L'idée de cette nouvelle union entre les pays des deux rives de la Méditerranée était apparue deux ans auparavant, lancée par Jean-Louis Guigou, ex-directeur de la DATAR (Délégation à l'aménagement du territoire et à l'action régionale), et Panagiotis Roumenotis, ex-ministre des Finances grec et président du CALAME (Centre d'analyse et de liaison des acteurs de la Méditerranée). Constatant l'échec lamentable d'Euromed, plus connu sous le nom de Processus de Barcelone, initié en 1995 pour aider au développement des pays méditerranéens, les deux hommes pensent qu'il faut créer une « communauté du monde méditerranéen » plus ou moins calquée sur celle de l'Europe.
Certains néoconservateurs américains reprennent l'idée lorsqu’Israël déclenche, en août 2006, sa guerre contre le Liban. Pour eux, faire coopérer l'Etat juif et les pays arabo-musulmans méditerranéens dans une même communauté économique permettra de redéfinir les relations entre Israël et un certain nombre de pays Arabes. Cette vision s’inspire en cela du plan du Grand Moyen-Orient lancé par l'administration Bush, dont l'idée principale était d'apporter « la paix et la démocratie » en recomposant tous les pays du Moyen-Orient au sein d'une même unité politique.
Reproduire l'expérience de la construction européenne à l'échelle des pays de la Méditerranée est, selon Nicolas Sarkozy, le meilleur moyen de sortir du « cycle infernal de la vengeance et de la haine » perdurant dans cette région.
Mollement appuyé par la Grèce, l'Espagne et l'Italie, le projet d'Union méditerranéenne s'élance dès lors laborieusement sur les rails, avant de stopper devant la chancelière allemande Angela Merkel. Cette dernière exprime clairement son mécontentement, estimant que ce projet de l’Élysée, monté sans aucune concertation, fait concurrence à l'Europe en marginalisant ses institutions et risque même d'en entraver la construction.
À cela s’ajoute la déclaration, survenue le 10 juin à Tripoli, du président libyen, Muammar Kadhafi, qui rejette en bloc le projet d’Union pour la Méditerranée. En effet, le Guide libyen considère que la coopération s’adresse uniquement aux pays riverains de la Méditerranée : « Ce projet porterait atteinte à l’unité africaine et arabe ». Pour Kadhafi, les négociations devront passer par l’Union Africaine (ou par la Ligue arabe dans sa globalité). Et pour corroborer cette idée, il a fait un parallèle avec le souci de l’Union Européenne de rester unie, alors que le projet initial de Nicolas Sarkozy prévoyait que seuls les pays membres de l’UE riverains de la Méditerranée prendraient part à l’UPM. Le président libyen a probablement épousé la position de toute l’Afrique noire soucieuse de donner à l’Union Africaine un nouvel essor dans la coopération avec les autres entités régionales.
Notons que depuis le 28 avril 2008, la présidence de la Commission de l’Union Africaine est revenue à Jean Ping, homme de confiance du président gabonais Omar Bongo Odimba. Il va sans dire que le nouveau responsable de la Commission aura du pain sur la planche. Toutefois, vu qu'il bénéficie de l'appui incontestable du doyen des chefs d'Etat africain, il est à parier que les autres chefs d'Etat ne lui créeront pas trop d'obstacles et lui apporteront également leur soutien dans la construction de l'Union Africaine avec tous ses corollaires.
Cette nouvelle donne africaine n’est pas de bons augures pour le projet de Nicolas Sarkozy. L’Union Africaine et ces Etats membres situés au Sud du Sahara ne voient pas bien comment définir une nouvelle relation avec une entité régionale – UPM – dont la première vocation est de redéfinir les relations entre Israël et le monde arabe avec comme médiateur les Européens. Il ne s’agit plus de parler des problématiques de développement, importantes aux yeux des pays africains subsahariens, mais bien de réorganiser le Moyen-Orient. L’Afrique subsaharienne y gagne-t-elle vraiment ?