Depuis le début des années 1990, la quasi-totalité des pays africains sont contraints d’organiser des élections multipartistes pour légitimer leurs régimes. Le bilan de ces processus électoraux reste mitigé, car ces élections ne débouchent pas nécessairement sur la démocratisation de nos pays ni sur l’alternance. Pire encore, ces élections sont bien souvent source de conflits politiques et de répressions sanglantes. L’exemple zimbabwéen[1] vient une nouvelle fois apporter la preuve que les élections représentent des périodes de tensions sociales et politiques qui peuvent conduire à des conflits internes ou même régionaux.
Dans ce contexte, le recours à une médiation internationale[2] post-électorale, qui tend à se généraliser sur le continent, et qui vise à amener les acteurs politiques concurrents à la suite de ces élections à former un gouvernement d’union nationale (cohabitation à l’africaine), ne règle en rien la crise politique, laissant subsister les germes de conflictualité qui se réveilleront lors des élections suivantes, quatre ou cinq ans après, sans oublier qu’il est difficile aux partis de l’opposition qui cohabitent à l’africaine de renaître de leurs cendres. Et c’est à juste titre que le principal parti d’opposition parlementaire au Togo (Union des Forces de Changement) qui vient de désigner son candidat (Gilchrist Olympio) à l’élection présidentielle de 2010[3], réclame à grands cris des discussions directes avec le parti au pouvoir sur des reformes consensuelles en prélude à ces présidentielles de 2010 en sollicitant (sans succès) le médiateur burkinabé (le président Blaise Compaoré)[4]. Pourtant, plusieurs observateurs de la scène politique du Togo s’accordent à dire que, sans ces reformes, les prochaines échéances présidentielles risquent d’être particulièrement conflictuelles compte tenue de la tradition d’élections violentes et contestées dans ce pays.
La médiation électorale est le recours à une tierce personne pour régler les conflits relatifs au processus électoral. Il s’agira pour le médiateur de servir d’intermédiaire entre les partis politiques d’opposition et le gouvernement afin d’apaiser les tensions pré et post-électorales et formuler des propositions relatives au bon déroulement des élections. Comme l’admet Robert Pastor[5], son implication peut conduire à la réussite d’une élection en aidant le gouvernement et l’opposition à s’accorder sur des points divergents en vue de l’organisation d’élections libres et transparentes et de garantir la sécurité des populations.
Il importe donc de repenser la pratique de la médiation électorale dont les fondements politiques et juridiques sont indéniables, afin de pallier l’échec de l’observation internationale des élections qui s’est révélée inadéquate pour prévenir ou gérer ces crises électorales[6], et surtout, pour éviter que les résultats électoraux soient falsifiés avec pour corollaire des contestations et des répressions sanglantes.
Fondements de la médiation électorale internationale
Ses fondements politiques résident dans le caractère conflictuel des élections qui sont, par principe, source de conflits dans la mesure où elles opposent plusieurs partis politiques dans un contexte de défaillance de l’Etat, dans sa mission de médiateur pour toutes les ethnies qui le composent ainsi que pour les partis politiques qui « concourent à la formation et à l’expression de la volonté politique du peuple »[7].
En effet, tout comme dans les conflits armés internes en Afrique[8], l’Etat est au cœur des conflits électoraux. L’enjeu de la compétition électorale est le contrôle de l’État, et surtout de ses ressources, car il est à la fois la plus grande entreprise et le plus grand pourvoyeur d’emplois et de revenus. Même les entreprises privées vivent des marchés offerts, autorisés ou facilités par les instances étatiques sans oublier l’accès aux emplois de l’administration publique (fonction publique, administration para-étatique, armée, police, magistrature…).
Ainsi, l’ethnie qui a le pouvoir politique est encline à détenir tous les autres pouvoirs (économique, militaire, judiciaire…). Perdre les élections, c’est perdre l’Etat.
Dans ces conditions, il y a « incapacité de l’État à définir des mécanismes de négociation et de régulation pacifique de l’ordre politique »[9]. D’où la nécessité de recourir à médiation internationale électorale prévue dans des textes internationaux de l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF), de l’Union Africaine, de la CEDEAO…
Le programme d’action annexé à la Déclaration de Bamako du 3 novembre 2000, adopté dans le cadre de l’OIF, affirme que la Francophonie entend « faciliter le dialogue interne, avant, pendant et après les élections ».
Les Directives pour les missions d’observation et de suivi des élections de l’Union Africaine prévoient aussi cette médiation électorale au point 4.3 en ces termes : « La mission d’évaluation doit d’abord décider de la portée ou du mandat de la mission électorale. Les différents types de mandat sont, entre autres, les suivants : (…) iii) la médiation, c’est-à-dire l’intervention d’une tierce partie dans le contentieux électoral afin d’aider les parties en litige à trouver des issues ou solutions mutuellement acceptables à leur contentieux électoral (… ) ».
