Par bien des aspects, l'Afrique subsaharienne semble étrangère à la mondialisation, ou ce qui est pire encore paraît souvent être sa victime. Les cultures, les religions, l'économie, les guerres, la politique, révèlent bien que la mondialisation est à l'œuvre sur le continent africain, mais ce sont les aspects les plus négatifs qui sautent aux yeux au premier abord : ingérences de toutes les puissances mondiales, dépendance économique voire alimentaire des populations, chosification de la personne humaine, exploitation massive des ressources naturelles.
La litanie des affres dont souffre cette partie du monde semble interminable. "L'Afrique va-t-elle mourir ?", s'interrogeait Ka Mana. Pourtant la vivacité, l'inventivité sont à l'œuvre sur tout le sous-continent subsaharien. L'objectif de cet ouvrage est d'interroger le paradoxe de cette partie du monde qui semble à la fois absente et présente de la mondialisation, passive ou créative, selon plusieurs perspectives : culturelle, économique, politique et religieuse.
La fragilité de l'Etat africain aussi bien que les ravages engendrés par l'instabilité politique et les guerres montrent combien il est urgent de se pencher sur l'Afrique subsaharienne, non pas tant comme on s'arrête au chevet d'un malade, que pour écouter les voix de ses enfants qui ont le droit d'être citoyens du monde. La globalisation n'exclut pas la diversité culturelle, et chaque être humain a droit à la sécurité de sa vie et à la liberté de pensée et d'action. Le chemin qui s'ouvre aujourd'hui devant l'Afrique subsaharienne est long et semé d'embûches, mais il est aussi chargé d'espoir.
- Mondialisation et dialogue interreligieux
- Cultures africaines
- Les religions en Afrique : Christianisme, religions traditionnelles, Islam, sectes
- Peut-on sortir des conflits africains ?
- L'économie africaine
- Gouvernance et sociétés
Vincent AUCANTE (dir.), L'Afrique subsaharienne et la mondialisation. Préface de S.E.R. le cardinal Crescenzio SEPE, Paris, L’Harmattan (266 pp.)
Contributeurs : Card. Francis ARINZE, Vincent AUCANTE, RP Miguel Angel AYUSO GUIXOT, Souleymane Bachir DIAGNE, Jean-Christophe BELLIARD, Bruno BEN, Jérôme BINDÉ, Mgr Giuseppe CAVALOTTO, Jean COUSSY, Don Enrico DAL COVOLO, Jean-Michel DEBRAT, Jean-Pierre DOZON, Mario GIRO, P. Juvénal LLUNGA-MUYA, Catherine MAIA, Roland MARCHAL, Card. Renato R. MARTINO, Sr Geneviève MEDÉVIELLE, Simon NJAMI, Roberto PAPINI, Card. Crescenzio SEPE, Don Matteo ZUPPI
Commentaires
Le point à l'occasion de la 7ème Vague des Livres de VILLEFRANCHE SUR SÂONE (FRANCE) ayant pour thème : du roman à l’écran
Conférencier : Cheick Oumar KANTÉ
Date : Dimanche 27 avril à 15h.
Chers amis des livres, de l’écriture et de la lecture,
Merci pour votre présence et
Bienvenue non pas chez les… Ch’tis (quoi que ! …) mais bienvenue parmi les hôtes des adhérents de La Vague : écrivains, lecteurs, amis et partenaires, de la Calade et d’ailleurs, édition 7ème.
D’une boutade, j’avais même souhaité tenir une conférence ayant plutôt pour thème : « L’Afrique, ce n’est pas du cinéma ! » Et voilà que le décès du poète Aimé Césaire et l’évocation des mille facettes de son œuvre me fait découvrir après coup que j’aurais, ainsi, paraphrasé un de ses propos : « La vie ce n’est pas du spectacle ! » Mais, vous pensez bien qu’avec le sujet « L’Afrique, ce n’est pas du cinéma ! » il aurait été question de tout à fait autre chose…
Il n’empêche que pour rimer avec le thème de notre 7ème Salon (du roman à l’écran), nous pouvons sans dommage re-intituler la rencontre : l’Afrique sur Grand Écran comme l’a été, en 1995, un certain Thema, sur la question, de la chaîne de télévision franco-allemande, Arte, document, entre autres, qui m’a été très utile, comme vous allez vous en rendre compte.
