Définitions du coup d’Etat
Pour définir le coup d’Etat, nous retiendrons quelques exemples de définitions.
Pour Paul LEROY, « le coup d’Etat s’analyse en un changement de gouvernement opéré, hors des procédures constitutionnelles en vigueur, par une action entreprise au sein même de l’Etat au niveau de ses dirigeants ou de ses agents. Cette action (…) est soudaine et sollicite généralement la force » (« Le coup d’Etat », in O. DUHAMEL et Y. MENY, Dictionnaire constitutionnel, Paris : P.U.F, 1992, p. 240).
Pour Jean-Pierre PABANEL, « c’est une pratique volontaire et consciente de l’armée ou d’une partie de celle-ci pour s’emparer des institutions étatiques et occuper le pouvoir d’Etat » (Les coups d’Etat militaires en Afrique noire, Paris : L’Harmattan, 1984, p. 5).
Pour Issaka SOUARE, c’est « une saisie illégale au plus haut niveau de l’autorité d’un Etat par un nombre restreint des officiers militaires dans une opération discrète qui ne dépasse pas quelques jours » (Guerres et civiles et coups d’Etat en Afrique de l’Ouest : comprendre les causes et identifier des solutions possibles, Paris : L’Harmattan, 2007, p. 55).
Ces définitions permettent de distinguer le coup d’Etat du conflit armé interne ou de la rébellion.
En effet, contrairement à un conflit armé interne ou à la rébellion, le coup d’Etat ne dure pas longtemps. Il se caractérise par sa soudaineté, sa brièveté. Le caractère discret du coup d’Etat implique un nombre réduit d’acteurs alors que pour le conflit armé interne, on a besoin d’un grand nombre de personnes.

Condamnation du coup d’Etat comme mode d’accession de pouvoir en Afrique
Pendant la période 1960-1990, la seule forme de prise de pouvoir dans les pays africains était le coup d’Etat : 267 coups d’Etat ou tentatives de coups d’Etat ont été dénombrés (1). L’adoption de nouvelles Constitutions instituant le multipartisme par les pays africains dans les années 1990 avait fait croire que la période des coups d’Etat, qui était le seul moyen de prendre le pouvoir auparavant dans un contexte de parti unique, était révolue.
Mais il continue de ponctuer la vie politique des pays africains. En moyenne, on dénombre par an au moins 3 coups d’Etat ou tentatives de coups d’Etat depuis 1990, à tel point qu’en juillet 1999, lors du 35e sommet à Alger (Algérie) de l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA) devenue Union africaine (UA), une déclaration condamnant l’usage du coup d’État comme mode d’accession de pouvoir en Afrique a été adoptée.
Pour autant, il y a lieu de constater que ce texte n’a pas fait baisser cette moyenne. On continue de recenser des coups d’Etat et tentatives de coup d’Etat sans compter ceux imaginaires ou inventés par certains dirigeants pour détourner l’attention de leurs citoyens sur les vrais problèmes et faire des purges et des exécutions sommaires et extrajudiciaires.

Causes des coups d’Etat en Afrique
La déclaration d’Alger ne semble pas avoir mis fin à la pratique des coups d’Etat militaires comme mode de conquête de pouvoir et l’Afrique sera, sans nul doute, en proie dans les mois et les années à venir, à un nombre sans cesse croissant de projets de coups d’État, voire des coups d’État si leurs causes ne sont pas identifiées en vue de les prévenir. Les signes avant-coureurs sont perceptibles dans bon nombre de pays africains.
En effet, selon beaucoup d’auteurs, « l’environnement sociopolitique » prévalant dans les pays concernés est la cause principale des coups d’Etat. Selon ces auteurs, la faible culture politique, voire son inexistence dans certains pays, rend vulnérables ces pays à l’intervention militaire dans les affaires politiques (2).
Tout porte à croire que l’Union Africaine et ses partenaires, tels que l’Union Européenne, les Nations Unies, l’Organisation internationale de la Francophonie, pourtant engagés dans la prévention des conflits, n’ont pas encore pris l’ampleur de ce phénomène, se contentant à l’annonce de chaque coup d’État ou tentative de coup d’État déjoué, de condamner sans s’attaquer aux causes sous-jacentes, notamment l’opposition muselée, le refus d’alternance, les élections truquées, le « tripatouillage » des Constitutions pour supprimer la clause de limitation des mandats à deux quinquennats ou pour léguer le pouvoir à qui on veut, le plus souvent au fils du président comme au Togo…
Ce feuilleton sans fin de coups d’État et de tentatives de coups d’État appelle à une réflexion urgente sur le mécanisme d’accession au pouvoir en Afrique. Pour ce faire, tout comme le bannissement des coups d’État, les fraudes électorales, les missions internationales d’observation électorale dévoyées, les « tripatouillages » des Constitutions doivent être condamnés et sanctionnés.

