d’ordonnance portant ajustement du code électoral pour les élections générales de sortie de crise. Un Conseil de gouvernement, le 13 avril, suivi, le 14 avril, d’un  Conseil des ministres exceptionnel a permis l’adoption de ces textes, signés par le chef de l’État, ainsi que la proposition de la tenue du 1er tour de l’élection présidentielle le 30 novembre 2008. 

Le climat social et politique à l’intérieur du pays 

Des mesures fortes ont été prises ou sont en train de l’être en Côte d’Ivoire. La suppression de la carte de séjour pour les étrangers, décidée le 28 octobre 2007, une loi contre le tribalisme, la xénophobie et toute référence officielle de nature ethnique, reflètent la volonté des autorités de rétablir un climat de paix dans le pays et la sous-région. Ces mesures ne font toujours pas l’objet de beaucoup de commentaires dans les medias internationaux qui avaient pourtant exprimé leur vive préoccupation devant les conséquences politiques négatives de la manipulation du concept d’ivoirité.

Comme dans d’autres pays d’Afrique de l’Ouest, tels le Burkina Faso ou le Sénégal, des manifestations contre la cherté de la vie, qui ont pris une tournure violente, se sont développées les 31 mars et 1er avril. Le chef de l’État a réagi par l’annonce, dès le 1er avril, de mesures spectaculaires : réduction de moitié de la TVA et suppression des droits de douane sur des denrées de première nécessité. Le gouvernement a exprimé sa compassion aux familles des deux victimes de ces manifestations intervenant alors même que la Côte d’Ivoire rétablit ses relations avec les bailleurs de fonds internationaux et peut espérer une embellie économique et sociale.

Les retards pris dans le désarmement des anciennes forces rebelles et la persistance de certaines formes d’économie de guerre rendent encore parfois difficiles les relations entre les préfets et sous-préfets redéployés au Nord, au Centre et à l’Ouest et certains responsables militaires des Forces nouvelles qui continuent de se comporter en prédateurs. La volonté d’apaisement conduit à minimiser ou à taire certaines violences, notamment dans la région de Korhogo.

Dans la perspective des élections générales de 2008, les différents partis politiques se mettent en ordre de marche. Créé en 1994, le Rassemblement des républicains (RDR) a ouvert son deuxième congrès ordinaire le 1er février 2008 sous la présidence d’Alassane Ouattara. Désigné par une des huit résolutions du congrès candidat à la prochaine élection  présidentielle, ce dernier a souhaité un rapprochement avec les Forces nouvelles de Guillaume Soro. Cet appel n’a toujours pas été suivi de véritable effet. Pour l’heure, le RDR semble avoir un temps de retard par rapport au PDCI de Henri Konan Bédié, plus présent sur le terrain. Mais ils poursuivent leur collaboration dans le cadre du Rassemblement des houphouétistes (RHDP) qui n’a pas vraiment de réalité à la base.

Au sein de la mouvance présidentielle, le FPI, présidé par l’ancien premier ministre Pascal Affi Nguessan, reste la force la mieux structurée du Congrès national de la résistance pour la démocratie (CNRD), regroupement de partis, associations et organisations de la société civile qui soutiennent la candidature de Laurent Gbagbo à la prochaine présidentielle. Dans cette perspective, le FPI a engagé à la fin du mois de mars et jusqu’à la fin avril une vaste campagne dans tout le pays. Elle est  animée par Affi Nguessan au Nord, Simone Gbagbo, vice-présidente du FPI, au Centre et Mamadou Koulibaly, autre vice-président du FPI et président de l’Assemblée Nationale, au Sud. Le président Gbagbo lui-même poursuit ses visites d’État : Nord en novembre 2007, région d’Adzopé et d’Akoupé en janvier 2008, Ouest prévu en mai.

Le mouvement patriotique conduit par Charles Blé Goudé, fondateur, avant même le début de la crise, du Congrès de la jeunesse panafricaine (COJEP), affirme son soutien au président Gbagbo mais préserve son autonomie au sein de la société civile.

