11 septembre 2008

ANALYSE : Les « réfugiés écologiques » : nouveau défi du droit international

Brian MENELET

Un phénomène déjà ancien
Déjà dans les années 1980 et 1990, les éleveurs peuls du Mali et du Burkina Faso se sont réfugiés au Ghana du fait de la sécheresse, de même que les agriculteurs du Mozambique ont fuit vers la Zambie. Rappelons au passage que le lac Tchad, réservoir d’eau irremplaçable coincé entre le Niger, le Nigeria, le Tchad et la République Centrafricaine, est passé de 25 000 m2 à 5 000 m2 en moins de 40 ans (1).
En 1985 déjà, El Hinnawi utilisait le terme de « réfugié environnemental » pour désigner les populations déplacées suite aux sécheresses sub-sahariennes et aux dégradations de territoire. Il était suivi par le Programme des Nations Unies pour l’Environnement (PNUE) qui, la même année, définissait ainsi les personnes déplacées ou réfugiées pour des causes liées à l’environnement : « ceux qui sont forcés de quitter leur milieu de vue temporairement ou de façon permanente à cause d’une rupture environnementale (d’origine naturelle ou humaine) qui a mis en péril leur existence ou sérieusement affecté leurs conditions de vie » (2), la « rupture environnementale s’entendant alors comme « les changements physiques, chimiques et/ou biologiques dans l’écosystème qui le rend temporairement ou en permanence inapte pour une habitation humaine ». C’est en 2002 que le collectif ARGOS utilisait, parmi les premiers, le terme même de « réfugiés climatiques ». 

I. L’ampleur du problème
Les exemples de Kiribati et de Tuvalu sont sans doute les plus criants pour illustrer cette situation qui commence à être soulevée avec une urgence accrue depuis quelques années devant les instances de l’ONU et plus particulièrement devant le HCR.
Face à la montée des eaux, ces deux Etats insulaires sont en effet menacés de disparition pure et simple ! Ainsi, la délégation I-Kiribati a-t-elle affirmé le 2 octobre 2007 devant l’Assemblée des Nations Unies : « Notre survie en tant que nation et en tant que peuple, avec une culture et un mode de vie qui nous sont propres, est gravement menacé par le réchauffement climatique et la montée du niveau de la mer » (3).
Devenant le 189ème Etat membre des Nations Unies le 5 septembre 2000, l’archipel des Tuvalu, peuplé de seulement 11 000 personnes et dont le niveau moyen se situe à environ 4 mètres au dessus de la mer, risque de disparaître avant 2030 !
La question des réfugiés climatiques ne se restreint malheureusement pas aux quelques centaines de milliers d’habitants de la Micronésie ou de quelques archipels perdus ça et là, sans quoi les solutions plus ou moins adaptées d’accueil de ces populations - comme c’est le cas pour les Tuvalu en Nouvelle-Zélande (des négociations bi-latérales sont en cours pour les intégrer totalement à la population en leur permettant de travailler en Nouvelle-Zélande et pour maintenir leur identité culturelle) - pourraient s’avérer des solutions presque satisfaisantes (nous précisons « presque » au sens où il est tout de même remarquable que ce soit l’un des pays les plus en avance dans la lutte contre le réchauffement climatique qui accueil les victimes de ce phénomène…).
En effet, le problème est beaucoup plus vaste : rien que pour 2008, Hélène Flautre estimait que 25 millions de personnes seraient déplacées (parfois hors des frontières de leur pays) pour des raisons climatiques (4). Le phénomène ne concerne pas seulement les populations insulaires menacées par la montée des eaux, mais touche aussi les populations affectées par la désertification et est plus assurément lié à l’activité humaine : disparition de la mer d’Aral par les barrages d’irrigation sur les fleuves Amou Daria et Syr Daria, destinés à l’exploitation intensive de champs de coton, avancée du désert de Gobi et déplacement probable de 10 millions de personnes en Chine suite à la réalisation du projet 3 gorges.
Le phénomène concerne aussi le grand problème des inondations spectaculaires au Bengladesh et dans le delta du Nil… En 2005, la moitié de l’île de Bhola au Bengladesh a été engloutie par les eaux, faisant quelques 500 000 sans-abris ; sans compter les inondations à répétition à la Nouvelle-Orléans (5).
Ce phénomène est tel que les experts du GIEC ont estimé que d’ici la fin du siècle, 150 millions de personnes seraient touchées par le phénomène et seront déplacées du seul fait de la montée des eaux ! (6) 

