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Généralisation des accords de partage de pouvoir à la suite d’élections conflictuelles

Après le Togo, à la suite des élections sanglantes d’avril 2005, le Kenya en début d’année, c’est au Zimbabwe que vient d’avoir lieu un accord de partage de pouvoir.
Cette généralisation du système de gouvernement d'union nationale - ajoutée à la dérive monarchique des régimes politiques se manifestant par la suppression de la limitation des mandats présidentiels dans les Constitutions (adoptée au Togo, au Congo Démocratique, envisagée au Sénégal, au Gabon, en Egypte, au Cameroun, en Libye, en Guinée Equatoriale…) (1) et une présidence devenue une affaire de famille -, conduira, si l'on ne prend garde, au retour à un système à parti unique hybride.
D’autant que, grande est la difficulté pour ces partis de l’opposition qui cohabitent « à l’africaine » de renaître de leurs cendres. Ainsi au Togo, au lendemain de la signature de l’Accord Politique Global du 20 août 2006, les deux partis d’opposition qui avaient participé au soi-disant gouvernement d’union nationale ont laissé leur plume. Le Comité d’Action pour le Renouveau (CAR) s’est retrouvé avec 4 députés et la Convention Démocratiques des Peuples Africains (CDPA), avec zéro député à la suite des élections législatives de 2007.
Ce qui a fait dire à Noël Glissou que « les dirigeants de ces formations politiques ou organisations se retrouvent fragilisés à deux niveaux. Premièrement, ils sont en manque d’arguments par rapport aux dérives du pouvoir et sont condamnés à cet effet, malgré eux, à servir de béquilles à un régime chancelant (…). Deuxièmement (ils) deviennent à tort ou à raison, aux yeux des populations, des traitres ou des “lâches” pour avoir choisi, au cours du combat démocratique, de collaborer avec ceux que d’aucuns désignent au mépris des principes démocratiques comme “ennemis du peuples” » (2).
On ne saurait passer sous silence le cas de l’UNITA en Angola, qui vient d’être laminée lors des législatives du 5 septembre dernier après avoir participé plusieurs années durant à un gouvernement d’union nationale avec le MPLA.
Il est primordial que les opposants en Afrique assument leur statut pour faire de l’opposition, une institution stable. Ce faisant, son rôle dans nos multipartismes se trouvera renforcé pour une démocratie faite de tolérance, d’acceptation de l’autre et de débat, sur fond d’un pacte républicain garantissant effectivement l’alternance démocratique au pouvoir.

