Le but premier de l’OTAN est d’assurer, en cas d’attaque d’un de ses membres, une réponse collective derrière un commandement unique. Sa crédibilité repose sur une culture stratégique et des standards militaires (doctrines, armements) communs, et un partage des charges de la sécurité dont les champs n’ont de cesse de s’élargir. Elle bénéfice par ailleurs d’un socle de valeurs communes telles que la démocratie, les droits de l’homme et le règne de la loi. Composée de 26 membres, l’Alliance atlantique s’étend géographiquement des Etats-Unis à la Turquie et du Groenland à l’Espagne.
Sous l’impulsion du président Nicolas Sarkozy, la France est en train de conforter un processus de réintégration de l’OTAN, amorcé en 2004 avec l’insertion de militaires français dans les structures intégrées. Mais la France n’a toujours pas de représentant au Comité des plans de défense (plus haute instance décisionnelle chargée de planifier la défense collective) ni au Groupe des plans nucléaires (chargé d’ajuster la politique nucléaire de l’OTAN et d’adopter une position commune). Le président Jacques Chirac avait tenté de réintégrer l’OTAN en 1995-1997, mais cette tentative avait échoué suite au refus américain d’attribuer à Paris le commandement interarmées de Naples.
En 1966, le général De Gaulle avait décidé de retirer la France – détentrice du feu nucléaire depuis 1960 – de l’organisation (c’est-à-dire du commandement intégré) mais pas de l’Alliance (traité de Washington). Ce retrait s’inscrivait dans une dynamique générale de division de la puissance (reconnaissance française de la République Populaire de Chine en 1964, rapprochement de Paris avec Moscou en 1966) au sein d’un système international dominé par la bipolarité. Le but était de briser le duopole mondial américano-soviétique en se constituant, à la fois en troisième voie diplomatique et en interlocuteur ouvert, tout en assurant tacitement, en cas de conflit Est-Ouest, un engagement en faveur du camp Ouest. La décision était caractérisée par la lecture gaullienne de la conjoncture internationale des années soixante. Est-il aujourd’hui possible de la révoquer en s’adaptant à l’actualité géopolitique et en conservant l’exigence d’indépendance nationale française ?

Les commandements offerts à la France en l’échange de sa réintégration
Dans le cadre de sa réintégration, la France semble avoir obtenu le Commandement allié Transformation (Allied Command Transformation, Norfolk, Etats-Unis) et le Quartier général interarmées de Lisbonne (1). Norfolk n’a pas de rôle opérationnel mais se trouve aux sources de la réflexion doctrinale et de la modernisation de l’Alliance. Cette remarque prend tout son relief, lorsque l’on sait que, les théories françaises de la contre-insurrection ainsi que le professionnalisme des militaires français sont très appréciés outre-atlantique. Le Commandement Allié Transformation étant l’un des deux commandements suprêmes de l’OTAN, son transfert à la France serait hautement symbolique.
Quant au Quartier général interarmées de Lisbonne (Joint Head Quarter Lisbon), il est l’un des trois commandements opérationnels de l’OTAN, placé sous l’autorité du second commandement suprême (Allied Command Operations, Mons, Belgique). Le commandement de Lisbonne assume en alternance, avec les commandements interarmées de Naples et de Brunssum, le commandement opérationnel de la Force de réaction de l’OTAN.
Cette force permet à l’Alliance de se déployer rapidement, sur tout type de terrains, avec des éléments terrestres, aériens, maritimes, ainsi que des forces spéciales. Son rôle est de faire face à des crises très variées : évacuations, contre-terrorisme, gestion des conséquences de catastrophes (naturelles, NRBC…), gestion de crise humanitaire, déploiement d’une force initiale en vue de préparer un renfort, démonstration de puissance et appui à la diplomatie.

