10 mai 2008

DISCOURS : Diversité culturelle entre l'UNESCO et l'OMC

Jean-Baptiste HARELIMANA 

Nous célébrons aujourd’hui le premier anniversaire de la Convention sur la diversité, entrée en vigueur le 18 mars 2007. Au moment où je vous parle, 80 États ont ratifié ce traité et la Conférence des Parties a procédé à l’élection des États parties au Comité intergouvernemental. C’est donc pour moi une immense joie de vous parler de l’ambivalence de la relation entre le commerce et la culture, de la dimension bimodale de la diversité culturelle et je remercie le Collège universitaire Henry Dunant de m’avoir invité à m’exprimer sur le sujet. Mais la joie cède rapidement la place à une véritable difficulté, celle de présenter la diversité culturelle entre l’OMC et l’UNESCO, qui, constitue un nouveau pilier de la gouvernance globale.


Depuis une dizaine d’années, la norme de la diversité culturelle, terme non usuel du droit international,  s’est « imposée » comme une des priorités de la société internationale. Elle fait florès dans le langage actuel et connaît une utilisation intensive. Elle s’inscrit  au cœur des interrogations sociétales et civilisationnelles.

Depuis l’intégration de la diversité culturelle dans l’agenda de l’UNESCO, les deux instances internationales, UNESCO et OMC (descendant du GATT) – émanant de la même matrice conjoncturelle historique mais fondées sur un statut institutionnel et une philosophie différents – s’arrogent le droit de gérer la question épineuse et ambivalente de la circulation des biens/services culturels à l’échelle planétaire. Exprimé autrement, elles sont en quête de l’établissement d’un difficile équilibre entre le commerce international et la diversité culturelle, entre les nuances sociologique/anthropologique et économique de la culture. Il n’est donc pas étonnant que la diversité culturelle et le commerce international, qui se côtoient dans le champ lexical du nouveau discours sur le développement, finissent par être considérés comme nécessairement complémentaires.

D’une culture définie comme symbole rassembleur, l’on constate le glissement vers un concept d’industrie culturelle, qui revêt une caractéristique marchande. Ce changement a de profonds effets sur les politiques culturelles qui doivent, elles aussi, se redéfinir et s’adapter à cette nouvelle réalité. Les « porteurs de la culture » rassemblent maintenant - aux côtés des traditions, de la langue, du folklore, de la littérature, etc. - le cinéma, la télévision, les enregistrements sonores, les nouveaux médias et les médias numériques.

Une question reste posée : comment protéger et promouvoir la culture tout en respectant les accords commerciaux et en favorisant les échanges ? Une autre s’impose : quels sont les instruments nationaux, internationaux ou supranationaux permettant de la faire ? En toile de fond, il en existe une autre : qu’est-ce que la culture ? L’urgence de cette interrogation est motivée par le constat que la diversité propre à l’espèce humaine depuis la malédiction (ou la bénédiction) de Babel prend sous nos yeux une autre figure. La disparition accélérée des langues et des grandes aires linguistiques qui sont autant de visions du monde, nous pose la question redoutable de savoir quel espace public ou planétaire agencer, préserver ou créer, refermer ou développer.

L’ irréductible différence des hommes, des cultures, des langues, des histoires, des cultes, des croyances, des valeurs, toutes choses formant ce que l’on appelle aujourd’hui des identités multiples, éveille à une conscience de plus en plus grande de la diversité humaine. Au-delà des notions traditionnelles d’Empire, d’Etat ou de Nation souverains, une nouvelle communauté d’hommes dépassant toute frontière est en train de naître sous nos yeux avec des sociétés de plus en plus interdépendantes dont les membres sont autant des associés coopérant sous la tutelle du capitalisme mondial, que des frères et à l’occasion même des adversaires voire des ennemis, en fonction de curiosités et d’intérêts communs qui les rapprochent ou les divisent. La question de l’identité devient alors un concept clé dans l’élaboration des rapports entre des cultures voire des civilisations différentes et la compréhension qu’elles ont les unes des autres. Car l’identité désigne la perception que les gens ont d’eux-mêmes et des caractéristiques fondamentales qui les définissent comme êtres humains dans leurs rapports de similitude et de différence par rapport aux autres et à eux-mêmes. Posons d’emblée la définition de la culture dont tout découle. 