Statut de l’opposition : état des lieux
Les Constitutions post-parti unique en Afrique, en se contentant de recopier les constitutionnalistes français de 1958 n’ont pas institutionnalisé l’opposition politique dotée d’un véritable statut juridique, comme on peut l’observer dans les « meilleures » démocraties (en Angleterre, au Japon, au Canada…).
Certes, l’opposition est inscrite dans nos Constitution implicitement (reconnaissance du multipartisme…). Mais il est unanimement admis qu’un tel statut est à même de favoriser la démocratisation de nos pays et de prévenir les conflits. La nomination d’un membre de l’opposition à la tête de la commission des finances comme en France est insuffisante.
Cette institutionnalisation du statut de l’opposition revient, comme l’a souligné El Hadji Mbodj, « à consigner dans un document unique, les droits et sujétions, les moyens et responsabilités devant permettre à l’opposition d’assumer sa fonction d’alerte, de critique et d’alternance à la majorité qui exerce le pouvoir d’Etat » (3).
Elle est encore balbutiante sur le continent. Au Burkina Faso, la loi n°007-2000/AN (JO n°30 2000) portant statut de l’opposition politique a codifié le statut de l’opposition doté d’un chef de file de l’opposition qui « est le premier responsable du parti de l’opposition ayant le plus grand nombre d’élus à l’Assemblée nationale » (article 12).
Au Benin, la loi n°2001-31 portant statut de l’opposition, adoptée le 14 octobre 2002, et comprenant 22 articles prévoit plusieurs chefs de l’opposition, étant entendu que ces derniers choisiront en leur sein un porte-parole. Ainsi, l’article 7 de cette loi stipule qu'« est considéré comme l’un des chefs de l’opposition, tout chef d’un parti politique de l’opposition dont le nombre de députés à l’Assemblée nationale constitue de façon autonome un groupe parlementaire. Est également considéré comme l’un des chefs de l’opposition, tout chef d’un groupe de partis de l’opposition constitué en groupe parlementaire à l’Assemblée nationale. Est également considéré comme l’un des chefs de l’opposition, tout chef de parti, alliance de partis ou groupe de partis de l’opposition représentés ou non à l’Assemblée nationale mais ayant totalisé à l’issue des dernières élections législatives, 10% des suffrages exprimés ».
Au Congo Démocratique, la loi n°07/008 du 4 décembre 2007 portant statut de l’opposition prévoit l’élection du porte-parole de l’opposition qui représente l’opposition au niveau national. L’article 19 organise sa désignation : « sans qu’il ne soit nécessairement parlementaire, le porte-parole de l’opposition politique est désigné par consensus, à défaut, par vote au scrutin majoritaire à deux tours, dans le mois qui suit l’investiture du gouvernement, par les députés nationaux et les sénateurs, membres de l’opposition politique, déclarés conformément à l’article 3 de la présente loi. Les députés et les sénateurs de l’opposition politique se réunissent, à cet effet, sous la facilitation conjointe des bureaux de l’Assemblée nationale et du Sénat, à la demande écrite de tout groupe parlementaire ou politique de l’opposition politique, selon le cas ».
En Mauritanie, l’ex-junte militaire avait pris un décret portant statut de l’opposition (ordonnance n° 2007-024) dont l’article 6 stipule que « l’opposition a un chef de file qui porte le titre de « chef de file de l’opposition démocratique ». De plus, « le chef de file de l’opposition démocratique est le président du parti qui a obtenu le plus grand nombre de siège à l’Assemblée nationale aux élections législatives les plus récentes » (article 7).
Par contre, dans d’autres pays comme le Mali, l’institutionnalisation de l’opposition politique s’est faite sans organiser son leadership. La loi n°95-073 portant statut des partis de l’opposition, adoptée le 15 septembre 1995 et contenant 13 articles, se limite à reconnaître à tout parti politique, le droit à l’opposition (article 5).
Institutionnalisation de l’opposition : moyen de prévenir les conflits
La prévention des conflits est devenue une préoccupation majeure de la communauté internationale. Rares sont les organisations internationales qui n’ont pas de politique dans ce domaine avec la mise en place de mécanisme d’alerte précoce.
La littérature est abondante sur la notion de prévention des conflits. On peut retenir la définition d’auteurs comme Carment et Schanabel qui appréhendent cette notion comme « une stratégie à long terme, menée par divers acteurs, et destinée à créer les conditions favorables à un environnement sécuritaire stable et plus prévisible » (4).
Il est donc indéniable que la reconnaissance juridique de l’opposition avec l’instauration d’un chef de file ou d’un porte-parole de l’opposition jouissant des droits, est à même de favoriser l’effectivité démocratique dans nos pays avec la possibilité offerte à ce dernier d’accéder au pouvoir par le jeu d’alternance ou bien de rétrograder et laisser la position à un autre leader en cas de défaite électorale (5).
Dans ces conditions, les élections constituent l’occasion pour le peuple d’arbitrer entre la majorité et l’opposition, en confiant le pouvoir d’État à la majorité et en donnant une prime d’encouragement au second parti dont le leader devient chef de l’opposition.
Et pour renforcer l’effectivité du statut de l’opposition, il faudrait une institution tierce entre la majorité et l’opposition comme un médiateur d’État (dont la fonction doit être défférente du médiateur de la République (6) chargé de la médiation administrative) qui sera chargée de contrôler que des mesures visant à promouvoir les droits de l’opposition sont bien appliquées et de faire la médiation politique interne entre l’opposition et la majorité en cas de besoin, surtout lors des élections qui sont source de conflits et de répressions sanglantes sur le continent.
L’institutionnalisation du statut de l’opposition est le meilleur facteur de prévention des conflits en Afrique.

(1) Vincent HUGEUX, « Afrique Tu régneras, mon fils », Express, http://www.lexpress.fr/outils/imprimer.asp?id=521186 (consulté le 02/07/2008).
(2) Noël GLISSOU, « En débauchant des responsables de l’opposition. Le RPT recompose le paysage politique national ! », Golfe Info, n°448, 19 septembre 2008, p. 7.
(3) El Hadji MBODJ, Statut de l’opposition et financement des partis politiques, Rapport au Président de la République, Dakar, 1999, p 28.
(4) David CARMENT et Albrecht SCHNABEL (eds), Conflicts Prevention : Path to Peace or Grand Illusion ?, Tokyo, United Nations University Press., 2003, p. 11.
(5) En Afrique, rares sont les partis d’opposition qui ont connu une alternance interne. Ainsi des opposants restent à la tête de leurs partis, quinze à vingt ans, alors que le bon sens voudrait, à la suite d’un échec aux élections, qu’ils démissionnent.
(6) Le médiateur de la République assume une médiation dans la vie administrative. Mais en Afrique, tout comme l’administration, il est à la solde du pouvoir.