Mais, si vous me demandez le Grand Écran de quelle Afrique ? Par modestie, et compte tenu du temps imparti, je répondrai : L’Afrique au Sud du Sahara. Même si à un moment ou à un autre, je ne pourrai pas m’empêcher d’évoquer le cinéma d’Afrique du Nord, les deux étant si intimement liés.
D’entrée de jeu, il est inutile de se demander si le cinéma africain existe ni s’il sert à quelque chose. Il est jeune, certes : 50 ans d’âge par rapport au cinéma français, centenaire ! Les amateurs l’auront sûrement rencontré tous les ans depuis un certain temps, de janvier à mai, et, plus particulièrement, en avril, le mois le plus riche en rendez-vous autour du 7ème art, ici et là en France ou ailleurs dans le monde. À l’occasion d’événements aussi divers que la 12ème édition des Rencontres du Cinéma francophone en Beaujolais, la 10ème édition de la Caravane des Cinémas d’Afrique avec sa journée pédagogique autour du film africain à Sainte Foy-lès Lyon, la 5ème édition du Festival du Film Panafricain de Cannes, les Nouveaux Rendez-vous cinématographiques (Afri-Ciné) de Besançon, la 24ème édition de Pan-Africa International, rendez-vous canadien de Vues d’Afrique à Montréal, etc. Je n’arriverai jamais à les citer tous, bien sûr.
Mais, j’ai gardé le meilleur pour la fin : C’est AFRICAMANIA 2008 à la Cinémathèque Française à Paris… événement méritant de se voir décerner –comment dit-on, déjà, à Cannes ? – une Palme, même pas d’Or, mais une Palme spéciale ! Avec sa programmation conséquente, unique : Du 17 janvier au 17 mars, soit 2 bons mois de cinéma… africain à Paris, au 51 rue de Bercy !
Près de 80 films, venus de 25 pays, dans leur diversité géographique et culturelle, des productions couvrant 5 décennies ! AFRICAMANIA a été l’occasion d’une belle rétrospective de l’histoire du cinéma du continent, une redécouverte de ses grands auteurs et une affirmation de son originalité... Le tout dans le cadre de tables rondes, de leçons de cinéma, d’avant-premières, d’activités pédagogiques et de séances pour jeune public…
Le cinéma africain existe donc bel et bien, je le répète. Mais peut-on en parler comme d’une spécificité, globale et globalisante ? Est-ce qu’on parle aussi souvent de cinéma européen, américain ou asiatique ? Polémique ! N’y entrons pas ! Mais en continuant, même, de l’évoquer au singulier, comme c’est plus pratique, il vaudrait peut-être mieux dire – ou penser, tout au moins – les cinémas africains, comme le recommandait en 1985 Sembène Ousmane pour souligner non seulement les orientations et les visions différentes des réalisateurs mais le manque d’échanges entre les États (un film sénégalais est mieux connu de Français et d’Allemands que de Guinéens ou d’Ivoiriens).
En tout état de cause, le 7ème art africain est d’une grande vitalité et il sert à quelque chose. Quand Mahamat-Saleh Haroun, réalisateur tchadien, dit :
« Être à l’image, c’est être reconnu. »
Gaston Kaboré, le Burkinabé, renchérit :
Avec la musique, il faut reconnaître que le cinéma est plutôt un secteur flatteur pour l’Afrique. Mieux que le foot, mal en point sur le continent, alors que certains de ses ressortissants font la pluie et le beau temps dans des Clubs européens. Il est surtout, le 7ème art, aux antipodes de toute la gestion, politique et économique, catastrophique de la plupart des pays.
Ces choses dites, je vous donne le canevas de notre échange. Nous allons visionner une projection d’une vingtaine de minutes dont certains éléments sont extraits du Théma d’Arte dont j’ai parlé au début... Après quoi, nous essayerons de refaire le chemin du cinéma africain des débuts à nos jours avant d’envisager ses réussites, ses difficultés et ses perspectives à l’époque du tout-numérique. Voir ensemble, donc, comment d’anthropologique, d’entomologique même, il en est maintenant à devoir résister ou à succomber à Hollywood et/ou à Bollywood. Nous allons en profiter, aussi, pour braquer nos projecteurs sur des thématiques et zoomer sur des cinéastes et, pourquoi pas, sur des films chaque fois qu’il sera possible de le faire… Étant entendu que, même en disposant d’un peu plus de temps, nous ne saurions épuiser le sujet tant il pourrait susciter des développements de tous ordres.