I. La culture, les mots et la chose 

Toutes les cultures contemporaines (perçues comme étant stables) étant interculturelles (c’est-à-dire en changement constant) ou bien métisses, et toute personne étant alors multiculturelle (Wieviorka, 2001), il faut être très attentif à ne pas tenir les mots pour les choses. Selon Marc Fumaroli, le mot « culture » semble aujourd’hui plus facile à définir en extension qu’en compréhension. Le nombre d’objets culturels enfle indéfiniment, tandis qu’on est bien en peine de dire ce que la culture (« Qu’est ce la culture ? », Conflits  actuels, 2006, n°2, p.12). 

Évoquer la culture aujourd’hui, c’est braver une indéfectible polysémie et une polymorphie, entretenues par le sens commun mais aussi par la recherche en sciences humaines ; en faire un objet d’étude, c’est parfois avoir à défier un adversaire beaucoup plus redoutable, la nouvelle économie. Cette ambiguïté de la culture est en partie le résultat de la trajectoire en lignes brisées qui caractérise l’histoire du mot lui même. Depuis son exil classique des moissons spéculatives de la raison, le terme est défini sur un mode intellectuel, technicien, artistique, religieux, politique, éthique. Certes, ce travail d’affinement du concept de culture fut fait dans le prolongement de l’effort déployé par les ethno-anthropologues. 

La définition anthropologique la plus opératoire est celle qui est donnée par Sélim Abou et plus largement par les anthropologues, celle-là même qui a été adoptée à quelques nuances près par l’UNESCO : « La culture est l’ensemble des manières de penser, d’agir et de sentir d’une communauté dans son triple rapport à la nature, à l’homme, à l’absolu » (Sélim Abou, L’identité culturelle). 

La Conférence mondiale sur les politiques culturelles (MONDIACULT, Mexico, 1982) a marqué le passage d’une définition étroite de la culture à une définition très large et qui fait encore autorité dans les textes internationaux, celle de «  l’ensemble des traits distinctifs spirituels et matériels, intellectuels et affectifs qui caractérisent une société ou un groupe social. Elle englobe outre les arts et les lettres, les modes de vie, les façons de vivre ensemble, les systèmes de valeurs, les traditions et les croyances ». 

Cette large définition a été reprise par la Commission mondiale de la culture et du développement (Notre diversité créatrice, de 1995) et réaffirmée à l’occasion de la Conférence intergouvernementale de Stockholm sur les politiques culturelles pour le développement de 1998, dans la Déclaration universelle sur la diversité culturelle et dans la Convention sur les expressions culturelles. Si cette définition a l’avantage de proposer  un sens large, elle reste énumérative car elle ne mentionne pas l’individu, créateur de culture et ne présente pas la culture comme un résultat d’actions composites. 

Les réflexions de l’École de Fribourg ont amené à élargir le concept de culture et de droits culturels (puisqu’il semble falloir utiliser le terme au pluriel) qui lui sont associés, à l’identité culturelle et à la communauté culturelle. La définition de l’École de Fribourg vient corriger un défaut essentiel : elle se réfère aux libertés et droits culturels de l’individu dont il est le  produit en même temps que la ressource. Cette définition permet de donner des contours précis à ce substantif (culture), il faut dire intimidant ; contours précis ne signifie pas nécessairement contours restreints, puisque l’on propose de regrouper dans ce concept un ensemble de représentations collectives propres à une société. Chacun de ces mots mériterait d’être glosé. Mais on aura compris que le concept essentiel est représentation, y compris dans ce qu’il implique comme rapport éventuellement dialectique entre l’identité et son expression, sans qu’il soit utile de postuler qu’il  s’exprime pleinement. C’est dans ce contour que le terme trivial de forme d’expression rend bien compte de ce qui se joue  au cœur de la convention sur la diversité culturelle. 

