La coopération stratégique du Brésil avec l’Occident est ancienne. Elle s’est notamment nouée durant la Guerre froide, lorsqu’il s’agissait de faire front commun contre l’Est, voire de servir d’ultime base arrière en cas de destruction de l’Ouest.
Or, les 22 et 23 décembre le président français Nicolas Sarkozy s’est rendu au Brésil afin de signer un « partenariat stratégique de défense » avec Brasilia (1). Un contrat de vente de 8.6 milliards d’euros d’armements a été signé entre la France (budget militaire 2008 d’environ 61 milliards de dollars) et le Brésil (budget militaire 2008 d’environ 24 milliards de dollars (pour indication, le budget militaire américain 2008 est d’environ 711 milliards de dollars).
Le contrat de vente porte sur quatre sous-marins diesel de type Scorpène, 51 hélicoptères de transport SuperCougards (les Caracals utilisés en Afghanistan). Point important, le Brésil veut se doter, d’ici 2020 et avec l’aide de la France, d’un sous-marin d’attaque à propulsion nucléaire (SNA). Contrairement aux sous-marins nucléaires lanceurs d’engins (SNLE), les SNA ne sont pas destinés à la dissuasion nucléaire mais seulement aux missions de combat et de projection de puissance. La France est également en concurrence avec la Suède et les Etats-Unis au sein d’un appel d’offre pour renouveler une partie de la flotte aérienne brésilienne.
Un tel partenariat est porté par des forces géopolitiques sous-jacentes. En effet, par la Guyane, la France est frontalière du Brésil sur plus de 700 km. Ensuite, oeuvrer à l’émergence d’un Brésil puissance est un moyen de favoriser la multipolarité qui est l’organisation du système international généralement défendue par la France. D’autre part, la création d’un tel partenariat permet de diminuer la puissance des Etats-Unis sur ses propres marches tout en nouant des relations avec une puissance de demain.
La vente d’armements est hautement stratégique, en raison de la valeur marchande instituant souvent une relation commerciale à moyen et long terme pour la mise à niveau, la réparation et le remplacement des matériels, mais aussi en raison du transfert de technologies – la plupart des équipements seront construits au Brésil par des sociétés brésiliennes – qui ne peut être fait que dans un certain climat de confiance entre les pays.
Un signal fort serait donné, si la France parvenait à vendre des exemplaires de son avion multirôle Rafale. En effet, en dépit de la très bonne facture et de la polyvalence de cet appareil, son coût élevé a empêché la France d’en vendre un seul exemplaire. Les acheteurs potentiels préfèrent acheter du matériel d’occasion américain à prix bradé, arguant notamment de l’inutilité de la technologie du Rafale à l’ère des guerres asymétriques et du terrorisme. Mais les signes à vent coureur de retour à la multipolarité, avec la guerre en Géorgie et l’ascension des puissances émergentes, peuvent laisser dubitatif quant à « l’inutilité » d’armements conventionnels de qualité.
Quoi qu’il en soit, coopérer étroitement avec le Brésil, signifie pour la France accéder au plus gros marché de la région, bénéficier d’une place où développer ses investissements et avoir la satisfaction de consolider une démocratie (2). Il s’agit aussi d’un moyen d’améliorer la situation économique française à l’heure où la crise frappe de plein fouet l’économie mondiale. Enfin, la France a assuré le Brésil de son soutien dans son souhait d’accéder à une place au sein du Conseil de Sécurité des Nations Unies (CNSU). On peut imaginer qu’en cas de réussite, un soutien brésilien à la France, au sein du CSNU, serait des plus précieux.
Du côté brésilien, jouer la carte française est un moyen de s’autonomiser sur le continent sud-américain par rapport à l’ombre américaine. En se lançant dans la modernisation de l’attribut classique de la puissance qu’est l’armée, Brasilia entend donner corps à la vision géopolitique d’un Brésil puissance régionale. Avec ses 8 547 000 km2, sa vaste façade maritime et sa profondeur stratégique continentale en Amérique latine, le Brésil jouit d’une géographie lui donnant les moyens de la puissance.
Dans son espace continental, le Brésil à toujours compté sur la maîtrise et le développement de ses zones Ouest et Sud, avec le contrôle des bassins hydrographiques amazonien et de la Plata, d’où l’utilité des SuperCougars. En matière maritime, la nécessité de surveiller 8500 km de côtes et 4.5 millions de km2 d’eaux territoriales (avec des gisements pétroliers), ainsi que le souhait de projeter sa puissance à l’Est, à travers l’Atlantique Sud, nécessite de détenir la maîtrise des mers. Cette maîtrise ne peut s’acquérir que par la possession d’une marine de guerre à la force tangible. C’est dans cette optique que Brasilia avait déjà acheté en 2000, à la France, son ancien porte-avion, le Foch (renommé le São Paulo).
A ces atouts géographiques physiques, s’ajoutent un poids démographique substantiel (178 000 000 d’habitants) ainsi qu’une importante production de matières premières. Cependant, le sous-développement, notamment le développement inégal entre régions, le sous-peuplement de l’Ouest du pays, le surpeuplement des villes ainsi que les inégalités sociales criantes viennent tempérer ce potentiel de puissance.
Le savoir-faire de l’école géopolitique brésilienne vient sans doute étayer cette quête de la puissance. Peu connue, peu traduite, et pourtant à la fois ancienne et brillante, cette école est née au début du XXe siècle et s’est densifiée durant la Guerre froide. Elle est une excellence discrète qui s’est cependant compromise à l’époque du régime militaire (1964-1985/1988) et de sa doctrine de la sécurité nationale.
Historiquement, la géopolitique brésilienne a toujours pensé son isolement et son unicité en raison d’une part de son isolement lusophone dans une Amérique latine hispanophone, d’autre part de sa superficie supérieure aux autres Etats du sous-continent, lui conférant un rôle naturel de puissance régionale.
Aujourd’hui, la question est de savoir si le Brésil est une force tranquille qui taît son désir d’hégémonie en Amérique latine et dans l’hémisphère Sud, ou bien une puissance en devenir, souhaitant assurer son soft power en Amérique du Sud et développer une coopération globale.



(1) Jean-Pierre Langellier, «Le Brésil veut devenir la puissance militaire régionale», Le Monde, 20 décembre 2008.
(2) Idem.