II. L’absence de statut des « réfugiés climatiques/écologiques »
Les « réfugiés climatiques » n’ont à ce jour aucun statut en droit international. Ils ne sont d’ailleurs pas toujours des « réfugiés » au sens de la Convention de la Convention de Genève du 23 juillet 1951 relative aux réfugiés (art. 1, sections 1 et 2), puisqu’ils ne traversent pas nécessairement de frontière. Sauf pour les insulaires, qui remplissent presque nécessairement cette condition, il s’agit plus généralement de « personnes déplacées » qui n’ont aucun statut réel et ne peuvent être pris en charge par le HCR. Par ailleurs, même les insulaires chassés de leur île ne correspondent pas à la définition de l’art. 1 section 2 de la Convention de Genève de 1951 puisqu’ils ne sont pas « persécutés ». C’est sans doute l’absence de prise en compte de la situation des « réfugiés écologiques » qui a poussé les spécialistes de droit de l’environnement et de droit international à rédiger « L’appel de Limoges » sur les réfugiés écologiques le 23 juin 2005 (http://www.cidce.org) (7).
Il faut dire que la grande variété des situations a tendance à compliquer le travail des juristes : les raisons de cet exil peuvent à la fois s’avérer directement humaines (les exemples de la mer d’Aral, de la vallée des Trois Gorges et du lac Tchad l’illustrent bien, mais on pourrait y ajouter les catastrophes chimiques), mais aussi plus ou moins indirectement humaines comme le réchauffement climatique et sa conséquence immédiate, la montée des eaux.
Par ailleurs, les destinations de ces « réfugiés écologiques » sont elles aussi variables et bousculent la traditionnelle distinction entre le réfugié et le déplacé selon que la personne ait ou non traversé une frontière.
Enfin, reste la différence entre les situations temporaires et les situations définitives, même si l’on sait, notamment au regard des camps de réfugiés en Birmanie et au Tchad, vieux de plusieurs décennies, que le temporaire en la matière a une forte propension à devenir durable…
Le problème essentiel se trouve dans la non prise en compte de la question du simple déplacement au profit de la traversée d’une frontière et à l’absence de persécution à proprement parler. A ce sujet, Christel Cournil relève assez justement que dans quelques cas, l’auteur prend l’exemple d’une pollution de grande ampleur due à l’action d’une grande compagnie industrielle, l’exigence de la persécution, au sens d’« un traitement injuste et cruel infligé avec acharnement » pourrait être remplie (8) (et encore, en tirant le diable par la queue, car il faudrait encore prouver qu’un tel traitement est infligé « avec acharnement », élément intentionnel qui semble écarter l’action de telles compagnies étant essentiellement tournée vers le profit et leur objet social n’étant pas justement « le traitement cruel et acharné de personnes humaines »…). Il n’en reste pas moins que la question du simple déplacement, mais aussi de l’absence de cause écologique de ce déplacement, font obstacle à l’application de la Convention de Genève. 