Le chemin du cinéma africain a été long, comme viennent, donc, de nous le rappeler les images. Et les progrès accomplis sont énormes. Et si, par commodité, il est courant de faire remonter ses débuts aux films produits par des Africains au moment des indépendances, c’est-à-dire à la période des années 60, il n’est pas inutile de rappeler le choc originel constitué par le Grand Écran et que traduit une anecdote relatée par Amadou Hampaté Ba.
« L’attraction qu’on nous propose ne peut être qu’une séduction satanique, si elle n’en était pas une, on n’aurait pas choisi la nuit noire pour nous la présenter. »
Les propos auraient été ceux de marabouts non seulement incrédules mais hostiles. Jusqu’à des dates récentes, c’est vrai, les salles de cinéma ont été bel et bien considérées comme des lieux de perdition. Du reste, il n’est pas sûr qu’elles ne soient plus perçues comme tels partout en Afrique aussi bien au sud du Sahara qu’au nord.
Il est aussi utile de se rappeler le décret pris par Pierre Laval en 1934 qui imposait une autorisation administrative pour tourner des images. Afrique sur Seine en 1955, décrit dans le montage comme le premier film réalisé par des Noirs Africains a été tourné à Paris faute d’avoir obtenu l’autorisation de tournage en Afrique par le Sénégalais Paulin Soumanou Vieyra. L’Afrique la plus souvent filmée, à l’époque, était celle du splendide décor paysager et animalier digne d’un certain Eden dans lequel les Africains, des sauvages qu’il faudrait se hâter lentement de civiliser, jouaient des rôles de figurants.
Mais venons-en donc aux cinq décennies synthétisant la filmographie africaine comme nous le suggère AFRICAMANIA.
Le Cinéma au lendemain des indépendances a été militant. Sans moyens, les cinéastes de la première génération, Ovnis Parfaitement Identifiés, comme aime à les désigner Olivier Barlet de la revue Africultures et du site Internet du même nom, se sont donné pour missions de remplacer le projet colonial de civilisation des populations par celui de leur progrès. Ils ont entrepris, en somme, de lutter contre la négation de soi colportée par les images coloniales.
Voilà bien une autre occasion pour faire un raccord avec le thème du 7ème Salon de La Vague puisque le cinéma africain est de ceux qui doivent le plus à la littérature. Une jonction littérature-cinéma caractéristique dont Sembène Ousmane, le Sénégalais, est la figure de proue. La presque totalité de sa filmographie est constituée d’adaptations de ses œuvres littéraires. Afin de rendre ces dernières accessibles en langues africaines aux communautés locales. Façon de soigner aussi la douleur, selon lui, de la claustration dans la langue coloniale. Politique, polémique et populaire, a-t-il donc toujours voulu que son cinéma soit ou que son cinéma fût (pour la concordance des temps et plus si sensibilité… théologique). Une dizaine de longs métrages : La Noire de…, Le Mandat, Emitaï, Ceddo*, Mooladé* ce dernier est une attaque vigoureuse et efficace contre les mutilations génitales féminines… Mais, Sembène Ousmane est mort, hélas en 2007 ! Encore un incendie dans la culture africaine !…
Deux dates plus heureuses sont à retenir dans les années 60. 1966 : Création des Rencontres cinématographiques de Carthage. 1969 : 1ère semaine du Cinéma africain à Ouagadougou.
Les cinéastes se regroupent dans une fédération, la FEPACI (Fédération panafricaine des cinéastes qui, à partir de 1972, fixe à Ouagadougou le FESPACO (Festival Panafricain du Cinéma de Ouagadougou). La FEPACI réunie en 1975 à Alger refuse toute forme de cinéma commercial. Le cinéma, estiment ses membres, doit continuer d’être un outil de libération des pays colonisés et un pas vers l’unité complète de l’Afrique après avoir aidé les Africains à se retrouver eux-mêmes.