II. Régime juridique actuel de l’OMC en matière culturelle 

Pendant l’Uruguay Round a fait rage une bataille économique intimement liée à la toute puissance audiovisuelle américaine que toutes les statistiques confirment. Ainsi, plusieurs États ont tenté d’introduire l’exception culturelle dans les règles du GATT et de l’OMC ; exception qui visait à épargner toute activité culturelle du libre échange. Cette tentative fut un échec car la notion d’exception culturelle avait une connotation négative ; elle ne revêtait que l’aspect protectionniste de la chose. Est apparue alors la notion de diversité culturelle ; notion beaucoup plus positive puisque prônant l’échange culturel. Cette nouvelle notion, qui est entre nous loin d’être récente, permet a la fois des mesures nationales de protection et de promotion des produits culturels et un certain échange culturel. 

A travers cette notion, le marché et la culture se réconcilient puisque pour promouvoir la diversité culturelle, il faut justement le commerce, il faut que les produits culturels s’échangent, circulent. Le libre échange et la diversité culturelle sont-ils compatibles ? 

On peut répondre affirmativement si l’on réduit la culture et les industries culturelles à leurs dimensions économique et marchande. Mais si l’on considère que tous les peuples ont besoin de produire leurs textes, leurs images, leurs sons mais aussi leurs mythes, leurs symboles et de développer leur imaginaire, alors nous devons affirmer que le bien culturel n’est pas une marchandise comme une autre. 

D’un point de vue juridique, l’habitude est de distinguer, au sein des produits culturels, les biens culturels des services culturels. Comme pour tous les biens et les services, l’OMC a prévu des règles juridiques distinctes, à savoir le GATT que nous commençons à bien connaître et le GATS - ou en français AGCS - pour les services. 

1. Les biens culturels – GATT 94 

Comme précisé précédemment, nous distinguons les biens culturels des services culturels. Qu’entend-on par « bien culturel » ? 

Il n’existe aucune définition juridique de ce terme. Du point de vue de l’OMC et des pro-libre échange, ces biens sont considérés comme de simples marchandises. Pour beaucoup d’États membres de l’OMC, ce sont plus que des marchandises. 

L’UNESCO propose de définir les biens culturels comme « des biens de consommations véhiculant des idées, des valeurs symboliques, des modes de vie qui diffusent l’identité collective et influencent les pratiques culturelles ». Il s’agit d’une définition parmi d’autres. Dans la catégorie des biens culturels, nous pouvons par exemple regrouper les livres, magazines/revues, peintures/tableaux, vidéos, DVD, CD, produits multimédia, logiciels, films… 

Les règles multilatérales régissant le commerce des biens culturels se trouvent dans l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT), tel qu’il a été intégré à l’Organisation mondiale du commerce (OMC), et qui est connu maintenant sous le nom de GATT de 1994, ainsi que dans les douze accords auxiliaires annexés au GATT, qui détaillent certaines règles. Les règles les plus pertinentes pour les biens culturels sont celles qui concernent le traitement de la nation la plus favorisée, le traitement national, les tarifs douaniers, les contingents et les subventions. 

Les règles s’appliquent généralement sans tenir compte de la propriété des entreprises qui produisent, échangent, distribuent ou consomment des biens. La règle du traitement de la nation la plus favorisée (article I du GATT) empêche l’application discriminatoire de tarifs douaniers sur les importations ou toute autre mesure affectant l’échange de marchandises entre membres de l’OMC, à moins qu’un pays ne soit visé par un accord commercial régional en vertu des dispositions de l’article XXIV du GATT, ou qu’il jouisse d’une préférence en vertu d’une clause de droits acquis  ou d’une autorisation spécialement accordée par l’OMC (ou par le GATT avant 1995 et prolongé par l’OMC - citons à titre d’exemple les tarifs préférentiels appliqués par les pays développés à l’égard des pays en développement).

La règle du traitement national (article III du GATT) empêche généralement l’application discriminatoire de mesures commerciales internes, telles que des taxes de vente appliquées différemment aux produits nationaux et aux produits importés. Le paragraphe 8 de l’article III introduit une exception pour le paiement de subventions et l’acquisition de marchandises par les gouvernements pour leur propre usage. Ces deux exceptions importantes influencent certaines politiques gouvernementales dans le secteur culturel.

