7 février 2009

ANALYSE : Après la Géorgie et l’Ukraine, le temps de la reconquête a sonné pour la Russie

Marielle BERNARD
Encore une fois nous avons assisté à une tentative russe de jouer les troubles fêtes dans la paisible contrée européenne. Après la Géorgie, voici que le gouvernement de Medvedev s’est opposé à nouveau à une de ces anciennes républiques, l’Ukraine.
Pour faire court, Moscou avait coupé l’approvisionnement de l’Ukraine le 1er janvier en raison d’un conflit sur le prix du gaz. Puis le 7 janvier, elle avait interrompu toutes ses livraisons gazières vers l’Europe via l’Ukraine. S’en est suivie une série d’accusations réciproques des deux pays qui refusaient toute coopération pour reprendre les livraisons. Mais un accord a finalement été signé entre les deux pays, qui permet la reprise des livraisons et qui stipule qu'à partir du 1er janvier 2010, l'Ukraine et la Russie passeront à des prix européens pour le gaz et le transit mais avec un rabais de 20% consenti pour 2009. À condition que les prix du transit restent au niveau fixé pour 2008.
Les deux épisodes que ces anciennes républiques ont connus en l’espace de quelques mois sont très révélateurs de la perception que la Russie se fait sur son ancienne « arrière cour ». Le gouvernement russe ne cache pas ses opinions. Ainsi, Vladimir Poutine n’avait-il pas déclaré en avril 2008 lors du sommet de l’OTAN à Bucarest: « Mais qu'est-ce que l'Ukraine ? Même pas un Etat ! Une partie de son territoire, c'est l'Europe centrale, l'autre partie, la plus importante, c'est nous qui la lui avons donnée !» Il faisait bien sur référence à la Crimée, ancienne terre russe donnée en cadeau à l’Ukraine en 1954.
Opinion également somme tout assumée au regard de son comportement vis-à-vis de la rébellion Ossète et Abkhaze puisqu’elle a soutenue les mouvements sécessionnistes et a reconnu les deux provinces comme indépendantes.
Au-delà des premières constatations, il faut analyser les raisons qui poussent la Russie à adopter une telle attitude de la Russie, plusieurs considérations à la fois historique mais aussi géopolitique rentrent en ligne de compte.
Tout d’abord, la chute de l’URSS est considérée à la fois par Poutine mais aussi par une large part de l’opinion publique comme la plus grande catastrophe géopolitique du XXe siècle. Une volonté de reconquête de l’ancien espace soviétique, teintée également d’un désir de revanche apparait clairement dans les choix politiques de la Russie d’aujourd’hui. D’autant que celle-ci a subi depuis 1991 des humiliations successives.
L’intégration à l’OTAN et/ou à l’UE de certaines de ces anciennes colonies, les deux révolutions orange et des roses en Ukraine et Géorgie soutenue par les gouvernements occidentaux et l’indépendance du Kosovo auxquelles la Russie s’est opposée, sont autant de vexations pour une population russe fière. De plus, les désirs d’intégration de nombreuses anciennes républiques soviétiques encouragées par l’Occident et enfin la présence américaine en Afghanistan et en Iraq sont autant d’explications qui ont contribué au retour d’une Russie forte et déterminée sur la scène internationale.
De ce fait, la guerre en Géorgie est un coup de semonce, une première étape de reconquête, estime la journaliste du Figaro Laure Mandeville, spécialiste de la Russie. La marche vers la reconquête a d’abord été menée à l’intérieur avec d’abord la guerre en Tchétchénie puis avec la reprise en main idéologique, économique et politique du pays(1).
Le pouvoir russe agit avec une volonté de puissance et une logique de contrôle pour reprendre les termes de la journaliste, qui opère d’autant plus que la Russie est en position de force puisqu’elle détient l’arme du pétrole et du gaz considérés par certains experts comme les seuls alliés de ce pays dans le jeu politique internationale.
Le jeu de la Russie est d’autant plus facilité qu’aux yeux de l’ancienne ministre des affaires étrangères géorgienne Salome Zourabichvili, ce pays sait toujours quand les Etats sont faibles et quand ils sont fragilisés par un manque de cohésion national (2). Le cas de la Géorgie est bel et bien un exemple. Les régions séparatistes sont pro-russes et la politique du Kremlin dans ces contrées vise à l’assimilation progressive de ces populations dans la grande Russie. La distribution de passeports russes et de retraites bien plus confortables n’est qu’un signe avant-coureur de cette future assimilation.
Mais l’Ukraine ne doit pas pour autant se croire épargner sachant que la Crimée compte une population à majorité russophone et que la ville de Sébastopol héberge une base navale russe de 11000 marins et 35 navires (3). Ivan Lozovy, directeur de l'Institut de la démocratie et du droit de Kiev, estime le danger bien présent en déclarant que : « La seule chose susceptible de satisfaire la Russie est de voir l'Ukraine cesser d'exister en tant qu'Etat » (4).
