Peut-on mettre en relation ces déclarations, qui représentent à mon sens un basculement stratégique majeur du dispositif militaire français à l’étranger, avec le discours de Nicolas Sarkozy en Afrique du Sud sur le «redéploiement» des moyens militaires français en Afrique ?
Regardons les faits. Le 15 janvier 2008, le président Nicolas Sarkozy a annoncé à Abu Dhabi la création d’une base militaire permanente dans les Émirats Arabes Unis. Elle compterait un personnel variant de 400 à 500 personnes provenant de toutes les armées. Cette évolution est historique, car la France ne possède aucune base permanente dans le Golfe. Il semblerait pourtant que cette décision n’est que la prolongation d’un accord de défense mutuelle signé en 1995 entre la France et les Émirats. Pour Abu Dhabi, la présence française permettra de rééquilibrer la distribution de puissance actuellement à l’avantage des États-Unis dans la région. L’aspiration du nouveau président français à renouer les liens transatlantiques pourrait aussi expliquer cette initiative. Néanmoins, ne s’agit-il pas là, de la mise en place d’un des piliers majeurs de l’évolution de la politique de défense de la France ? Cette base permettra de «fermer» la base de Djibouti (investie par les États-Unis). La base serait capable de monter en puissance «à la demande» au moyen d’appareils de l’aéronavale ou de l’armée de l’air, éventuellement dans une configuration proche des Air Expeditionnary Force américaines offrant un mixte de ravitailleurs en vol, de moyens de soutien et de combat.
Comme évoqué plus haut, la France semble décidée à s’investir fortement dans l’OTAN. En effet, le président français a annoncé que la France proposerait d'envoyer des renforts militaires en Afghanistan si la nouvelle stratégie qu’elle présentera «pour construire la paix» était acceptée par ses alliés, qui lui demandent de s'engager plus largement. «La France a proposé à ses alliés de l'Alliance atlantique une stratégie pour permettre au peuple afghan et à son gouvernement légitime de construire la paix», a déclaré Nicolas Sarkozy devant le Parlement britannique à Westminster. «Si ses propositions sont acceptées, la France proposera lors du sommet de Bucarest de renforcer sa présence militaire», a-t-il ajouté, faisant référence au sommet de l'OTAN, qui se tiendra du 2 au 4 avril 2008 dans la capitale roumaine.
Si l’on se rapproche du rapport d’étape transmis par la Commission du Livre Blanc sur la Défense, le basculement stratégique de la planète vers l’Asie semble acquis par les spécialistes de la défense française. Le risque de déclenchement d’un conflit majeur concerne l’«arc de crise islamique allant du Maroc au Pakistan». Le Maghreb est concerné pour le continent africain. Mais cet espace géographique devra répondre, dans l’avenir, de l’Union méditerranéenne mise à l’honneur dans les instances européennes par la France. Bien entendu, la France a été marginalisée dans sa périphérie immédiate, notamment au Maghreb, à cause d’une politique étrangère assoupie, à l’opposé de nouveaux acteurs qui font preuve de volontarisme politique comme les États-Unis. Le rapport d’étape poursuit sur les Opérations Extérieures (OPEX) dont la légitimité est discutée. La France ne tire plus aucun profit (politique) de ces bases militaires installées sur le continent africain. Dans le cas du dispositif français en Afrique, le rapport souligne que le coût des forces prépositionnées ne permet plus de justifier leur maintien. Ainsi, les forces prépositionnées sur le continent africain deviendraient donc trop coûteuses pour un intérêt stratégique en diminution permanente (ou tout simplement les politiques français ne parviennent plus à redéfinir le contenu de la relation France-Afrique) ?
Pour s’en convaincre, l’État-major des armées français à annoncé le 20 janvier 2008 une nouvelle réduction des effectifs de l’opération Licorne en Cote d’Ivoire. Ils seront ramenés dans les prochains mois de 2400 à 1800 militaires. La base logistique de Tombokro sera, quant à elle, définitivement fermée. En Afrique du Sud, le président français, dans sa volonté affichée de rompre avec la sempiternelle Françafrique, a annoncé devant les parlementaires la «renégociation» des accords militaires de la France en Afrique. Ces accords, faut-il le rappeler, sont juridiquement très complexes et particulièrement opaques (du simple échange de lettres à l’accord de défense secret, en passant par les différentes formes de convention technique, d’accords de coopération ou d’assistance militaire). Sept pays maintiennent en vigueur le cadre juridique défini entre 1959 et 1961 : accord spécial de défense avec le Cameroun, la Centrafrique, la Côte d’Ivoire (en plus d’une convention relative au maintien de l’ordre), le Gabon (en plus d’une convention maintien de l’ordre), le Sénégal, le Tchad (convention spéciale de maintien de l’ordre, secrète) et le Togo (accord de défense, secret).
Va-t-on aboutir à une renégociation des accords de défense entre la France et le continent africain ? La réalité stratégique de l’«arc de crise islamique» va-t-elle mettre à mal la présence militaire française en Afrique ? Les «courroies étroites» qui lient certains réseaux français et africains, socle antisismique de la Françafrique, laisseront-ils ce redéploiement des effectifs militaires (garant de la sécurité des «biens» français en Afrique) se faire ? Les chefs d’États africains concernés par la fermeture de ces bases y trouveront-ils un intérêt ? En effet, la rue africaine est peut être «anti-française» mais les «élites» de ces pays ne le sont pas. «L'ancien modèle de relations entre la France et l'Afrique n'est plus compris par les nouvelles générations d'Africains, comme d'ailleurs par l'opinion publique française, il faut changer ce modèle si l'on veut regarder l'avenir ensemble», a lancé Nicolas Sarkozy devant le Parlement sud-africain.