À l’image de la formule du président ivoirien « le serpent n’est pas mort » ; certains n’ont visiblement pas renoncé à recourir à des méthodes peu orthodoxes, même si leur entreprise ressort d’un amateurisme surprenant. Marginalisé par l’accord de Ouagadougou, l’ancien sergent-chef Ibrahim Coulibaly, dit IB, qui revendique la paternité des coups d’État de décembre 1999, janvier 2001 et septembre 2002, est de nouveau l’objet, depuis le 30 janvier 2008, d’un mandat d’arrêt international pour « complot contre l’autorité de l’État ». Ces nouvelles poursuites se rapportent à une affaire qui a valu l’interpellation du « journaliste » français Jean-Paul Ney par la DST ivoirienne, le 27 décembre 2007. Ce dernier a bénéficié de l’étrange mais temporaire complaisance d’organisations de défense des droits de l’Homme à Paris. Ces faits révèlent la persistance de l’activité de réseaux parallèles et, dans ce registre douteux, s’est ouvert à Paris en février le procès de IB, aujourd’hui en fuite, suite à son interpellation par la justice française en août 2004 sur une autre affaire de mercenariat.

La Côte d’Ivoire dans l’Ouest africain et l’évolution de ses relations diplomatiques 

Les sommets de l’Union économique et monétaire de l’Ouest africain (UEMOA) et de la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) se sont tenus les 17 et 18 janvier 2008 à Ouagadougou. Le président du Burkina Faso a été reconduit à la tête de ces deux institutions regroupant respectivement huit et quinze États de l’Ouest africain. Les chefs d’État de l’UEMOA ont élu l’Ivoirien Philippe Henri Dacoury-Tabley, qui représentait son pays à la Banque africaine de développement, nouveau gouverneur de la Banque centrale des États d’Afrique de l’Ouest (BCEAO). Après les deux ans d’intérim du Burkinabé Damo Justin Barro, c’est un succès diplomatique pour le président ivoirien, car nombre de ses pairs souhaitaient que ce poste, qui échoit depuis la création de la BCEAO à la Côte d’Ivoire en raison de son poids économique dans la région, tourne entre les différents États. Cette règle écrite, jusque-là non appliquée, devrait l’être dans six ans. P. H. Dacoury succède à Charles Konan Banny qui avait quitté le gouvernorat en décembre 2005 pour occuper, selon les volontés de l’ONU, les fonctions de premier ministre en Côte d’Ivoire.

Sur la question des accords de partenariat économique (APE) avec l’Union Européenne, la conférence des chefs d’État « a exhorté la commission de la CEDEAO à prendre des mesures pour régler les questions restantes et veiller à ce que les accords intérimaires déjà signés par des États membres soient en cohérence avec le cadre d’intégration régionale ». à  l’instar du Ghana, la Côte d’Ivoire a signé un accord intérimaire, en décembre 2007, pour éviter de lourdes pénalités. Dans le cadre de l’UEMOA,  le président sénégalais A. Wade, hostile aux APE, l’avait attaquée pour manque de solidarité. Cette position consensuelle, prise en janvier 2008, permet de sortir d’un malentendu politique.

Au plan bilatéral, le président ivoirien en se rendant au Gabon, le 29 janvier 2008 a définitivement aplani le différend de juin 2005 avec son homologue gabonais très proche d’Alassane Ouattara et de son épouse. Omar Bongo avait cessé depuis cette date toute intervention officielle dans la crise ivoirienne. Paix des braves avec le chef d’État gabonais O. Bongo d’une part, et affirmation d’une vraie solidarité avec l’Afrique du Sud, d’autre part, avec une visite officielle les 18 et 19 mars. C’est au Cap que se sont déroulées des discussions avec le président sud-africain Thabo Mbéki sur le processus de paix en Côte d’Ivoire. L’axe politico-diplomatique Pretoria/Abidjan, établi au lendemain des actes de guerre de novembre 2004 entre la France et la Côte d’Ivoire, n’a cessé de se consolider et a été déterminant dans le processus qui a conduit à l’accord de Ouagadougou. 