Dans le cadre de la CEDEAO, l’article 3 du Protocole A/SP1/12/01 sur la démocratie et la bonne gouvernance additionnel au Protocole relatif au mécanisme de prévention, de gestion, de règlement des conflits, de maintien de la paix et de la sécurité prévoit que « les organes chargés des élections doivent être indépendants et/ou neutres et avoir la confiance des acteurs et protagonistes de la vie politique. En cas de nécessité, une concertation nationale appropriée doit déterminer la nature et la forme desdits organes ». Le management de l’administration électorale étant très problématique dans les processus électoraux en Afrique, cet article justifie le recours à la médiation internationale ou nationale pour la mise en place d’une telle administration impartiale. En effet, les commissions électorales lorsqu’elles sont consensuelles, constituent une avancée notable vers des élections crédibles. A l’inverse, lorsqu’elles sont aux ordres du parti au pouvoir, elles font le lit des contestations électorales. La majorité de ces commissions électorales en Afrique se sont révélées défaillantes.
Médiation électorale locale
Il s’agira de renforcer les capacités de médiation des acteurs locaux, qui dans le cadre de leur mission d’observation électorale locale, peuvent être à même de prévenir et régler ces conflits électoraux.
La présence en permanence des observateurs locaux sur le terrain devrait permettre de couvrir toute la durée du processus électoral (de l’inscription sur les listes électorales à la proclamation des résultats) à moindre frais. Ces derniers sont à même de mieux maîtriser les législations électorales nationales, les enjeux du scrutin et la mentalité de la société et de mieux connaître les acteurs politiques locaux. Ils peuvent pallier les difficultés des moyens de communications rencontrées par les observateurs internationaux (compréhension des langues locales lors des meetings politiques…). De plus, ils sont mieux outillés pour être plus vigilants par rapport à la corruption des électeurs, aux pressions dont ces derniers peuvent faire l’objet de la part des autorités locales (chefs de village, préfets, maires…).
Face à la défaillance de l’observation internationale pour juguler la corruption électorale, la médiation électorale locale semble ainsi être la solution idoine.
La corruption électorale est définie comme l’achat de conscience, par des moyens financiers, des électeurs afin de détourner leur vote en faveur du bailleur de fonds ou du candidat de celui-ci, si ce n’est pas le candidat lui-même qui est le bailleur. En raison de l’attachement des Africains à leurs traditions, au respect des coutumes et des personnes qui les représentent, notamment les notables, les chefs traditionnels et les personnes âgées, cette corruption se fait indirectement en misant sur ces « grands électeurs » qui, par pression, peuvent influencer les votes des populations : l’analphabétisme et l’ignorance font d’elles un « bétail électoral » dont la conscience est achetée à vil prix. Il convient de promouvoir le rôle de médiateur de ces derniers pour qu’ils soient au-dessus des partis et des pressions politiques.
Nomination d’un envoyé spécial pour la médiation électorale internationale en Afrique.
Mais pour mieux prévenir des crises électorales en Afrique, il importe que le Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies nomme un représentant spécial pour les processus électoraux en Afrique en raison de l’incapacité de l’Union Africaine (UA) à gérer le dossier des élections (malgré un cadre institutionnel approprié [10]) et surtout pour éviter des dissonances au niveau de l’UA dans de pareilles crises. Ainsi, en 2005, alors que le Président de la Commission de l’UA a nommé Kenneth Kaunda comme envoyé spécial au Togo pour tenter une médiation entre les acteurs politiques togolais dans la crise post-électorale, le président en exercice de l’UA, l’ancien président nigérian, Olusegun Obasanjo, a déclaré cette nomination comme « nulle et non avenue »[11]. Dans la crise zimbabwéenne, malgré la partialité de la médiation sud-africaine dénoncée par l’opposition, l’Union africaine divisée sur l’appréciation des élections dans ce pays, a maintenue cette médiation avec pour mandant d’amener les partis zimbabwéens à se partager le pouvoir[12].
Par une déclaration faite lors d’une réunion du Conseil de sécurité consacrée à la prévention des conflits en Afrique le 28 août 2007[13], le Secrétaire général des Nations Unies, Ban Ki-moon, a proposé de renforcer les capacités de son institution dans le domaine de la médiation.
A cet effet, une équipe permanente d’experts en médiation a été mise en place au niveau du Département des affaires politiques des Nations Unies le 5 mars 2008, et composée de Joyce Neu, des États-Unis, (Chef d'Équipe), de Jeffrey Mapendere, du Zimbabwe, en charge des arrangements de sécurité - des cessez-le-feu à la démobilisation, au désarmement et à la réintégration des combattants -, de Patrick Gavigan, de l'Irlande, pour la justice transitionnelle et les droits de l’Homme, de John McGarry, du Canada, chargé du partage du pouvoir, et de Andrew Ladley, de la Nouvelle-Zélande, expert en élaboration de Constitution[14]. S’y ajoute un spécialiste de médiation électorale que l’ONU devrait nommer comme envoyé spécial pour intervenir dans les crises électorales en Afrique.