Ce sont alors les beaux panoramiques de Safi Faye, la Sénégalaise, dans Lettre paysanne en 1975. Mais aussi la dénonciation de la collusion entre l’économique et le politique dans Baara de Souleymane Cissé. Mais encore le manifeste surréaliste et prophétique dans Touki Bouki en 1973 de Djibril Diop Mambety dans sa quête d’un imaginaire et qui estime que pour penser son origine, il faut être non-conformiste et fait le constat, en même temps, de la déchirure d’une société dont la plupart des membres sont écartelés entre le pays et l’ailleurs. L’Afrique n’est plus seulement un décor mais un lieu d’activité humaine et le théâtre de luttes diverses contre toutes sortes d’asservissements endogènes et exogènes…
C’est l’entrée en activité d’un certain CIDC, premier Consortium Interafricain de Distribution Cinématographique, après rachat des circuits de distribution d’une filiale de l’UGC française qui avait le monopole du secteur. En 1982, à Niamey au Niger, les cinéastes rédigent un Manifeste appelant davantage à la construction d’une industrie cinématographique qu’à la lutte contre l’Impérialisme. Franc succès pour Djeli en 1981 de l’Ivoirien Fadika Kramo-Lanciné et surtout de Finyé, Le Vent en 1982 du Malien Souleymane Cissé. Fin de l’expérience du CIDC en 1984, tué par la bureaucratie et le contrôle étatique au moment du plus rude désenchantement après le rêve des indépendances, les « pères de la Nation » s’étant érigés en dictateurs. Les cinéastes choisissent le romanesque ancré dans le mythe pour se faire le miroir de la réalité. Yam Daabo, Le Choix en 1986 du Burkinabé Idrissa Ouédraogo. C’est aussitôt la reconnaissance internationale. Non plus seulement par un public d’initiés. L’engouement occidental est grand. Cannes attribue le Prix du Jury à Yeleen, La Lumière, en 1987 au Malien Souleymane Cissé.
Certains observateurs croient déceler un petit déclin du succès en Occident des films d’Afrique noire qui continuent pourtant d’interpeller les spectateurs de tous pays. Leurs réalisateurs allant jusqu’à refuser la dénomination de cinéastes africains pour ne pas se laisser enfermer dans la différence culturelle… Pour Gahité Fofana, cinéaste guinéen, Alain Gomis, réalisateur franco-sénégalais et d’autres, « l’Afrique est en phase avec l’universel » et pour David Achkar, documentariste guinéen mort en 1998, il n’était pas question d’être le cinéaste nègre, « le porte-parole obligé et l’ethnologue de sa propre culture. » Ils explorent alors un nouveau cinéma, adoptent une nouvelle écriture en prenant des risques dans la forme comme dans le fond et produisent des films posant des questions sans réponses, explorant l’humain sans concession.
Il faut dire que l’espoir de démocratie suscité par les Conférences nationales a débouché (mi-années 90) sur un désenchantement de plus. Le cinéma nouveau, c’est Tilaï d’Idrissa Ouédraogo du Burkina, Prix du Jury de Cannes en 1990, qui donne à voir le cri existentiel d’un être en crise plus que la critique des coutumes. C’est Hyènes du Sénégalais Djibril Diop Mambety en 1992 qui traite des hyènes que sont devenus les hommes. C’est Po di Sangui de Flora Gomes de Guinée-Bissau en 1996 qui célèbre la rencontre des cultures en rappelant que le sacrifice d’une partie de soi est nécessaire pour accueillir chez l’Autre ce qui fait sa valeur. C’est La Vie sur terre en 1998 du Mauritanien Abderrahmane Sissako, c’est Bye Bye Africa en 1999 du Tchadien Mahamat- Saleh Haroun…
Ce sont les années d’approfondissement des sillons creusés dans les années 90. Le cinéma africain opère un véritable retour aux sources c’est-à-dire à la culture de la parole et à la forme du conte (celui des Burkinabés Gaston Kaboré ou Idrissa Ouédraogo, par exemple) mais c’est pour nourrir une esthétique appropriée aux nécessités modernes de son discours. Le spectateur est mobilisé, non en tant qu’Africain mais en tant qu’homme qui attend le bonheur. Le film ne construit plus une vérité mais invite à la réinventer. Il questionne par un voyage dans le monde. L’Afrance (en un mot le a étant privatif) en 2001 de Alain Gomis affirme qu’on ne meurt pas d’être allé à la rencontre de l’Occident.