Comme nous le savons, aucune restriction quantitative au commerce n’est admise. Cependant, dès 1947, les États membres du GATT décident de consacrer une exception bien spécifique à ce principe général, pour les films cinématographiques (article III.10 et article IV du GATT). En vertu de ces articles, des contingents à l’écran sont admis. De quoi s’agit-il ? Un pays peut fixer, pour une période minimale d’un an, un nombre de films d’origine nationale qu’il s’oblige à projeter dans ses salles. Attention, aucun quota à l’importation n’est admis (en vertu de l’article XI.1 du GATT). S’il est possible de fixer un quota de films nationaux à projeter, l’importation de films ne peut être limitée. Cette remarque est purement théorique puisque dans les faits, le résultat sera le même pour la simple raison que le temps de projection des cinémas d’un territoire national n’est pas indéfini. Le fait de privilégier la projection de films nationaux a pour conséquence de limiter le temps de projection pour les films d’origine étrangère. Cela revient par conséquent à fixer implicitement un quota a l’importation. Une deuxième remarque est à formuler au sujet de cet article : un film doit-il être défini comme un bien ou un service ? Puisque cette exception se trouve dans l’Accord du GATT, les films doivent donc être considérés comme des biens. En 1947, un film était une bobine. Cependant, cet article concerne davantage la projection du film que le film lui-même en tant que bobine ! Il existe donc bien une ambiguïté entre les notions de bien et service. 

La règle des tarifs douaniers (article II du GATT) empêche l’application de droits de douane sur des biens importés par un pays membre à un taux supérieur à celui qui est prévu dans la liste énumérant les produits pour lesquels ce pays a pris des engagements relativement aux taux tarifaires.

La règle des contingents (article XI du GATT) empêche l’application de restrictions ou de prohibitions à l’importation ou à l’exportation de tout produit, sauf dans des conditions bien définies comme, par exemple, dans le cas d’un pays membre limitant ses importations pour préserver ses réserves de devises étrangères conformément à l’article XII du GATT. 

Il existe encore bien d’autres règles pertinentes, en principe, pour le commerce des biens culturels, notamment une règle interdisant les subventions pour l’exportation d’un produit ou pour l’utilisation préférentielle d’un produit national par rapport à un produit importé (article XVI du GATT et accord de l’OMC relatif aux subventions et mesures compensatoires), le droit d’imposer des tarifs douaniers supplémentaires dans des situations où des biens subventionnés ou faisant l’objet de dumping causent un préjudice matériel aux producteurs nationaux (droits compensatoires et antidumping conformément à l’article VI du GATT et accords de l’OMC relatifs aux mesures antidumping ainsi qu’aux subventions et mesures compensatoires), et le droit d’imposer temporairement des droits ou des contingents pour arrêter un accroissement soudain d’importations causant un préjudice grave aux producteurs nationaux (conformément à l’article XIX du GATT et à l’accord de l’OMC relatif aux sauvegardes). 

Les entreprises appartenant aux gouvernements qui produisent ou distribuent des biens culturels sont tenues de mener leurs affaires d’une manière qui ne désavantage pas les intérêts des entreprises étrangères en matière d’importation ou d’exportation (article XVII du GATT). Conformément à l’article relatif aux exceptions générales (article XX du GATT), un pays peut imposer des barrières au commerce pour protéger des trésors nationaux ayant une valeur artistique, historique ou archéologique.

Aucun de ces articles n’a jamais joué de rôle important dans la gestion du commerce international des biens culturels. Les règles de l’OMC permettent à tout pays membre de demander une réparation pour des mesures commerciales qu’il considère non conformes aux dispositions du GATT. Les procédures de réparation prévoient un processus de consultation, de conciliation et, s’il y a lieu, d’arbitrage. Si un membre, contre lequel une plainte a été déposée par l’intermédiaire des procédures de règlement des différends de l’OMC, ne se conforme pas aux règles établies, le membre qui a déposé la plainte a le droit de recevoir une compensation sous forme d’avantages commerciaux pour d’autres produits ou de recourir à des mesures de représailles, c’est-à-dire d’imposer des obstacles au commerce pour les produits du membre pris en défaut. 

Les États membres de l’OMC ont une liberté totale en ce qui concerne les engagements qu’ils veulent prendre au niveau des services culturels. Retenons qu’à part l’exception prévue pour les films, le commerce des biens culturels est soumis aux mêmes règles et exceptions prévues pour tout autre bien.

