28 avril 2008

NOTE : Le conflit de l’usine de pâte à papier au cône Sud : intégration et développement durable mis à l’épreuve

André Lipp PINTO BASTO LUPI & Gabriel REAL FERRER
L’usine de pâte à papier commence à fonctionner du côté uruguayen du fleuve Uruguay malgré les protestations et actions juridiques intentées par l’Argentine. Sera-t-elle un symptôme de la faiblesse du modèle d’intégration de la région ? Peut-on parler, dans ce cas, d’un transfert des industries sales ? Que peut-on en penser en termes de protection environnementale ?
Dans cette affaire, le MERCOSUR donne une nouvelle fois la démonstration de sa faiblesse institutionnelle. On peut lui reprocher de ne pas être capable de résoudre les conflits entre ses membres, même s’il est vrai que l’Argentine et le Brésil ont également en cours des différends commerciaux au sein de l’OMC, malgré l’existence des moyens similaires à ceux du MERCOSUR.
C’est désormais la question de l’environnement qui est sous les feux des projecteurs. Et c’est la Cour internationale de justice qui est saisie de l’affaire en premier lieu.
Depuis 2005, l’Argentine et l’Uruguay sont en conflit au sujet de la construction et de la mise en marche d’une usine à papier sur le fleuve Uruguay, à la frontière avec l’Argentine. Le gouvernement argentin invoque des préoccupations environnementales. De son côté, le gouvernement uruguayen avance les bénéfices sociaux et économiques de ce qui constitue l’un des plus grands investissements réalisé sur son territoire.
Un traité bilatéral concernant l’administration conjointe du fleuve fournit l’arrière-plan juridique du différend. La Commission bilatérale qui est chargée de trancher les différends de ce genre conformément au statut du fleuve Uruguay de 1975 n’est pas parvenue à un consensus.
Alimentés par de constantes provocations politiques avec des appels au peuple, les gouvernements n’ont pas été capables, pour l’heure de résoudre le conflit qui les oppose. Ils ont pourtant tenté de trouver une solution par des moyens juridiques : la Cour internationale de justice et le Tribunal du MERCOSUR ont été saisis de la question. Il y a eu aussi, dans l’interlude, la médiation de l’Espagne. Malgré tous ces efforts, le consensus n’arrive pas et l’usine de Botnia, compagnie finlandaise, a commencé à fonctionner en décembre dernier.
Cette brève description du conflit nous permet d’utiliser cette espèce pour illustrer quelques réflexions sur l’évolution de la « législation » dans les relations entre les pays de la région, surtout au MERCOSUR, de même que pour mettre en lumière quelques échecs des modèles traditionnels pour régler les problèmes environnementaux.
Il est probable que ce différent soit « survalorisé » à l’égard du droit de l’environnement. Le choix des moyens de règlement du différend situe l’affaire comme un conflit de frontières impliquant un État qui refuse de recevoir sur son territoire la contamination produite par l’État voisin.
Le fait que la contamination arrive du côté argentin du fleuve est une justification, mais n’est pas la justification du point de vue de l’environnement. Ce qui importe dans la perspective de l’environnement, ce n’est pas de savoir si la pollution arrive du côté argentin du fleuve, mais si la contamination touche le fleuve et s’il y a une contamination insupportable.
Il faut regarder la question dans son impact global et local. D’abord, on doit évaluer si cette usine est comparativement plus polluante par rapport à d’autres usines similaires. L’important pour l’environnement est de déterminer si, pour produire une certaine quantité de pâte à papier, l’usine est efficiente. C’est la question en termes planétaires. Bien sûr, on doit aussi considérer les variables de l’impact local, c’est-à-dire le lieu où l’usine est installée. Il ne serait ainsi pas admissible qu’elle soit construite au risque d’effondrer un sanctuaire. La décision de la CIJ ne paraît donc pas si importante pour évaluer le progrès du principe de la soutenabilité.
On peut considérer la question sous un autre prisme et s’interroger sur le point de savoir si l’échec des moyens existants pour contester la décision unilatérale d’un État qui partage un fleuve international d’installer une usine probablement polluante de son côté n’est pas un symbole de la facilitation du transfert des « industries sales » vers le sud. Nous pensons que si les restrictions sont plus grandes dans les pays les plus riches, comme par exemple dans l’Union Européenne, il semble naturel que l’on assiste au transfert des industries sales vers l’hémisphère sud, dans les pays en développement.
Cela amène à penser que la question devrait être considérée comme un thème politique de premier rang, surtout au Brésil. Malheureusement, le Brésil n’a pas participé aux tentatives de règlement du différend, malgré le fait que le fleuve Uruguay naît dans son territoire.
Tant le désintérêt apparent brésilien que le rôle inefficace des institutions du MERCOSUR mettent en lumière les faiblesses de ce processus intégrationniste. De plus, ces faits soulignent les relations entre le développement économique et social d’un côté, et la protection de l’environnement, de l’autre.
Seule la diminution des écarts économiques permettrait une croissante homogénéité des standards environnementaux. En effet, les institutions du MERCOSUR ont occupé une place secondaire dans le conflit. Le Tribunal arbitral ad hoc « TAAH », constitué selon le Protocole d’Olivos du 2002, n’a eu l’opportunité de se prononcer que sur le blocage des ponts depuis les derniers mois de l’année 2005 par des Argentins insatisfaits. La question centrale est restée dans le domaine de la requête argentine devant la CIJ. L’arrêt du TAAH a été timide. Il reconnaît la violation des obligations de libre circulation entre les membres du MERCOSUR et l’omission du gouvernement argentin aurait dû se mobiliser pour éviter les blocages successifs et continus des ponts entre les deux pays, mais il ne se prononce pas sur la demande de non répétition et ne fixe pas la réparation requise par l’Uruguay.
Les questions se multiplient à partir de ce constat sur l’inefficacité des institutions intégrationnistes. Le progrès sur des questions accessoires, comme l’harmonisation du droit de l’environnement, exige un certain niveau de « législation » et d’« institutionnalisation », c’est-à-dire un système plus objectif de gestion des intérêts communs. À son tour, cette évolution demande une cession de souveraineté, laquelle semble être lointaine dans une région où les régimes politiques demeurent instables ou récemment stabilisés, et où des conflits territoriaux persistent, le différend entre le Chili et le Pérou sur les frontières maritimes n’étant qu’un exemple parmi beaucoup d’autres.
Dans le cadre d’un procès d’intégration commerciale, c’est d’abord par l’économie qu’il faut avancer. Mais on s’interroge sur l’ordre suivi jusqu’à maintenant. Les priorités peuvent être placées plutôt sur les investissements communs à l’infrastructure que sur la pleine application d’un tarif extérieur commun. Parfois, elles devraient être situées plutôt sur la liberté de circulation des personnes que sur l’intégration de la zone de libre commerce. En effet, il faut penser aussi à la coopération au niveau des politiques macroéconomiques et à la division des industries prioritaires dans chaque pays.
Comme annoncé initialement, l’affaire de l’Usine de pâte à papier fait réfléchir. L’usine marche. Qu’en est-il du MERCOSUR ?