La normalisation politique se poursuit avec la France dont le ministre des Affaires étrangères Bernard Kouchner devrait se rendre à Abidjan. Au plan militaire, la Force Licorne qui a compté jusqu’à 5000 hommes en novembre 2004, a ramené ses effectifs de 3500 à 3000 après la signature de l’accord de Ouagadougou, et cette tendance se poursuit avec, à la fin mars 2008, une réduction de 2400 à 1800 éléments désarmés et rattachés à Abidjan et Bouaké. Dans le même temps, le remodèlement de la présence militaire de la France en Afrique affectera le 43ème BIMA , créé en 1978 et stationné à Port Bouet.

En matière économique, le groupe Bouygues a renégocié ses conventions avec l’État ivoirien dans les domaines de l’électricité en 2006 et de l’eau en 2007 et le groupe Bolloré envisage d’investir une cinquantaine de milliards FCFA pour les quatre ans à venir dans le port d’Abidjan et la voie ferrée reliant Abidjan au Burkina Faso. Deux mille des huit mille Français qui avaient quitté la Côte d’Ivoire, suite aux événements de novembre 2004, s’y sont réinstallés. Le président de l’Association des entreprises sinistrées a annoncé que six milliards de FCFA pourraient être débloqués par l’État ivoirien pour indemniser ces entreprises françaises. Récemment, le directeur général des Impôts, M. Feh Kessé, a démenti les affirmations du Conseil français des investisseurs en Afrique (CIAN) qui estime dans son dernier rapport que les entreprises françaises sont victimes d’un harcèlement fiscal en Côte d’Ivoire.

Financée par le ministère français des Affaires étrangères, Radio France Internationale (RFI) avait fermé son bureau d’Abidjan après l’assassinat, le 20 octobre 2003, de son correspondant Jean Hélène par un policier condamné à dix-sept ans de prison. Un nouveau correspondant, Norbert Navarro, a été nommé le 27 mars 2008 et sera à Abidjan au début du mois de mai, ce qui devrait normaliser les relations entre RFI et le Conseil national ivoirien de la communication audiovisuelle (CNCA) qui a suspendu, le 1er février 2008, les émissions en modulation de fréquence, faute de réouverture du bureau. 

Lors d’un entretien avec  le facilitateur Blaise Compaoré, le 7 mars 2008 à Paris, le président français Nicolas Sarkozy s’est contenté de rappeler qu’il « était essentiel que le processus électoral en Côte d’Ivoire soit crédible, et que cela passe notamment par un scrutin transparent et ouvert à tous les partis ». Le nouvel ambassadeur de Côte d’Ivoire à Paris, l’historien Pierre Kipré, a présenté ses lettres de créances le 24 avril.

Enfin l’ONU, dont le secrétaire général Ban Ki-Moon devrait se rendre prochainement à Abidjan, vient d’écarter la Côte d’Ivoire de la liste des pays incriminés pour le recrutement d’enfants soldats. Pour ce qui est du travail des enfants dans les plantations de cacao, pratique condamnable mais existant depuis la période coloniale, une délégation du Congrès américain, présente en Côte d’Ivoire du 7 au 9 janvier 2008, a fait état de progrès significatifs. La Côte d’Ivoire, premier producteur mondial de cacao, est partie prenante d’un accord signé en septembre 2001, à l’initiative de membres du Congrès américain et de représentants de l’industrie du chocolat et du cacao, pour éliminer le recours à une main d’œuvre enfantine dans ce secteur.

Les 16 et 17 avril, à l’initiative de l’Afrique du Sud qui préside le Conseil de sécurité de l’ONU, se tient une réunion spécifique sur les crises et conflits en Afrique. Outre les représentants des pays membres du Conseil, certains chefs d’État africains, dont le président ivoirien Laurent Gbagbo, participent à ces travaux.