Dans le milieu du commerce international, la notion de bien paraît facile à saisir (celui-ci est transporté d’un pays à un autre moyennant éventuellement un droit de douane), mais il en va tout autrement du commerce des services qui présente une plus grande diversité et une plus grande complexité. Par exemple, les compagnies téléphoniques, les maisons d’édition et les agences de presse fournissent des services de nature différente. D’où la difficulté non seulement de décrire la nature des services, mais également d’établir des règles pour leurs échanges. 

2. Les services culturels – GATS 

Le régime des services au sein de l’OMC relève du GATS (Accord général sur le commerce des services). L’UNESCO définit les services culturels de la façon suivante : « les services culturels sont des activités qui, sans prendre la forme de biens matériels, répondent à une idée ou à une nécessité d’ordre culturel et se traduisent par des mesures d’appui à des pratiques culturelles que les États, les institutions publiques, les fondations, les entreprises privées ou mixtes, mettent à la disposition de la communauté et qui incluent, entre autres, la promotion des spectacles ainsi que la conservation et l’information culturelles (bibliothèques, archives, musées, etc.). Ces services peuvent être gratuits ou payants ».

La notion de services englobe au sein du GATS 155 secteurs de prestations et 4 manières de fournir des services .Les règles de l’OMC régissant le commerce des services culturels sont énumérées dans l’Accord général sur le commerce des services (AGCS). L’AGCS définit quatre types de commerce de services : les services fournis par le producteur, dans le pays d’origine, à un consommateur venu d’un autre pays (tels que le tourisme ou les services d’enseignement); les services fournis à un consommateur se trouvant dans un pays par un producteur se trouvant dans un autre pays (tels que les services de consultation fournis par voie électronique); les services fournis par une entreprise appartenant à des intérêts étrangers (suite à un investissement ou à l’établissement d’une présence commerciale dans un pays, sous forme de services comptables, par exemple) ; les services fournis par la présence temporaire de personnes d’un autre pays dans le pays consommateur (tels que les services d’ingénierie). 

Même si l’AGCS s’appuie sur des concepts semblables à ceux du GATT à l’égard de la nation la plus favorisée et du traitement national, par exemple, il existe des différences importantes entre les deux accords qui représentent de sérieuses contraintes dans le domaine du commerce des services culturels. La restriction la plus importante réside dans le fait que les engagements pris par un pays membre relativement à l’accès aux marchés à l’importation et le droit au traitement national se limitent aux secteurs de services énumérés dans la liste de ce membre. De plus, les membres peuvent limiter leurs engagements en établissant toute une série de conditions. En outre, des exceptions à la règle de la nation la plus favorisée sont permises. Il n’existe aucune obligation précise en ce qui concerne les subventions, les mesures compensatoires, les mesures antidumping ou les sauvegardes. 

Les règles de l’AGCS ayant l’impact le plus direct sur les services culturels sont les dispositions détaillées concernant la transparence des lois et de la réglementation régissant le commerce des services.

Comme pour le commerce des biens, des procédures ont été élaborées pour résoudre les différends. Il convient de noter qu’il n’existe aucune définition établie à l’échelle internationale permettant de distinguer les biens des services et que des interprétations contradictoires ont été proposées, notamment dans la fameuse affaire des périodiques à tirage dédoublé. 

Les biens peuvent faire l’objet de droits de douane et de restrictions quantitatives à la frontière (contingents ou quotas d’importation), contrairement aux services pour lesquels les obstacles physiques à l’importation n’existent pratiquement pas. Pour le moment, le GATT s’avère être, dans de nombreux cas, un moyen juridique plus efficace que le GATS contre les obstacles au commerce international dans le domaine audiovisuel. 