Néanmoins, l’Ukraine n’est pas le seul pays à risquer de voir les foudres de la Russie s’abattre sur elle, l’Estonie pourrait aussi être la prochaine victime. En effet, elle connait elle aussi des problèmes de cohésion sociale notamment due a sa politique d’assimilation qui ne délivre des passeports estoniens qu’a ceux qui parlent un minimum la langue. Hors, un quart de la population est russe. Le dilemme reste que si des velléités d’indépendance se réveillent dans ce pays, et si elles sont soutenues ouvertement par le gouvernement russe, ce sera un choc frontal entre les occidentaux et les russes. Car l’Estonie est membre de l’Union Européenne et de l’OTAN. Alors la question reste de savoir si la Russie sera capable de prendre un tel risque.
Il est fort à penser que oui quand on pense à la déclaration du Président Medvedev, qui considère que son pays n’a pas peur d’une nouvelle Guerre froide avec l’Occident (5). La dérive nationaliste et sécuritaire russe tend à devenir imprévisible et dangereuses pour les démocraties occidentales. Et l’erreur principale commise par les gouvernements occidentaux est de ne pas avoir ni prévu ni pris en compte un possible réveil de la puissance russe.
L’ancienne ministre Salome Zourabichvili estime ainsi que les erreurs commises par l’Union Européenne sont multiples. Le soutien aux deux révolutions géorgienne et ukrainienne en 2003 et orange en 2004 a été vu par Poutine comme une menace. Il n’a pas supporté de voir s’agiter aux portes de la Russie des velléités de démocratie (6). Il a craint également de voir cet épisode servir de précédent et que la société russe même si elle est aujourd’hui verrouillée pourrait se mettre à rêver. De plus, l’incapacité de l’Europe a vraiment réagir dans la crise géorgienne est du fait de sa méconnaissance réelle du terrain (7). Même si ce point de vue reste celui de la Géorgie, il permet de comprendre les faiblesses de l’Europe face à une Russie grandissante.
Faiblesses accentuées par le fait que l’Europe est tributaire du gaz russe. La Finlande, la Slovaquie en sont dépendantes à 100% et l’Allemagne au 1/3. De surcroît, les pays européens qui ont le plus souffert le plus de la coupure de l'arrivée du gaz transitant par l'Ukraine ont été la Bulgarie, la Grèce et la Serbie, trois pays très proches de la Russie (8).
L’Europe devient peu à peu l’otage de la Russie et les instances dirigeantes européennes vont avoir du mal à faire front devant le retour d’une puissance qui repose cette fois-ci sur une véritable arme celle de la dépendance énergétique. La crise du gaz ukrainien a d’ailleurs montré l’incapacité des Etats européennes à se faire entendre d’un même ton. Selon le politologue ukrainien Vadim Karassev : « l'Union européenne a été enrôlée dans une guerre sans missiles et sans blindés, mais une guerre quand même » (9).
Comment l’Europe va s’adapter a la possible montée en puissance d’un monopole russe sur le gaz, en sachant que Gazprom après avoir acheté les réseaux de gazoducs arméniens et biélorusses cherche à s’accaparer le réseau de gazoduc ukrainien. La question est d’autant plus grave que le seul oléoduc Baku-Tbilissi-Ceyhan qui ne passe pas par la Russie se retrouve maintenant menace par un risque d’accaparation. Ne nous leurrons pas ! La Russie s’étant jurée de protéger tous ses citoyens ou qu’ils soient dans le monde saura profiter de la moindre occasion pour tenter de récupérer la partie géorgienne de l’oléoduc.
Hors dans ce cas, comment l’Europe va réagir, peut-elle envoyer des militaires sans risquer de rentrer en guerre ouverte avec l’Etat russe ? A-t’elle d’ailleurs les moyens militaires de faire face ? Pour l’instant, il semblerait que comme a son habitude, elle privilégie la voie de la diplomatie. Mais pour combien de temps encore ?


(1) « Russie : le temps de la reconquête ? Un œil sur la planète », émission de France 2 du 15 décembre 2008.
(2) « Russia & Georgia - The problem Europe would rather forget? », Conférence donne par Madame Salomé Zourabichvili, ancienne ministre des affaires étrangères géorgienne au Henry Jackson Society, Londres, 20 janvier 2009.
(3) Voir note 2.
(4) « Crise du gaz : quelles séquelles ? », Robert Amsterdam France, La Russie, énergie et politique, 21 janvier 2009, http://www.robertamsterdam.com/france/2009/01/crise-du-gaz-quelles-sequelles.html
(5) Medvedev évoque une nouvelle Guerre froide, publié le 26 août 2008, sur le site d’information challenges.fr, http://www.challenges.fr/actualites/europe/20080826.CHA5616/medvedev_evoque_une_nouvelle_guerre_froide.html
(6) Voir note 3.
(7) « Cherchez à qui profite la crise du gaz », interview avec Katinka Barysch, 14 janvier 2009, http://www.cer.org.uk/articles/barysch_interview_e24_14jan09.html
(8) Idem.
(9) Voir note 5.

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