La reprise des engagements des institutions financières internationales 

En application du protocole signé en juillet 2007 entre la Banque mondiale et le ministère ivoirien de l’Économie et des Finances, 113 milliards de francs CFA d’arriérés ont été versés à la fin du mois de février 2008. Cela ouvre la voie à la relance, dès avril 2008, des programmes, à hauteur de 104 millions de dollars, suspendus depuis 2004, et l’engagement de nouveaux projets arrêtés à 120 millions de dollars (90 pour les infrastructures urbaines, 20 pour la lutte contre le sida et 10 pour la gouvernance). Dans ce cadre global d’appui, la Banque mondiale a déjà accordé un don pré-apurement de 120 millions pour soutenir le programme de sortie de crise et a accordé au total 308 millions de dollars US à la Côte d’Ivoire pour apurer sa dette vis-à-vis de la Banque, selon Bernard Harbone, représentant résident qui vient de quitter Abidjan.

Pour sa part, le Fonds monétaire international (FMI), qui avait suspendu tout engagement depuis la tentative de coup d’État de septembre 2002, a décaissé, dès le 10 août 2007, un appui budgétaire exceptionnel de 30 milliards francs CFA (45 millions d’euros). Une mission d’évaluation s’est rendue en Côte d’Ivoire durant la deuxième quinzaine de février pour préparer la conclusion des  discussions concernant l’appui budgétaire 2008. La rencontre à Ouagadougou, le 25 février 2008, en marge du sommet UEMOA/FMI, entre le président Gbagbo et son nouveau directeur général Dominique Strauss Kahn, a permis d’annoncer la reprise d’une coopération normale entre le  FMI et la Côte d’Ivoire. Cela a été confirmé par le Conseil d’administration du Fonds réuni le 4 avril 2008 à Washington, d’autant que l’apurement des arriérés vis-à-vis de la Banque mondiale est effectif depuis le 29 février.

Le président de la Banque africaine de développement (BAD), Donald Kaberuka, s’est rendu à Abidjan du 27 au 29 février. Un don de 15 milliards de francs CFA a été accordé dans le cadre d’un  programme d’appui de sortie de crise et des échanges ont eu lieu sur le possible retour de la BAD, dès la rentrée 2008/2009, à son siège institutionnel d’Abidjan qu’elle a quitté provisoirement pour Tunis en février 2003 en raison de la crise. L’apurement des arriérés de la Côte d’Ivoire auprès de la BAD va intervenir dans les prochains mois.

Enfin, la tenue des élections en 2008 autorisera la Côte d’Ivoire à bénéficier de l’initiative pour les pays pauvres très endettés (PPTE) à laquelle elle est éligible. Cela accroîtrait sensiblement ses capacités d’investissement dans le cadre de son budget qui a été arrêté à un peu plus de 2 100 milliards de FCFA en 2008.

Poursuite de la relance économique 

Déployée en 2004, l’ONUCI, qui compte 8000 casques bleus et 1000 agents de personnel civil, et dont le mandat a été prolongé le 15 janvier dernier jusqu’au 30 juillet, a annoncé le 19 mars 2008 la baisse des « phases de sécurité » ramenées de 4 à 3 dans les zones Nord, Centre et Ouest, et de 3 à 2 sur le reste du territoire. C’est un signal propre à encourager les investisseurs étrangers à s’engager. Une délégation du comité Afrique du MEDEF conduite par son président, l’ancien ministre Michel Roussin, numéro deux du groupe Bolloré, a été reçu par le président ivoirien le 13 février.

La reprise de la coopération avec le FMI et la Banque mondiale va permettre de remettre à flots nombre de petites entreprises ivoiriennes étouffées par la dette intérieure. Mais les grandes initiatives prises en matière économique, à l’image de l’extension du port engagée le 5 mai prochain, de la construction d’une deuxième raffinerie de pétrole ou du démarrage d’infrastructures routières, marquent une volonté de jeter les bases d’une véritable démarche régionale entre la Côte d’Ivoire et les pays sahéliens enclavés comme le Mali, le Burkina Faso et le Niger. C’est la meilleure preuve que se tourne la page de la crise politique en Côte d’Ivoire.