Dans le cadre du cycle de Doha, la réglementation des services se préoccupe non seulement des barrières qui viendraient à freiner le libre échange (quotas, droits de douane, etc.), mais aussi de la possibilité pour les États d’accorder des subventions. Les négociations sur les services ont été lancées depuis 2000 en vertu de l’article XIX paragraphe 1 de l’AGCS qui stipule que « conformément aux objectifs du présent accord, les Membres engageront des séries de négociations successives, qui commenceront cinq ans au plus tard après la date d’entrée en vigueur de l’Accord sur l’OMC et auront lieu périodiquement par la suite, en vue d’élever progressivement le niveau de libéralisation. Ces négociations viseront à réduire ou à éliminer les effets défavorables de certaines mesures sur le commerce des services, de façon à assurer un accès effectif aux marchés. Ce processus aura pour objet de promouvoir les intérêts de tous les participants sur une base d’avantages mutuels et d’assurer un équilibre global des droits et des obligations ». Ces négociations devaient respecter les objectifs de politique nationale et le niveau de développement des différents Membres, tant d’une manière globale que dans les différents secteurs. La Déclaration de Doha vient renforcer cette orientation de l’AGCS en prévoyant que les négociations sur le commerce des services seront menées en vue de promouvoir la croissance économique de tous les partenaires commerciaux et le développement des pays en développement et des pays les moins avancés. Mais depuis le début des négociations, aucune avancée significative n’a été enregistrée. 

La Déclaration de Doha entérine les travaux qui ont été accomplis, confirme les lignes directrices et procédures pour les négociations et établit certains éléments essentiels du calendrier, y compris et surtout la date limite pour l’achèvement des négociations en tant que partie intégrante d’un engagement unique. 

La libéralisation des services culturels n’est pas du domaine de la fiction. En 1993, au cours des négociations du cycle de l’Uruguay, la Nouvelle-Zélande décida de renoncer aux quotas dans le secteur audiovisuel. Le nombre de fictions et documentaires néo-zélandais à la télévision chuta drastiquement. Lorsque, en 2001, le gouvernement voulut encourager ses producteurs nationaux, il réalisa qu’il ne pouvait plus le faire : il aurait en effet fallu accorder des subsides à tous les producteurs étrangers fournissant les télévisions locales. Finalement, il y renonça. 

III. UNESCO ET L A QUESTION DE LA DIVERSITÉ CULTURELLE 

A l’instigation de la France, du Canada et de l’Union européenne, le débat sur le statut des biens et services culturels a été porté à l’Unesco sous l’angle de la diversité culturelle. En 2001, l’organisation adopta une Déclaration universelle sur la diversité culturelle. Des négociations débutèrent peu après pour traduire cette déclaration en un instrument contraignant que les États pourraient utiliser pour sauvegarder la diversité et la richesse de leur culture. Elles aboutirent  à une Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles. Le 25 octobre 2005, 148 pays ont signé la Convention de l’UNESCO sur la diversité culturelle. Fonctionnellement, la préservation de la diversité culturelle est perçue comme le moyen de protéger les diverses cultures contre le danger d’uniformisation et d’homogénéisation planétaire. 

Ce nouvel instrument international affiche un objectif clair : reconnaître la spécificité des biens et services culturels en conférant un statut juridique à la culture. La Convention sur la diversité culturelle vise à reformuler les paramètres de l’enjeu sur la circulation des biens culturels au niveau mondial et sur l’équilibre sensible entre le commerce et la culture, ainsi qu’à établir un cadre éthique et normatif de comportement et d’action sociale pour les États, les sociétés civiles, ainsi que les industries culturelles. 

1 . Philosophie et contenu de la convention de l’UNESCO sur la diversité culturelle 

La philosophie de la Convention sur la diversité culturelle fait de celle-ci un patrimoine commun de l’humanité, un facteur de développement, un élément de dignité humaine et une source de créativité. De façon générale, il est considéré que chaque culture possède sa valeur et ses caractéristiques. De ce point de vue, il n’existe pas de niveau hiérarchique entre les différentes cultures. En conséquence, toutes les cultures sont uniques et égales. 

Les cultures étant variées et diversifiées, il existe des différences parmi elles. Cependant, il est impossible d’affirmer qu’il existe une meilleure culture. Par exemple, bien que les films hollywoodiens soient les plus populaires, rentables et concurrentiels dans le monde entier, nous ne pouvons pas estimer que la culture américaine surpasse celle de la suisse ou celle de l’Inde. 

