"Aujourd'hui, l'espace des libertés progresse. Ce sont des signaux encourageants que je veux saluer", a déclaré lundi 28 au soir Nicolas Sarkozy, à Tunis, en préambule à un dîner offert par son homologue tunisien Zine El Abidine Ben Ali.
"Ces signaux, ces réformes s'inscrivent sur un chemin étroit et difficile, mais essentiel, celui de la liberté et du respect des individus. Ce chemin, aucun pays ne peut prétendre l'avoir entièrement parcouru et personne ne peut se poser en censeur", a insisté le président français.
Mardi, des défenseurs tunisiens des droits de l'Homme se sont dit "déçus" par les déclarations du président français.
"Je suis déçue. Il ne s'agit pas de donner des leçons mais de reconnaître la réalité. Je vois que le président Sarkozy ne s'intéresse pas à la réalité de ce pays", a déclaré à l'AFP Khadija Cherif, militante des droits de l'Homme et présidente d'une ONG féministe.
"Sa priorité c'est le commerce, mais il devrait savoir que le développement ne peut être seulement économique", a-t-elle ajouté, jugeant les déclarations de M. Sarkozy comme "une marque de mépris pour la société civile tunisienne".
"Si des garanties ont été données à M. Sarkozy pour que les libertés progressent, tant mieux! C'est notre demande", s'est étonné de son côté Mokhtar Trifi, président de la Ligue de défense des droits de l'Homme (LTDH). Et d'ajouter que "malheureusement sur le terrain nous n'avons pas remarqué de progrès notables, c'est peut-être même le contraire qui se passe en réalité aujourd'hui".
En France, le Parti socialiste a accusé M. Sarkozy d'avoir "légitimé la politique de répression" en Tunisie et d'avoir "envoyé un signal aux conséquences gravissimes et dramatiques" pour tous les combattants des droits de l'Homme dans ce pays.
"Les déclarations de Nicolas Sarkozy laissent le sentiment d'une scandaleuse hypocrisie", a jugé dans un communiqué Razzy Hammadi, secrétaire national du PS. "Ses déclarations inacceptables l'ont amené à légitimer la politique de répression du régime tunisien", a-t-il ajouté.
Quant à l'organisation de défense de la presse Reporters sans frontières (RSF), elle a jugé "inadmissibles" les propos de M. Sarkozy. Pour elle, "la liberté d'expression reste une utopie en Tunisie. La presse n'y fait que glorifier le bilan du président Zine el-Abidine Ben Ali et les journalistes indépendants et leurs familles sont victimes d'un harcèlement continu".
"Les défenseurs des droits de l'homme et les syndicalistes n'échappent pas non plus à ce traitement", a souligné RSF pour qui la déclaration présidentielle "est un coup de poignard dans le dos des militants tunisiens qui attendaient beaucoup de la visite du président français".
La secrétaire d'Etat aux droits de l'Homme Rama Yade, qui accompagnait M. Sarkozy, a reçu mardi 29 avril à Tunis Mokhtar Trifi, au deuxième jour de la visite d'Etat.
"Toutes les questions ont été abordées. Je lui ai dit ce que je pense de la situation des droits de l'Homme en Tunisie, qui ne s'est pas améliorée, et que nous espérons que les engagements pris par les autorités tunisiennes devant les instances internationales à New York ou à Genève seront tenus", a déclaré Me Trifi à la presse à l'issue de l'entretien.
"Je lui ai également dit que l'on comptait sur la France pour que cette situation s'améliore et que ce ne soit pas que des effets d'annonce, comme c'est le cas actuellement", a-t-il poursuivi.
"Mme Yade m'a informé qu'elle avait évoqué les questions des droits de l'Homme avec tous ses interlocuteurs (officiels) dans un esprit positif et en détails", a également indiqué Mokhtar Trifi.
La secrétaire d'Etat a fait savoir par son cabinet à Paris qu'elle ne s'exprimerait pas publiquement pendant la visite de M. Sarkozy.
Mme Yade a par ailleurs annulé un rendez-vous prévu mardi avec l'Association tunisienne des femmes démocrates (ATFD), selon sa présidente Khadija Cherif.
"L'explication qui m'a été donnée, c'est que Mme Yade avait un programme chargé (...) et qu'elle avait pris du retard", a expliqué Mme Cherif à la presse. "A mon avis, l'explication est politique. On ne veut pas froisser le gouvernement tunisien. Notre association, malgré notre indépendance et notre ton modéré, n'est pas acceptée par les autorités", a-t-elle rappelé.
Me Trifi a de son côté indiqué que Rama Yade lui avait promis qu'elle recevrait la responsable de l'ATDF mercredi 30 avril avec d'autres associations.

Source : AFP