Le nouveau concept stratégique de l’OTAN
L’OTAN s’oriente vers l’adoption d’un nouveau concept stratégique pour ses 60 ans, en avril 2009. Le concept stratégique de l’OTAN est nécessairement mouvant puisque fruit de l’organisation du système international. Adopté en 1991, avec la fin de la bipolarité, il sera révisé en 1999. Le concept élargira les missions de l’Alliance, de la défense collective des membres, à la paix et à la stabilité de l’espace euro-atlantique. Avec le nouveau concept, il s’agirait notamment d’élargir l’espace d’intervention.
Car depuis 2003, l’OTAN commande l’International Security Assistance Force (ISAF) en Afghanistan, supplée (soutien logistique et formation) la coalition internationale en Irak, et a assisté, de 2005 à 2007, l’Union Africaine dans sa mission de maintien de la paix au Darfour. On voit donc là les limites du concept stratégique de 1999. D’autant plus que la globalisation et la transnationalisation des menaces, ainsi que l’impuissance de l’ONU lorsque son action va a l’encontre de l’intérêt national d’un des membres du Conseil de Sécurité, conduisent les pays de l’Alliance à voir d’un bon œil une compétence d’action qui serait globale. D’où la discrète signature d’une coopération ONU-OTAN en septembre 2008, au risque par ailleurs, de détruire l’image (et la vocation ?) déjà en difficulté des Nations Unies.

L’insuffisance de la PESD source de cohérence pour la réintégration ?
Sur les 27 pays membres de l’Union Européenne, seules six nations n’appartiennent pas à l’OTAN (Irlande, Suède, Finlande, Autriche, Malte, République de Chypre). Il y a quasiment superposition entre l’UE et l’OTAN. Bien qu’en plein essor, la Politique Européenne de Sécurité et de Défense (PESD) concerne essentiellement l’action extérieure de l’Union. Il ne s’agit pas encore d’une défense européenne commune, même s’il existe par exemple, au sein du Traité sur le fonctionnement de l’Union Européenne (UE), une clause de solidarité entre Etats membres, en cas notamment, d’attaques terroristes. Mais il faut noter qu’un acte terroriste n’est pas un conflit armé, et que cette clause n’envisage qu’une assistance sur le territoire de l’Etat attaqué.
Quant à l’Union de l’Europe Occidentale (UEO), elle est la seule organisation européenne prévoyant, en cas d’agression, une obligation d’assistance militaire entre des Etats européens. Mais elle ne comprend pas tous les Etats membres de l’UE (absence de Malte et de la République de Chypre) et comprend aussi des Etats n’appartenant pas à l’UE (Islande, Norvège, Turquie). Enfin, l’UEO dépend de l’OTAN au niveau opérationnel et de l’UE au niveau politique. Dès lors, la plupart des nations d’Europe étant membres de l’OTAN, la défense de l’Union Européenne peut paraître, de facto, assurée par l’OTAN.

L’hégémonie américaine comme risque de la réintégration ?
D’un point de vue métastratégique et américain, si l’on considère la centralité de l’intérêt national, l’OTAN est avant tout conçue pour assurer la sécurité de l’Occident, en particulier celle de son centre de gravité que sont les Etats-Unis. La sécurité de l’Europe compte parce que sa mise en danger risque d’inquiéter, par voie de conséquence, la sécurité des Etats-Unis.
D’autre part, si Washington demeure la puissance dominante au sein de l’Alliance, il peut être dans l’intérêt américain d’impliquer l’OTAN dans les desseins et les conflits de l’Amérique, afin d’accroître la puissance et les capacités de dissuasion américaines, mais encore de ménager un bouclier en cas de crise voire de conflit avec un Etat récalcitrant.
Enfin, avant l’existence de la PESD, le but de l’Alliance était de promouvoir le développement d’une identité européenne de sécurité et de défense (IESD), au sein de l’OTAN. Aujourd’hui, si l’existence de la PESD a mis fin a cette stratégie en particulier, il n’en demeure pas moins que l’intérêt américain reste d’avoir un contrôle sur la défense européenne, sans son coût.