La Convention rappelle que la diversité culturelle est indispensable à la paix et à la sécurité aux plans local, national et international, soulignant la nécessité d’intégrer la diversité culturelle en tant qu’élément stratégique dans les politiques nationales et mondiales de développement, ainsi que dans la coopération internationale pour le développement durable. Enfin, la Convention reconnaît l’importance du droit souverain des États d’adopter des mesures pour la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles sur leur territoire. L’abandon de ce rôle, qui se concrétise par des politiques culturelles et diverses mesures de soutien à la culture, entraînerait l’application des seules règles du marché au secteur culturel. Cette situation serait synonyme d’une homogénéisation des cultures au profit d’un modèle culturel unique, fondé sur une logique purement économique et commerciale qui exclurait l’expression des cultures « moins rentables » ou ne disposant plus des ressources et des mécanismes de soutien nécessaires à leur expression. 

Cette Convention définit la diversité culturelle comme suit : « “Diversité culturelle” renvoie à la multiplicité des formes par lesquelles les cultures des groupes et des sociétés trouvent leur expression. Ces expressions se transmettent au sein des groupes et des sociétés et entre eux » (article 4). Ainsi, cette définition met en valeur l’importance de la multiplicité des formes de l’expression culturelle. 

Ensuite, selon cette Convention, la « diversité culturelle se manifeste non seulement dans les formes variées à travers lesquelles le patrimoine culturel de l’humanité est exprimé, enrichi et transmis grâce à la variété des expressions culturelles, mais aussi à travers divers modes de création artistique, de production, de diffusion, de distribution et de jouissance des expressions culturelles, quels que soient les moyens et les technologies utilisés » (article 4). Cet article attache de l’importance aux aspects industriels de la culture tels que la production, la diffusion et la distribution des produits culturels. 

Les principes de la Convention ne sont pas nouveaux, mais sont de plus grande envergure. Ils sont intégrés à un corpus législatif international, s’appliquent aux différents pans de la culture, et réunissent une série de définitions qui faisaient jusque là défaut (« diversité culturelle », « industries culturelles », « politiques culturelles », etc.). Jusqu’à la ratification de la Convention sur la diversité culturelle, le champ culturel, à l’exception des conventions sur les droits d’auteurs, n’existait pas au regard des règles commerciales et ne bénéficiait d’aucun référent (valeurs, objectifs et principes). Les articles de la convention vont dès lors lui servir de référent juridique. 

La Convention consacre la coopération internationale afin qu’émerge dans les pays en développement «un secteur culturel dynamique». Le texte prévoit la création d’un fonds international pour la diversité culturelle basé sur les contributions volontaires mais régulières des États ainsi qu’un accès préférentiel aux artistes et productions culturelles des pays en développement dans les pays industrialisés.  

Sans remettre en cause les forces du marché, il est question d’affirmer et de développer les interventions de l’État pour favoriser la création et la diffusion de la culture d’une part, et s’assurer que les mesures suivent à la fois une logique marchande et les critères d’équité et de justice d’autre part. La culture se réfère alors à la liberté des citoyens d’exprimer leurs idées, leurs valeurs, leurs opinions et à la liberté de les engager dans le débat public : en un mot, le processus démocratique. On retrouve l’esprit de Fribourg. 

2. Les défis et limites 

Les États-Unis, qui avaient claqué la porte de l’UNESCO en 1984 pour y revenir en 2003, rejettent le projet de convention. Ils veulent non seulement monter dans le bateau de la diversité culturelle mais aussi le noyer en signant les accords bilatéraux. Ils considèrent que ce projet « dépasse clairement le mandat de l’UNESCO, car il traite de questions commerciales ». Les États-Unis, dont l’industrie de divertissement est le deuxième secteur d’exportation après l’aéronautique, ont tout à gagner de cette libéralisation. Aussi multiplient- ils les accords bilatéraux de libre-échange dans ce sens. Deux critiques principales, provenant surtout des États-Unis, ont été formulées à l’encontre de la Convention de l’UNESCO. 

La première critique est que la Convention ne serait rien d’autre qu’un moyen déguisé de protection des politiques culturelles nationales. Il est clair qu’il y a un peu de cela dans la volonté des États. Toutefois, n’est-il pas légitime que, face a l’hégémonie des États-unis qui propagent leur culture partout dans le monde, les autres États cherchent à sauvegarder leurs propres cultures et façons de penser ? 