On a parfois évoqué l’oraliture en parlant de l’écriture des livres d’Amadou Kourouma, l’Ivoiro-guinéen, pour tout ce qu’il savait tirer comme ficelles de l’oralité : les digressions, les parenthèses, les approximations dans la narration…
Habitués que nous étions aux premiers films africains : des documentaires souvent, des formes théâtrales populaires filmées, des œuvres didactiques avec leurs lenteurs (exception faite de quelques films dont Bal poussière en 1998, plutôt rapide, de Henri Duparc bibliothèque franco-ivoiro-guinéenne prématurée celle-là, « incendiée » elle aussi en 2006), nous allons devoir nous familiariser avec la nouvelle dynamique inspirée par cette oraliture, illustration dans les années 2000 de ce que le cinéma africain doit toujours à la littérature. Et, vous réalisez, encore, combien ce cinéma colle au thème de la Vague : du roman à l’écran. Cette dynamique nouvelle, ce sont des interpellations directes de regards caméra, l’illusion de la présence d’un public, le mouvement, la délocalisation permanente...
Le cinéma des années 2000 ne renonce pas pour autant à la politique de ses débuts. C’est Daratt en 2006 du toujours tchadien Mahamat-Saleh Haroun : l’amnistie après 40 ans de guerre civile et la révolte d’un homme qui tient à venger son père exécuté. Y est posé le douloureux problème de savoir comment continuer à vivre ensemble après tant d’années de violence et de haine ? C’est Bamako en 2006 de Abderrahmane Sissako : des représentants de la société civile africaine engagent une procédure judiciaire contre la Banque Mondiale et le FMI. Sujet ingrat s’il en est mais si bien traité qu’il passe pour l’œuvre majeure du cinéaste mauritanien. C’est aussi Ezra en 2007 qui évoque le sort des enfants-soldats enrôlés de force dans la guerre civile en Sierra Léone sur fond de très belle histoire d’amour.
Est-ce qu’on ne m’en voudrait pas si je ne parlais pas du film Il va pleuvoir sur Conakry (2007) de Cheik Fantamady Camara ? Je prétends qu’on me le reprocherait. Alors, avant d’aborder le dernier point de mon intervention, pour conclure et laisser la parole à l’assistance, j’en parle un tout petit peu, de manière tout à fait désintéressée ! Car, Il va pleuvoir sur Conakry est l’œuvre d’un réalisateur… guinéen, c’est-à-dire de mon pays de naissance. Il a été projeté « Aux 400 Coups » le 19 mars 2008 dans le cadre des festivités Kandi-Villefranche et j’ai déjà eu l’occasion d’en discuter un peu avec quelques sympathiques spectateurs ce soir-là. Il n’évoque pas l’éternelle et banale opposition entre la tradition et la modernité dans laquelle certains critiques continuent d’enfermer les films d’Afrique. L’histoire est celle des jeunes d’aujourd’hui. Les répliques, les situations, les images sont osées. La première scène est torride. Sans pudibonderie, je pense qu’elle aurait pu d’ailleurs ne pas être reproduite plusieurs autres fois. Les jeunes ne refusent pas les traditions. Les vieux vivent et font avec les temps modernes… Il y est plus question de deux filles qui se disputent un garçon, caricaturiste redoutable dans un journal, garçon qui lui-même est empêtré dans son mal-être, coincé qu’il est par le désir de s’affirmer, contrariant celui de son père, Imam de la ville, qui veut qu’il lui succède. Et quand naît un enfant hors mariage avec la potentielle Miss de Guinée qu’il aura finalement préférée (enfin, si on veut…) comment y faire face ? Comment tout cela va-t-il finir ? De façon heureuse ou de manière tragique ? Y aurait-il sujet de film plus universel ?
Sembène Ousmane s’était toujours plaint du manque de courroie de transmission entre l’œuvre et le public. Il parlait ainsi des critiques et des observateurs qui manquent pour éclairer les spectateurs sur les vertus subversives des films et fustigeait aussi le manque de liberté. Mais imagine-t-on une telle courroie s’il n’existe plus de salles de cinéma pour la projection publique et non prohibitive des films ? Ce ne sont pourtant pas des trésors d’imagination qu’il faudrait déployer (des bâches amovibles par exemple en prévisions des pluies) pour conserver au moins les cinémas de plein air qui existaient en pays mandingue, à Kankan et à Bamako.