La réintégration comme opportunité pour influer sur le comportement de l’Alliance et des Etats-Unis ?
En tant qu’organisation internationale transatlantique, l’OTAN a par définition, vocation à inclure parmi ses préoccupations, la défense européenne. Mais cela ne signifie pas que cette défense doive être absorbée et intégrée par l’OTAN. Elle reste intrinsèquement le devoir des Européens. Dans la plupart des organisations ou des ensembles internationaux, les membres les plus puissants ont tendance à imposer leurs vues et à orienter les décisions. L’OTAN dominé par les Etats-Unis n’échappe pas à cette règle.
En réintégrant l’OTAN, la France peut prétendre à un accroissement de son poids au sein de l’Alliance. L’appartenance à l’OTAN, assure un moyen de discussion multilatéral permettant de tempérer l’unilatéralisme des Etats-Unis (François Heisbourg) ainsi qu’un moyen d’influencer les orientations de l’Alliance. Parallèlement, en œuvrant au développement d’une défense européenne, la France accroît son poids au sein de la défense européenne, et se crédibilise dans l’optique de réclamer davantage d’importance au sein de l’Alliance. Dans cette optique, la présidence française de l’UE a fait de la défense européenne une de ses priorités, aboutissant notamment à une déclaration du Conseil européen (décembre 2008) sur le renforcement de la PESD, afin de tenter de produire une dynamique de renfort de l’Alliance et d’affirmation d’une Europe de la défense dans et hors l’OTAN (2).
Le fait pour la France, de s’engager au sein de l’OTAN comme de la défense européenne, lui offre peut-être un moyen de ne pas mettre « tous ses œufs dans le même panier ». Elle pourrait ainsi se renforcer tout en sauvegardant son indépendance. L’intérêt national français réside à la fois dans l’Europe et dans l’Occident, mais la multipolarité (re-)naissante exige que la France se dote d’un levier pour sa puissance. A défaut de disposer (pour l’heure) d’une véritable défense européenne, l’OTAN constitue ce levier. A Paris de faire en sorte que ce levier ne devienne pas une tutelle (américaine), en donnant corps à une défense européenne et en conservant sa liberté de décision et d’engagement. A ce propos, le nouveau concept stratégique (dont la base sera présentée au sommet de Strasbourg-Kehl les 3 et 4 avril 2009) reconnaît l’importance d’un renforcement de la défense européenne et d’une évolution de la relation OTAN-UE vers un partenariat stratégique (3).

Les interactions possibles entre la réintégration française de l’OTAN et les mutations du système international
Les Etats ont généralement le discours de leur puissance et de leur poids international. Les Etats-Unis ont tendance à soutenir l’unipolarité, tandis que la France prône la multipolarité. D’une manière générale, l’unipolarité est une organisation du système international stable, mais elle génère de nombreux mécontentements dans la mesure où elle exclue le partage du pouvoir. Les crises y sont rares mais très intenses et dangereuses. A l’inverse, la multipolarité est une forme plus instable. Puisqu’elle se traduit par une pluralité d’Etats partageant la puissance mondiale, on peut craindre que chacun soit tenté de s’imposer. Mais l’atout de cette forme réside dans le fait qu’elle permet à plusieurs puissances de coexister. Les crises y sont fréquentes mais plus superficielles.
Dans l’actuel schéma multipolaire, un renforcement de l’Alliance risque-t-il d’être perçu comme un menace et ainsi de développer l’agressivité internationale ? ou bien, au contraire, permettra-t-il d’assurer une franche supériorité aux Etats-Unis, à l’Europe et à la France, afin de se préserver de la violence internationale ?
Le retour de la France donne l’image d’une OTAN davantage unie et puissante, capable d’influencer voire de contraindre, mais elle risque de susciter, en reflet, une contraction du comportement politique des différents Etats concurrents. Le risque serait, au niveau du système international, de générer une multipolarité agressive, et au niveau de la France, de faire perdre à Paris sa place de médiateur et de négociateur indépendant sur la scène internationale.
Puisque la France demeure détentrice du feu nucléaire, d’une armée mondialement projetable, et d’un siège au Conseil de Sécurité des Nations Unies, elle sauvegardera évidemment l’intégralité de son indépendance nationale. En tant qu’alliance entre nations, l’OTAN ne met pas en danger la souveraineté en matière de décision de ses membres. Ceux-ci restent capables de s’opposer, comme ce fut le cas de la France et de l’Allemagne au sujet de la guerre en Irak. En revanche, l’image de la France dans le monde risque de changer, à moins qu’elle ne parvienne à perpétuer une vision proprement française dans la politique, les crises et les conflits sur la scène internationale.


Mode de citation : Alexis BACONNET, « Réflexions sur la réintégration française de l’OTAN et les mutations du système international », MULTIPOL - Réseau d'analyse et d'information sur l'actualité internationale, 17 mars 2009.

 


(1) Natalie Nougayrède, « La France parachève son retour dans l’OTAN », Le Monde, 5 février 2009.
(2) Fabien Terpan, « La PESD au second semestre 2008 », Défense nationale, février 2009.
(3) Laurent Zecchini, « L’OTAN veut une "coopération forte" avec Moscou », Le Monde, 7 mars 2009.