La deuxième critique, émise par les États-Unis, affirme que les signataires de la Convention violent les droits de liberté d’information et d’expression de leurs citoyens. Il existe en effet une tension entre la restriction des importations visant à protéger la culture nationale et la liberté d’expression et d’information qui mettrait en danger la fondation même de la diversité culturelle. Le terme « protection » qui se trouve notamment dans de le paragraphe a) de l’article premier décrivant les objectifs de la Convention a été contesté par les États-Unis d’Amérique, arguant qu’il donnerait l’aval à un certain protectionnisme économique. Il importe d’indiquer que le terme « protéger » ou « protection » est courant dans la Convention et se trouve même dans son intitulé.  

Les experts indépendants dans l’avant-projet de Convention ont apporté à ce propos une importante précision. Selon eux, le terme « protection » dans l’intitulé et dans le reste de la Convention ne devait nullement faire référence à un quelconque repli ou fermeture de la part des États membres. Au contraire, la diversité des expressions culturelles devait être garantie par la liberté d’expression et par l’ouverture aux autres cultures. Le terme « protection » doit donc être compris dans un « sens positif ». 

C’est pourquoi la Convention dans ses premiers grands principes s’empresse de souligner que « personne ne peut invoquer les dispositions de la Convention en vue de violer les droits de l’Homme et les libertés fondamentales » (article 2 § 1). De plus, le paragraphe 5 de son préambule proclame « l’importance de la diversité culturelle pour la pleine réalisation des droits de l’Homme et des libertés fondamentales ».

La diversité culturelle n’est pas un but en soi, et pourtant c’est une ressource à préserver. L’exercice des droits, libertés et responsabilités culturels constitue la fin et aussi le moyen de cette préservation et de ce développement, car cela signifie que chacun peut participer à cette diversité, y puiser des ressources et contribuer à son enrichissement. 

Face au développement global du capitalisme culturel, il ne suffit donc pas de vouloir égaliser les chances d’accès aux produits culturels, biens ou services. Il faut parallèlement élargir les droits culturels des personnes, des communautés, des peuples et des Nations. Il faut maintenir pour tous la porte ouverte à la conception et à la création culturelles. De tels droits contribuent à la fois à la mobilisation de l’intelligence individuelle et collective. Ils créent des conditions favorables à l’expression et à la communication directe ou virtuelle et à la coopération. 

CONCLUSION 

La diversité culturelle figure au cœur du débat sur le développement, sur la gouvernance démocratique des États et la gouvernance mondiale, une condition inséparable de la consolidation et de l’épanouissement démocratique à l’échelle nationale, régionale et globale. La diversité culturelle surmonte la problématique de l’audiovisuel et pose la culture comme un enjeu mondial.

Les relations entre le commerce et la culture peuvent être tendues, ces deux domaines exigeant des politiques qui leur sont propres. Une réelle ambivalence existe entre ces deux domaines.

D’un côté, le commerce et la culture poursuivent tout deux une finalité d’échange et de libre marché, l’un pour des raisons principalement économiques et l’autre aux fins de développement de la diversité culturelle.

De l’autre côté, la culture se doit de trouver un juste milieu entre l’ouverture à la diversité et, la protection et la promotion des cultures locales et nationales contre l’envahisseur étranger. Les textes de l’Accord OMC eux mêmes ne réservent que peu de place aux aspects culturels.

Il nous semble donc raisonnable de plaider pour une plus grande flexibilité dans le traitement des affaires relatives aux échanges de biens et services culturels et davantage prendre en considération les convictions que chacune des parties juge légitimes. Afin de faire du développement économique et culturel du XXIe siècle un juste partage entre tous les participants, il s’agira donc de trouver un espace d’entente et de prendre en compte dans la balance des intérêts un secteur terriblement fragilisé ces dernières années mais qui assure la sauvegarde de plusieurs siècles de traditions, opinions, valeurs et croyances. Les futures négociations s’annoncent complexes et longues. 

* Texte de la communication de Jean Baptiste HARELIMANA à l’occasion du Ier Colloque du réseau de l’Université d’été des droits de l’Homme, organisé par le Collège Universitaire Henry Dunant les 17 et 18 mars 2008 à Genève.

Aucun commentaire :

Enregistrer un commentaire