Car le besoin d’images est grand. En particulier, en Afrique anglophone, des Multiplexes diffusent pléthores de films américains. Et l’émergence au Nigeria, depuis 1992 d’une industrie du cinéma (de production vidéo en vérité) a fait parler de Nollywood en concurrence avec Bollywood (le cinéma à Bombay en Inde) et Hollywood aux États-Unis. Plus de 1200 longs métrages y sont réalisés chaque année ! En Afrique francophone, c’est à Madagascar qu’il se produit depuis 2000 une dizaine de longs métrages vidéo par an.
La fameuse authenticité culturelle n’interpelle pas du tout les jeunes Africains. Plus souvent habillés de jeans, de baskets, de T-shirts aux logos anglo-américains criards que de boubous, ils consomment le cinéma dominant, eux aussi autant qu’une certaine boisson célèbre. La télévision se généralise de même que les lecteurs de DVD et VCD. La proximité individualisée avec les images du monde fait le reste. Des multitudes de vidéo-clubs plus ou moins légaux diffusent des films commerciaux souvent piratés racontant toujours les mêmes histoires : ascension sociale fulgurante, musiques, love story, courses-poursuites de voitures puissantes, prouesses de cascadeurs, du trash, du gore, du sexe, de l’action, de la violence, des effets spéciaux… Les jeunes Africains sont, tous les jours et toutes les nuits, plutôt en contact avec ce cinéma-là.
Pendant le même temps, le cinéma d’auteur peine à tourner. Pour produire un long métrage, bon nombre de cinéastes mettent souvent plusieurs années (7, 10 ans voire plus). Souleymane Cissé n’a pas produit depuis une dizaine d’années, en effet. Idrissa Ouédraogo a renoncé à monter un film à gros budget. Quelques réalisateurs que nous avons évoqués en reprenant le parcours du cinéma africain s’accrochent encore et réussissent tant bien que mal à concilier qualité et budget limité quand ils obtiennent des aides occidentales et/ou montent des coproductions. Les autres n’ont plus le choix que de s’emparer, à leur tour, du numérique, présenté comme un modèle de développement autocentré qui n’a plus besoin de financement extérieur. Tel Boubakar Diallo du Burkina Faso où a émergé en 2004 un cinéma populaire rencontrant un grand succès public. Le danger de ce cinéma facile, c’est qu’il veut plaire à tout prix et que ses ingrédients ne sont que trop connus pour être encore évoqués. Le Ghanéen Kwah Ansah déplore en tout cas que les Africains ayant enfin la possibilité de raconter leurs propres histoires soient en train de faire pire qu’Hollywood qui a tant fait contre les Noirs.
Des Africains verraient alors d’un bon œil que des Afro-américains s’intéressent au cinéma des pays de leurs racines. Danny Glover avait pris des contacts avec Sembène Ousmane. Il a promis de les garder avec d’autres en les soutenant. Pourvu que tout cela ne débouche pas sur une simple hollywoodisation du cinéma africain, c’est-à-dire à l’accaparement de l’Histoire post-coloniale africaine pour produire des scènes apocalyptiques dans une grande fascination pour la violence. Comme c’est le cas de Blood Diamond d’Edouard Zwick : « une débauche de moyens, chaque séquence débouche sur un paroxysme dans une série de montée de tensions où la cruauté du conflit est « instrumentalisée » pour faire des personnages des héros de film d’action » selon la critique acerbe de Anne Crémieux sur Africultures. On aura remarqué, effectivement, que Leonardo Di Caprio vivra une rédemption en se sacrifiant pour sauvegarder l’idéal familial du Noir qui n’aura, lui, jamais finalement le droit à la parole.
Un phénomène récent est rassurant cependant : Des films d’animation (inspirés de contes, de légendes, de séquences historiques) et des courts métrages, Jeune Public, sont tournés de plus en plus par des cinéastes confirmés. Face au formatage généralisé, c’est, peut-être, par eux que les cinéastes pourraient renouer avec la poésie et, par conséquent, avec la littérature. Mais l’on ne peut pas s’empêcher de se poser les questions cruelles que se posent certains cinéastes africains : « Comment faire un film dans un pays qui n’a pas d’avenir ? Comment faire un film policier dans un pays où on ne peut pas enquêter ? »
L’histoire du cinéma africain est, comme on a pu le voir, je l’espère, mouvementée à l’image de celle de tout le continent qui n’est pas non plus un fleuve tranquille, bien au contraire. Mais pourrait en jaillir un nouvel imaginaire.
Cordialement,
H. Deguine