Quelle solution ?
L’Union Africaine, par la déclaration d’Alger de 1999, condamne toute rupture de l’ordre constitutionnel résultant des coups d’État avec des sanctions automatiques contre les auteurs. Mais aucune mesure n’est prévue contre les dirigeants qui usent de manœuvres frauduleuses et du « tripatouillage » des Constitutions pour se maintenir durablement au pouvoir.
Au risque de voir se proliférer dans les prochaines années, des coups d’État « libérateurs », pour changer de régime et favoriser l’alternance, les signes annonciateurs (bâillonnement de l’opposition, fraudes électorales, « tripatouillage » des Constitutions…) subsistant dans bon nombre de pays, il est impératif pour l’Union Africaine et ses partenaires de repenser la gestion du pouvoir politique dans les pays africains.
Il convient de renforcer les capacités des acteurs politiques à animer une vie politique apaisée et démocratique en Afrique, ce qui implique l’exigence d’élections libres et transparentes pouvant conduire à des alternances démocratiques.
A défaut d’élections libres et transparentes qui pourront permettre de voir se succéder aux affaires des hommes et des femmes plus inspirés et animés par l’exigence de résultats, proposant des idées nouvelles et performantes pour sortir résolument les populations de la misère, nous assisterons à la multiplication des coups d’État et des projets de coups d’État avec le « risque jurisprudentiel Bozizé-Guéi » (3), contre les dirigeants africains dont la mauvaise gouvernance et le refus de l’alternance cristallisent nombre de critiques.
Loin de moi l’idée de défendre ou de justifier les coups d’État ou les projets de coups d’État, même ceux qualifiés de pro-démocratiques car ayant pour objectif de créer les conditions de l’essor de la démocratie. D’ailleurs quelle opposition dans beaucoup de pays sur le continent ne s’en prévaudrait pour souhaiter la même thérapie à son profit ?
Le risque est grand que la résurgence des coups d’Etat persiste car l’Union Africaine pas plus que ses partenaires, malgré leur condamnation de toute prise de pouvoir par ce biais, ne sont pas en mesure de faire pression sur les dirigeants actuels des pays africains pour garantir des élections libres et transparentes aux populations africaines et un droit de l’opposition à une alternance démocratique, meilleurs antidotes contre les coups d’Etat en Afrique.



(1) T.Y. WANG, « Arms Transfers and Coup d’Etat: A study on Sub-Saharian Africa », Journal of Peace Research, 1998, vol. 35, n° 6, p. 669.
(2) I. SOUARE, Guerres et civiles et coups d’Etat en Afrique de l’Ouest : comprendre les causes et identifier des solutions possibles, Paris, L’Harmattan, 2007, p. 132.
(3) Il s’agit des militaires qui prennent le pouvoir et qui, à la suite de la transition, décident de se présenter aux élections, contrairement au président Toumani Touré qui ne s’est pas présenté aux élections après avoir conduit la transition au Mali.




Biographie sommaire
Moustapha BENCHENANE, Les coups d’Etat en Afrique, Paris : Publisud, 1983.
Edouard N. LUTTWAK, Coup d’Etat, mode d’emploi, Paris : Odile Jacob-Opus, 1996.
Jean-Pierre PABANEL, Les coups d’Etat militaires en Afrique noire, Paris : L’Harmattan, 1984.
Issaka SOUARE, Guerre civiles et coups d’Etat en Afrique de l’Ouest, Paris : L’Harmattan, 2007.

Coups d’Etat et tentatives de coup d’Etat en Afrique depuis 1999
1999
9 avril, Niger, coup d’Etat
30 avril, Comores, coup d’Etat
24 décembre, Cote d’Ivoire, coup d’Etat
2001
8 janvier, Cote d’Ivoire, tentative de coup d’Etat
16 janvier, Congo Démocratique, tentative de coup d’Etat
22-23 juillet, Burundi, tentative de coup d’Etat
28 mai, Centrafrique, tentative de coup d’Etat
19 décembre, Comores, tentative de coup d’Etat
2-3 décembre, Guinée-Bissau, tentative de coup d’Etat
2002
19 septembre, Cote d’Ivoire, tentative de coup d’Etat
5 août, Niger, tentative de coup d’Etat
25 octobre, Centrafrique, tentative de coup d’Etat
2003
15 mars, Centrafrique, coup d’Etat
7-8 juin, Mauritanie, tentative de coup d’Etat
9 juin, Liberia, tentative de coup d’Etat
16 juillet, Sao Tomé e Principe, tentative de coup d’Etat
14 septembre, Guinée-Bissau, coup d’Etat
Fin septembre, Burkina Faso, tentative de coup d’Etat
2004
Mars, Guinée-Equatoriale, tentative de coup d’Etat
28 mars, Congo Démocratique, tentative de coup d’Etat
11 juin, Congo Démocratique, tentative de coup d’Etat
9 août, Mauritanie, tentative de coup d’Etat
28 septembre, Mauritanie, tentative de coup d’Etat
2005
5 février, Togo, coup d’Etat
3 août, Mauritanie, coup d’Etat
2006
22 mars, Gambie, tentative de coup d’Etat
13 avril, Tchad, tentative de coup d’Etat
Août, Burundi, tentative de coup d’Etat
2007
19 juillet, Liberia, tentative de coup d’Etat
2008
6 août, Mauritanie, coup d’Etat
22 novembre, Guinée-Bissau, tentative de coup d’Etat
23 décembre, Guinée, coup d’Etat