A l’approche du fameux ultimatum du 6 octobre 2008, tous les scénarios funestes se profilent pour la Mauritanie. Ce pauvre pays, qui importe plus de 70% de ses denrées alimentaires et où plus d’un million de personnes souffrent de malnutrition chronique, serait-il la prochaine victime de sanctions économiques internationales ? Quelles seraient les répercutions d’un éventuel embargo sur l’aide internationale au développement à la Mauritanie, cette arme redoutable, incessamment brandie, après le coup d’État du 6 août, par la plupart des bailleurs de fonds, comme une épée de Damoclès, au-dessus des têtes des Mauritaniens ?
Durant plus de 40 ans, la Mauritanie est restée un pays très fortement tributaire de l’aide extérieure, qui représente en moyenne annuelle plus de 20% de son PIB. Cette manne d’assistance financière couvrait constamment 90% environ des programmes d’investissement public de l’État mauritanien. Le présent article propose une revue analytique succincte des informations économiques et financières sur la Mauritanie, disponibles à ce sujet au niveau de la base de données du Comité d’aide au développement (CAD) au siège de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) à Paris. Cette organisation internationale dispose d’un système pourvoyeur des informations les plus anciennes, les plus exhaustives et les plus fiables sur l'aide internationale au développement. Toutefois, les données exploitables les plus récentes sur la Mauritanie concernent l'année 1999. C'est pourquoi les séries statistiques analysées ci-après s'arrêtent à cette année-là
Pays ACP, partenaire Euro-Med et membre de la Ligue des États arabes, entre autres, la Mauritanie avait bénéficié en même temps de plusieurs courants d'aide internationaux, notamment ceux en provenance des pays et organismes multilatéraux arabes, de la France et de l'Union Européenne (UE) particulièrement. Depuis 1986, la Mauritanie fait également partie du groupe des PMA (Pays les moins avancés) qui bénéficient de plus en plus de la part de la communauté internationale d'instruments d'aide concessionnelle spécifiques.
Ainsi, ce pays a connu depuis son indépendance trois cycles principaux d’aide internationale. Entre 1960 et 1999, la Mauritanie a reçu, en flux bruts, une enveloppe de 6,087 milliards de dollars courants d'Aide publique au développement (APD), et 5,454 milliards de dollars en flux nets.
Le premier cycle d'aide internationale à la Mauritanie (1960-1972) a été marqué par l'abattement des transferts d'APD à ce pays, où les investissements privés étaient concentrés dans le secteur des mines notamment, pour le parachèvement et la mise en route de la première société minière multinationale dans le pays, la MIFERMA.
Le second cycle d'aide (1973-1988) a été, par excellence, un "cycle arabe". Caractérisé par l'abondance de l’aide en provenance des pays et agences multilatérales arabes, ce cycle a connu l’octroi, par les Arabes à la Mauritanie, de plus de 42% de l'APD totale.
Quant au troisième cycle, il a été particulièrement un "cycle européen", composé de deux sous-cycles. Le premier, dominé par l'aide française, fût enclenché en 1988 pour s’étaler sur 8 ans. Le second, s’est situé entre 1996 et 1999 et a été marqué par la prédominance de l’aide communautaire en provenance de l’Union Européenne. A partir de 1996, les flux d'aide en provenance de l'Union Européenne vont gonfler considérablement sous l'effet de la compensation financière (environ 57 millions de $ par an sur la période 1996-2000 et près de 75 millions de $ en 2001) octroyée dans le cadre des accords de pêche entre l’UE et la Mauritanie. Cette compensation financière, qui représente une contrepartie de l'accès pour les navires de pêche européens à la ressource halieutique mauritanienne, est comptabilisée par l'OCDE comme partie intégrante de l'APD.
Globalement la ventilation, par donateur, des flux nets globaux d'APD entre 1960 et 1999 au profit de la Mauritanie, indique que :
- Les pays et organismes arabes, pris ensemble, ont apporté à la Mauritanie 1,16 milliard $ d'APD nette, soit 22,2% du total.
- La France lui en a fourni 1 milliard, soit 18,4% de l'aide totale, et l'Union Européenne 941 millions, soit 17,3% des flux nets globaux. La RFA a octroyé, quant à elle, une aide nette de 356 millions $ correspondant à 6,5% du total.
- Le système des Nations Unies arrive en quatrième position avec 405 millions $, soit 7,4% du total des flux nets. L'IDA (Banque mondiale, etc.) lui a apporté 398 millions, soit 7,3% et le FMI, 115 millions, soit 2,1% de l'APD nette globale.
- Le Japon a fourni un montant net total de 325 millions $, ce qui représente 6% du montant net total.
- Le groupe de la BAD a accordé 179 millions $ en net, soit 3,3% du total.
- Les autres donateurs se partagent un montant de 572 millions $, soit 10,5% de l'APD nette globale.
En termes de répartition sectorielle de l'aide, il apparaît qu’un tiers de l'APD était destiné aux infrastructures et services sociaux et 40% pour la production et les infrastructures économiques. Les secteurs privilégiés par les accords de coopération internationale et de partenariat pour le développement durant les deux dernières décennies concernent essentiellement la lutte multiforme contre la pauvreté, l'amélioration des infrastructures des transports comme vecteur d’intégration régionale et d’échanges avec la sous-région et avec l'arrière-pays, l'appui à l'amélioration de la gouvernance et, en particulier, la décentralisation, le développement local, la modernisation de l'État, la justice et l’appui à la société civile.