En guise de conclusion
Des solutions ponctuelles et surtout de niveau micro ont déjà été mises en place hors cadre de l’ONU. Depuis 2001, le gouvernement de la Nouvelle-Zélande a décidé d’accueillir, sous réserve d’un statut en cours de négociation, leurs voisins des Tuvalu en leur permettant de s’intégrer économiquement au pays et sans mettre à la trappe les spécificités culturelles des nationaux des Tuvalu. De même en 2005, le gouvernement de Papouasie-Nouvelle-Guinée accueille 10 familles de l’atoll des Carteret, chassées de chez elles par la montée des eaux.
De façon plus importante, quantitativement parlant, le HCR fait ce qu’il peut pour passer outre les exigences de la Convention de Genève en tordant dans tous les sens le statut de réfugié en tentant, lorsque cela s’avère nécessaire, de considérer certaines populations réfugiées climatiques comme correspondant aux critères de l’art. 1 section 2 de ladite convention (9). Dans des mesures ponctuelles mais de grande ampleur en effet, le HCR a vu son mandat étendu par l’Assemblée générale des Nations Unies pour venir en aide « aux personnes ayant besoin d’une protection internationale » et « aux personnes se trouvant dans une situation analogue à celles des réfugiés » (10), cela incluant des personnes déplacées (11).
Le mandat du HCR s’est vu étendu en ce sens depuis septembre 2005, mais n’est toutefois pas entièrement satisfaisant, la notion de crise écologique n’étant pas même abordée. Comme le note Christel Cournil, il ne s’agit là que de mesures humanitaires casuelles (12) ; elles ne permettent pas la prise en compte globale du problème de ce nouveau type de « réfugiés/déplacés ». Par ailleurs, la prise en compte ponctuelle de ces personnes en situation de détresse humanitaire et écologique, du fait de l’absence de statut, ne leur apporte aucune garantie en matière de respect des droits de l’homme, les conditions de l’accueil de ces personnes restant au bon vouloir des Etats receveur.
Il semble toutefois que ces micro-solutions et ces solutions d’attente ne soient pas satisfaisantes. Il reste donc aux instances internationales à « inventer » les solutions de demain pour ce problème épineux et au droit international à relever les défis que lui impose cette situation autant criante que massive.


(1) Cf. Bernard PERRIN, en ligne le 12 septembre 2005.
(2) Cité par Christel COURNIL, « Les réfugiés écologiques : quelle(s) protection(s), quel(s) statuts ? », in RDP, 2006, n°4, pp. 1035-1066, p. 1038.
(3) Natanaera KIRATA, Discours devant l’Assemblée générale des Nations Unies, 2 octobre 2007.
(4) Eurodéputé vert, interview dans le Nord Eclair du 13 avril 2007. Cette estimation provient probablement du Rapport annuel de la Croix Rouge 2001 sur les catastrophes écologiques. Il est à noter que le nombre de « réfugiés » pour cause écologique ou climatique représente environ 58% des réfugiés dans le monde.
(5) En septembre 2005, le cyclone Katrina faisait 1.400.000 déplacés aux Etats-Unis.
(6) Par ailleurs, on ne peut guère accuser le GIEC de grossir ses chiffres pour bousculer les politiques puisque le rapport B. Stern de 2006 évaluait, quant à lui, à 200 millions le nombre de réfugiés climatiques d’ici 2050… Résumé du Rapport Stern en version longue. L’ONU, quant à lui, estime que le nombre de réfugiés climatiques pourrait atteindre les 150 millions d’ici 2050.
(7) Cf. Christel COURNIL, « Les réfugiés écologiques : quelle(s) protection(s), quel(s) statuts ? », op. cit., p. 1039.
(8) Ibid., p. 1042.
(9) Cf. Tristan MENDES-FRANCE et Alban FISCHER, interviewés par Séverine SMET pour le Nouvel Observateur du 7 décembre 2007.
(10) Tel fut le cas, par exemple, en 1985 du fait de la famine orchestrée par le gouvernement éthiopien. Il ne s’agissait toutefois pas d’une catastrophe naturelle à proprement parler, ni même d’une catastrophe écologique. L’incidence sur le fait que l’origine de ce grave problème ait été politique fut, à notre sens, prépondérante dans cette extension ponctuelle du mandat du HCR.
(11) Cf. D. BOUTEILLET-PAQUET, « La protection subsidiaire : progrès ou recul du droit d’asile en Europe ? Une analyse critique de la législation des Etats membres de l’Union européenne », in D. BOUTEILLET-PAQUET (dir.), La protection subsidiaire des réfugiés dans l’Union européenne : un complément à la Convention de Genève ?, Bruylant, Bruxelles, 2002, pp. 181 et s.
(12) Cf. Christel COURNIL, « Les réfugiés écologiques : quelle(s) protection(s), quel(s) statuts ? », op. cit., 1046.