Vincent Bolloré s’est rendu dans la capitale économique ivoirienne, le 3 avril, pour  la présentation, en présence du chef d’État ivoirien, du terminal à conteneurs du port d’Abidjan dont la gestion a été confiée à son groupe à la fin 2003. 32 milliards de francs CFA d’investissements en quatre ans, 39 mouvements par navire en 2007 contre 17 en 2004, un trafic de 21,37 millions de tonnes en 2007 (+ 13%) font d’Abidjan le deuxième port sur l’Atlantique, derrière Anvers et devant Le Havre. Rappelons que le port d’Abidjan représente 90% des échanges extérieurs du pays et 85% des recettes douanières.

Après le Burkina Faso et le Mali en 2007, les liens ont été renoués avec le Niger, le 27 février 2008, par le directeur du port Marcel Gossio. La perspective d’installation d’un port sec s’affirme avec la mise en route par Areva du site d’Imouraren qui va doubler dans les prochaines années la production d’uranium du Niger. Pendant la crise, le Niger a réorienté ses échanges vers le port de Cotonou à hauteur d’un million de tonnes environ.

Le prolongement de la voie ferrée Abidjan/Niger, aujourd’hui arrêtée à Kaya au Burkina Faso, a été évoqué lors des entretiens avec Vincent Bolloré et le chef d’État ivoirien pour qui les transports et l’énergie sont les axes d’une intégration ouest-africaine. Le lancement d’une étude pour un vaste projet routier sous-régional était à l’ordre du jour d’une troisième rencontre d’experts de la région réunis à Abidjan les 17 et 18 mars.

La Côte d’Ivoire, qui fournit déjà de l’électricité au Ghana, au Togo, au Bénin et au Burkina Faso, a lancé le 26 janvier 2008 à Ferkéssédougou le projet d’interconnexion électrique avec  le Mali.

Le redressement du port va de pair avec celui de la société ivoirienne de raffinage que le FMI voulait voir privatisée en 2000. Elle est largement bénéficiaire aujourd’hui avec un chiffre d’affaires très supérieur à 1000 milliards de francs CFA. Des investissements lourds sur les dix prochaines années (500 à 700 milliards FCFA) la rendront plus compétitive. Les chantiers d’une deuxième raffinerie et de l’oléoduc Abidjan/Bouaké ont été lancés les 14 et 22 novembre derniers dans une même perspective sous-régionale.

Quelques conclusions 

Si l’on peut comprendre l’expression de certaines impatiences à l’extérieur de la Côte d’Ivoire au regard du report de l’élection à la fin 2008, force est de constater que de 2003 à 2007, la vingtaine de résolutions du Conseil de sécurité des Nations Unies n’ont pas permis de sortir ce pays de sa partition de fait et de l’état de « ni guerre ni paix ».

Treize mois après sa signature, l’accord de Ouagadougou, à l’initiative des Ivoiriens eux-mêmes avec la facilitation du président de la CEDEAO, a permis de réunifier le pays où l’on peut désormais circuler librement du Sud au Nord. La volonté politique d’aller aux élections est réelle au sommet de l’État, tant de la part du président que du premier ministre, même s’il est perceptible que certaines forces de l’opposition civile et des éléments des Forces nouvelles ont plus à y perdre qu’à y gagner. Cela n’est pas sans conséquence sur l’action d’un  gouvernement hétérogène soumis à tous les calculs politiciens de la période.

Toutefois, la lassitude de la population ivoirienne et son désir de recouvrer la paix par la tenue d’élections transparentes rendent difficile l’affirmation d’une stratégie politique dilatoire. La maîtrise des mouvements sociaux, facilitée par la capacité d’écoute et de dialogue au sommet de l’État, est un signe supplémentaire d’une volonté très largement partagée de normalisation politique.

La reprise de la coopération avec l’ensemble des institutions financières et internationales, ainsi que la relance de l’économie ivoirienne sur des bases qui induisent une action commune avec  les pays enclavés du Sahel, reflètent une ambiance de sortie de crise. 


Mode de citation : Guy LABERTIT, « Côte d’Ivoire : 1er  tour de la présidentielle le 30 novembre 2008 », MULTIPOL - Réseau d'analyse et d'information sur l'actualité internationale, 26 avril 2008.

Les opinions exprimées dans cet articles n'engagent que son auteur.

 

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