Sans faire partie du peloton de tête des pays africains qui reçoivent une forte assistance par habitant comme les Seychelles, Sao Tomé et Principe, Cap vert, etc., la Mauritanie reçoit pourtant un volume d'aide par habitant assez important, eu égard à sa faible population estimée à environ 3 millions d'habitants. Ainsi, entre 1973 et 1999, la Mauritanie a reçu en moyenne 106 $ par habitant et par an (sur la période 1960-1999, cette moyenne a été de 86 $), ce qui en fait, au regard de ce critère, l'un des pays les plus assistés de la sous-région.
Le graphique ci-dessus montre que durant plus de 40 ans, le Mauritanien a reçu près de six fois le montant d'aide nette accordé à un Marocain, à peu près deux fois et demi celui octroyé à un Sénégalais, plus de deux fois celui reçu par un Malien et plus de quatre fois l'aide par habitant accordée au continent africain dans son ensemble.
Cependant, la Mauritanie ne reçoit qu'un montant modeste par habitant comparativement au groupe de pays africains très assistés déjà évoqué. Ainsi, elle a reçu en 1998 environ deux fois moins d'aide par habitant que le Cap-Vert, deux fois moins que les Seychelles et 2,5 fois moins que Sao Tomé.
Cette importance capitale de l’APD rend l’économie mauritanienne particulièrement vulnérable et singulièrement sensible aux décisions et orientations qui président à la mobilisation de l’aide internationale, avec tout ce qui en découle sur tous les plans.
Au lendemain du coup d’Etat du 6 août 2008, l’Union européenne, le Gouvernement américain et la Banque mondiale ont suspendu, ou menacé d’annuler, le versement de plus de 500 millions de dollars d’aide non-humanitaire, selon des statistiques compilées par IRIN-Bureau pour la Coordination des Affaires Humanitaires de l’ONU, en guise de condamnation de la reprise de pouvoir par la junte militaire et la séquestration continue du Président de la République, démocratiquement élu, M. Sidi Ould Cheikh Abdallahi.
A priori, ces fonds devaient servir à soutenir des projets de développement rural, des activités sanitaires et éducatives, des opérations de déminage, de maintien de la paix, des opérations anti-terroristes, des entraînements militaires et des opérations de construction routière. Hormis neuf millions de dollars gelés par la Banque mondiale, aucune de ces suspensions ne concerne l’aide humanitaire ou alimentaire.
A son tour, l’Agence française de développement (AFD), premier bailleur bilatéral de la Mauritanie, a suspendu tout nouveau financement hors urgence jusqu’à ce qu’un gouvernement légal soit établi. Comme les projets de l’AFD sont des projets lourds qui s’étalent parfois sur plusieurs années, les répercussions des sanctions ne vont pas forcément se faire sentir aussitôt. Nonobstant, il sera difficile pour la junte militaire, de résister à de rigoureuses sanctions économiques. A l’heure de la grande crise financière internationale, qui menace les grands marchés du monde entier, le gel d’une enveloppe de plus de 100 millions d’euros (142 millions de dollars) sur trois ans, n’est pas une mince affaire.
L’Union européenne a négocié en vue de payer 300 millions d’euros (426 millions de dollars) sur les quatre prochaines années pour obtenir l’autorisation de pêcher dans les eaux mauritaniennes à compter du 31 août 2008. Pourtant, quelques semaines après la date de démarrage prévue, pas un centime n’a été versé dans le cadre de cet accord de pêche. Les responsables de l’UE ont également menacé de geler une partie des 230 millions de dollars d’aide promis à la Mauritanie jusqu’en 2013. Les projets infrastructurels dans lesquels l’UE envisageait d’investir, notamment la rénovation des 200 kilomètres de route entre Rosso et Nouakchott, ont été suspendus.
Si l’embargo sur l’aide au développement pénaliserait immédiatement les opérateurs nationaux (entreprises, prestataires, privés, etc.…) et créerait des difficultés majeures pour les Mauritaniens avec une plus grande vulnérabilité aux crises humanitaires, il lui faudra au moins entre six mois et un an pour gêner substantiellement le fonctionnement régulier de l’État.
Le Réseau des systèmes d’alerte précoce contre la famine (FEWS Net), un organisme à but non-lucratif de surveillance de la sécurité alimentaire, a enregistré de récentes améliorations sur le plan de la sécurité alimentaire dans différentes régions rurales de la Mauritanie où les populations locales cultivent traditionnellement leurs propres vivres en saison hivernale. Néanmoins, cet organisme a bien noté dans son rapport sur la sécurité alimentaire, que la situation en Mauritanie n’était pas stable.
Au-delà des enseignements tirés de l’analyse technique de sa continuelle fluctuation, l’aide internationale pour la Mauritanie a toujours été un enjeu politique majeur. Son instrumentalisation, actuellement en vogue, dans le jeu de la conquête de pouvoir apparaît aujourd’hui comme un théâtre d’ombres qui divertit l’attention de l’opinion publique vis-à-vis de l’ampleur d’une question éminemment stratégique.
Quelle que soit l’issue de l’ultimatum du 6 octobre 2008, la réalité de la crise persistante en Mauritanie augure des défis sérieux auxquels ce pays est confronté. Il ne serait plus exclu que les multiples difficultés conjoncturelles, conjuguées aux risques d’une transformation politico-sociale inachevée, puissent conduire fatalement à l'éclatement des éphémères compromis politiques en Mauritanie. Sans une providentielle refonte de l’État, qui passe nécessairement par la réalisation d’une avancée effective en matière de démocratisation, de politique étrangère, de bonne gouvernance et de décentralisation, l’avenir de la Mauritanie serait plus qu’improbable !
Mode de citation : Mohamed Saleck OULD BRAHIM, « Mauritanie : 6 octobre 2008, l’ultimatum de tous les dangers ! », MULTIPOL - Réseau d'analyse et d'information sur l'actualité internationale, 15 octobre 2008.
Les opinions exprimées dans cet article n'engagent que son auteur.
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