Ce texte est le résumé d’un débat entre les deux professeurs, retravaillé sous forme d’article.
 

RÉFÉRENCES
Cour internationale de justiceUsines de pâte à papier sur le fleuve Uruguay(Argentine c. Uruguay)
http://www.icj-cij.org/docket/index.php?p1=3&p2=3&code=au&case=135&k=88
MERCOSUR. Tribunal arbitral ad hoc. Laudo n. 2
http://www.mercosur.int/msweb/SM/es/Controversias/TPR/TPR_Tribunal%20AdHoc_Laudo%20Libre%20Circulacion_ES.pdf
Images
http://www.mst.org.ar/periodicos/as443Dic06/fotos/Contaminacion.jpg
http://www.elpais.com/recorte/20070429elpepuint_6/XLCO/Ies/20070429elpepuint_6.jpg
http://www.infobae.com/adjuntos/imagenes/63/0136385B.jpg

Commentaires

1. Le dimanche 6 juillet 2008, 10:30 par Maher Abdmouleh
A la question quel regard sur les droits de l'homme ? la réponse ne peut qu'être que décevante notamment aprés le 11 septembre 2001, où la guerre contre le terrorisme réel et virtuel provoque des dérogations et des étas d'expetions inacceptables. Le plus spectaculaire dans tout ça , c'est que cette idéologie (des droits de l'homme) qui constitue la fierté de l'occident ne trouve plus rectte bon marché dans les pays en quête de références !. Atrement dit, l'occident est entrain de détruire sa propre culture !

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