Petite bibliographie complémentaire pour aller plus loin
1. Christel COURNIL, « Les réfugiés écologiques : quelle(s) protection(s), quel(s) statuts ? », RDP, 2006, n°4, pp. 1035-1066.
2. Natanaera KIRATA, Discours devant l’Assemblée générale des Nations Unies, 2 octobre 2007.
3. Résumé du Rapport Stern en version longue (N. Stern, Banque mondiale).
4. « L’appel de Limoges » sur les réfugiés écologiques du 23 juin 2005.
5. D. BOUTEILLET-PAQUET, « La protection subsidiaire : progrès ou recul du droit d’asile en Europe ? Une analyse critique de la législation des Etats membres de l’Union européenne », in D. BOUTEILLET-PAQUET (dir.), La protection subsidiaire des réfugiés dans l’Union européenne : un complément à la Convention de Genève ?, Bruylant, Bruxelles, 2002.
6. M. JULIENNE, « 25 millions de réfugiés écologiques », Québec Science, juin 2002.
7. N. MYERS, « Environment refugees in globally warmed world », Bioscience, vol. 43 n°11, décembre 1993.
8. Convention de Genève relative au statut des réfugiés du 28 juillet 1951.
9. P. GONIN et V. LASSAILLY-JACOB, « Les réfugiés de l’environnement, une nouvelle catégorie de migrants forcés ? », REMI, 2002-II, n°18.
10. A. RICHMOND, « The environment and refugee : theoritical and policy issues », Bulletin démographique des Nations Unies, 1995, n°39, pp. 1-17.

Commentaires

1. Le mardi 12 mai 2009, 23:57 par Brian MENELET
Pour compléter les exemples de réfugiés climatiques potentiels à plus grande échelle, notons le cas chilien:
Le 29 janvier 2009, l'AFP Santiago (Chile) publiait cet article:
L'été austral ravive un grave problème de santé publique au Chili, exposé à un trou dans la couche d'ozone qui provoque une vague de cas de cancers de la peau, en augmentation de plus de 100% en dix ans.
Entre 1998 et 2008, environ 200 Chiliens sont décédés en moyenne par an d'un cancer de la peau, soit deux fois plus que lors de la décennie précédente, selon les chiffres dévoilés par la Société nationale du cancer (Conac).
Ce phénomène est directement lié à l'agrandissement du trou qui se forme durant plusieurs mois dès le printemps dans la couche d'ozone, au dessus de la zone antarctique.
Cette année, le trou est apparu plus tôt, amenuisant le pouvoir filtrant de la couche d'ozone qui protège contre les radiations solaires, selon la Direction météorologique chilienne.
«Il suffit de marcher seulement dix minutes à l'air libre pour sentir les effets du soleil : un heure plus tard, la peau rouge est le premier signe du danger qui consiste à s'exposer sans protection», indique à l'AFP la dermatologue Cecilia Orlandi, conseillère à la Conac.
Indiquons aussi que, dans une mesure moindre, la Polynésie française est confronté au même problème dû aux même causes (trou dans la couche d'ozone) : une heure d'exposition sans protection solaire amène des rougeures cuisantes pour plusieurs jours. Triplez l'exposition sans protection et vous risquez des brûlures au dexuième degré...

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