Une telle personnalité ayant pour fonction de prévenir et régler ces crises devrait être associée à l’organisation des élections en Afrique où les germes de conflictualité électorale (bâillonnement de l’opposition, fraudes électorales massives, administrations électorales partisanes, missions d’observation internationale des élections défaillantes, tripatouillage des résultats électoraux et des Constitutions pour perdurer au pouvoir ou pour une dévolution successorale politique de père en fils…) sont criantes dans bon nombre de pays. Elle pourrait, d’une part, mener des médiations électorales entre les partis politiques d’opposition et le gouvernement afin d’apaiser les tensions pré et post-électorales et formuler des propositions relatives au bon déroulement des élections comme l’impartialité des institutions (commission électorale, cour constitutionnelle…).
Au lieu d’attendre l’éclatement de crises post-électorales comme au Kenya, voire des pré-génocides, pour envoyer des médiateurs internationaux en vue d’amener les protagonistes à partager le pouvoir temporairement en formant un soi-disant gouvernement d’union nationale, sans trouver une solution durable à la crise qui rebondira à la prochaine élection présidentielle, ou de prendre des sanctions supposées renforcer la pression sur nos dictateurs, la nomination d’un tel envoyé spécial visant à promouvoir la transparence des élections en Afrique et à obtenir des conditions de scrutin justes par une médiation efficace, contribuera sans nul doute à dissuader les dirigeants africains de frauder les élections pour accéder ou rester au pouvoir aux dépens de la majorité des populations maintenues dans la pauvreté.
Mode de citation : Komi TSAKADI, « Quel avenir pour la médiation électorale en Afrique ? », MULTIPOL - Réseau d'analyse et d'information sur l'actualité internationale, 3 août 2008.
Les opinions exprimées dans cet article n'engagent que son auteur.
[1] L’opposition arrivée en tête au
premier tour des élections présidentielles du 29 mars 2008 en réunissant 47,9%
des suffrages exprimés contre 43,2% contre le président Mugabé, a été
contrainte de renoncer à aller au deuxième tour en raison des répressions et
des violences à l’encontre de ses partisans.
[2] Sur la pratique de la médiation internationale
dans les conflits internes armés en Afrique, voir Komi TSAKADI, La médiation
internationale dans les conflits internes des pays en Afrique subsaharienne, mémoire de DEA, Institut catholique de Paris,
2003.
[3] Rapport général du 2ème
Congrès ordinaire de l’UFC, Liberté, n°382, 21 juillet 2008, pp. 2, 4 et 7.
[4] Ce médiateur était intervenu pour
aider le parti au pouvoir et l’opposition à négocier aux lendemains des
élections contestées et violentes (500 morts) en 2005 qui avaient porté au
pouvoir le fils du président Eyadema, décédé après 38 ans de règne sur le
Togo.
[5]
Robert A. PASTOR, « Mediating elections », Journal of democracy,
January 1998, vol. 9, n°1, pp. 154-163.
[6] Komi TSAKADI, « Faut-il
supprimer les missions d’observation électorales de l’UE en Afrique ? », Liberté, n°276, 05 novembre 2007, p. 4.
Sur les limites de l’observation internationale des élections, voir aussi, du
même auteur, L’observation internationale des élections en Afrique
subsaharienne (1990-2005), Mémoire de certificat, Université Paris II, 2005.
[7] Article 6 de la Constitution de
la IVe République togolaise.
[8] T. VIRCOULON, « Au cœur des
conflits, l’Etat », Afrique Contemporaine, n°180, octobre-décembre 1996, pp. 199-206.
[9] H. BEN HAMMOUDA, « Guerriers et marchands : éléments pour une économie
politique des conflits en Afrique »,
Africa Development, vol. XXIV (3 & 4), 1999, pp. 1-18.
[10] Komi TSAKADI, « Pour une
médiation électorale en Afrique », Jeune Afrique Economie, n°366, septembre 2005, pp.
95-96.
[11] Cherif OUAZANI, « Mésentente
cordiale », JA/L’Intelligent n°2318, 12-18 juin 2005, p. 31.
[12] Cherif OUAZANI, « Mugabe
Show à Charm El-Cheikh », Jeune Afrique n°2478, 6-12 juillet 2008, p. 48.
[13] Conseil de sécurité,
CS/9105, http://www.un.org/News/fr-press/docs/2007/CS9105.doc.htm
(consulté le 26 mai 2008).
[14] Centre d’actualités de
l’ONU : http://www.un.org/apps/newsFr/storyF.asp?NewsID=16033&Cr=&Cr1=
(consulté le 26 mai 2008).
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